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13 avril 2021 2 13 /04 /avril /2021 01:26

Depuis le 4 mars, quarante-deux militants occupent le théâtre parisien de l’Odéon. Au-delà de la réouverture des lieux culturels et de la prolongation de l’année blanche pour les intermittents du spectacle, la lutte contre la réforme de l’assurance chômage fédère les occupants.

  • Théâtre del’Odéon (Paris), reportage

Les petites loges se sont transformées en chambre, où reposent valises et matelas gonflables. La salle de réception est devenue lieu de vie, où se déroulent deux Assemblées générales par jour. Depuis le 4 mars, quarante-deux militants occupent le théâtre de l’Odéon, dans le 6e arrondissement de Paris — un théâtre à l’italienne, tout de rouge et d’or. Le mouvement d’occupation a été suivi par près de cent salles à travers le pays. Au-dessus d’une grande cheminée a été accrochée une carte de France parsemée de points jaunes, représentant les lieux culturels occupés.

Surplombant les colonnes néoclassiques, la terrasse offre un panorama majestueux. Le téléphone coincé entre l’oreille et l’épaule, Thomas y fait les cent pas. Sa discussion semble tendue. Il raccroche et souffle : « Toutes mes dates du mois de mai sont en train de partir en fumée avec les annonces de Macron. »

Une carte de France parsemée de points jaunes, représentant les lieux culturels occupés.

Harmoniciste de Pantin, il devait se produire à Nantes une semaine durant. Le spectacle vient d’être annulé. « On nous demande de cumuler 507 heures de travail par an pour avoir le statut d’intermittent du spectacle et obtenir les indemnisations de l’assurance chômage… sauf qu’on ne peut pas travailler. C’est comme accrocher les mains d’un enfant dans son dos et lui dire d’attraper la boîte de biscuits dans le placard. C’est complètement absurde ! » Karine acquiesce. Ensemble, ils préparent l’enregistrement d’un disque. « On demande que l’année blanche, qui doit prendre fin le 31 août, soit reconduite d’un an à compter de la fin de la période d’impossibilité de travailler », dit-elle.

Une montagne de plusieurs centaines de ballons de baudruche surgit à l’autre bout de la terrasse. Elle forme les trois lettres : O-Q-P. « Faites attention, c’est fragile ! » Sous son chapeau vert de magicien, orné de jetons de casino de Las Vegas, Coco crie les instructions. À côté de lui s’agite un petit homme en salopette aux sangles rouges. C’est Nico, son acolyte : « Je flippe. Je n’ai pu travailler que huit heures cette année. Au 31 août, finis les indemnités. Je ne toucherai plus que le RSA alors je vais quitter Paris parce qu’ici, ça ne suffit pas à survivre. » Sa voix tremble. Il marque une pause, puis éclate en sanglots : « Je ne peux pas envisager d’arrêter ma carrière à cinquante ans. Ce métier, c’est toute ma vie. Qu’est-ce que je vais faire ? »

Coco et Nico, magiciens, en train d’accrocher leur oeuvre d’art.

La lutte contre la réforme de l’assurance chômage fédère tous les militants de l’Odéon

Deux étages plus bas, au rez-de-chaussée, Franck surveille la porte d’entrée. En face de lui, trois grands costauds de la sécurité, tout de noir vêtus, sont plantés comme des piquets. Depuis leur arrivée, les occupants se relaient pour garder un œil sur cet accès, de jour comme de nuit. « Je ne suis sorti qu’une seule fois en un mois, s’amuse-t-il accroché aux barreaux comme un prisonnier. J’ai eu le droit à une attestation pour aller à la Marche pour le climat. » Quand le temps se fait long, il discute avec les passants, qui s’interrogent sur cet événement aux airs de Mai 68.

Franck, lors de son tour de garde.

Gaëtan attrape une chaise, s’assoit et roule une cigarette. Comédien depuis 1989, ses revenus se sont effondrés avec la crise sanitaire : « C’est ma femme qui m’entretient. Avant, je pensais être féministe. Maintenant, j’en suis convaincu... » Papa d’un garçon de huit ans, il est venu dénoncer la réforme controversée de l’assurance chômage, qui doit entrer en vigueur à partir du 1er juillet. « C’est scandaleux ! L’État fait des économies sur les plus pauvres, et je ne parle pas que des intermittents du spectacle : 1,15 million d’allocataires de l’assurance chômage vont en pâtir. »

Gaëtan, venu tenir compagnie à Franck.

Au-delà de la réouverture des lieux culturels et de la prolongation de l’année blanche pour les intermittents du spectacle, c’est bien la lutte contre la réforme de l’assurance chômage qui fédère tous les militants de l’Odéon. « Les journalistes qui disent sur BFM TV qu’on est là uniquement pour défendre la culture n’ont rien compris, s’agace Déborah, trapéziste de trente ans. Une véritable convergence des luttes émane de ce mouvement. Aujourd’hui, notre agora portait sur le thème de la santé, dans quelques jours, ce sera l’environnement. D’où qu’ils viennent, tous les gens en difficulté sont écoutés. Le combat est le même, car la précarité est la même. » En juillet, elle quittera sa colocation dans la capitale, faute de moyens et passera l’été dans un camion. La suite ? Elle n’en a aucune idée.

Deborah, artiste de cirque, garde le sourire malgré la situation.

« On est là pour tous les intermittents de l’emploi : les guides conférenciers, les employés du secteur hôtelier... »

Torchon sur l’épaule, Nicolas fait la vaisselle derrière le bar de la salle de réception. Âgé de soixante ans, ce metteur en scène considère ne pas faire partie des plus touchés par la pandémie. Il répète une pièce de théâtre à Rennes, ce qui lui vaut salaire : « Moi, je m’en sors bien mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Alors quoi ? Je vais jouer pour ceux qui ont mis mes copains à la rue ? Non. » Assise face au comptoir, Lisa, comédienne, partage la même vision des choses : « On est là pour tous les intermittents de l’emploi : les guides conférenciers, les employés du secteur hôtelier... »

Nicolas fait la vaisselle sous le regard de Roselyne Bachelot.

Claire et Philippe sont maîtres d’hôtel extras de l’événementiel. Ils ont travaillé pour plusieurs présidents de la République, servi lors de G7, au 14 juillet ou encore à Roland-Garros. Des contrats courts, souvent d’une journée, devenus fantômes depuis un an. Un de leur collègue a tout perdu : à cinquante ans, il a vendu sa maison, sa voiture et est retourné vivre chez ses parents avec ses enfants. Alors maintenant, Claire et Philippe crient leur colère : « Le premier jour, quand je suis arrivée à Odéon, je me demandais où j’étais, se remémore Claire. On était entouré de syndicalistes, de militants... C’est pas notre monde ! » Philippe continue : « On ne peut que les remercier de nous accueillir. On a même notre mot à dire dans les AG ! »

La salle de spectacle, vide de toute âme.

Ce dimanche 4 avril, tous fêteront le premier mois d’occupation du théâtre de l’Odéon. Un mois au cours duquel le gouvernement est resté muet, à l’exception d’une brève apparition de Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, au début du mois de mars. Certains y voient là une indifférence condescendante. Mais pour Louise, le rapport de force gagne en puissance de jour en jour : « Je pense que ça les emmerde beaucoup. Au début, il n’y avait que nous. Aujourd’hui, plus de quatre-vingt dix lieux culturels sont occupés et d’autres secteurs commencent à nous rejoindre. Bientôt, ils ne pourront plus nier la convergence des luttes et finiront par s’inquiéter… »

C’est maintenant que tout se joue…

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27 février 2021 6 27 /02 /février /2021 00:32
Une discussion n’est pas une bataille, sauf pour la CFDT

Voici un texte utile de Laurent Brun, ancien agent manœuvre de l’exploitation sur le chantier fret de Lyon-Perrache, fils et petit-fils de cheminot et secrétaire général de la fédération CGT des cheminots.
LGS.

Si nous voulons reconstruire une organisation de masse et un rapport de force plus consequent, il faut reconstruire une véritable idéologie de la transformation sociale. Et vite.

Pour redonner l’espoir à gauche, pour écarter les fascistes et leurs idées du pouvoir, pour reprendre le stylo qui fait la loi des mains des capitalistes, il ne suffira pas de s’attrouper ou de s’unir dans une liste ou derrière un candidat.

Il faut reconstruire une véritable idéologie de la transformation sociale.

Il ne s’agit pas seulement de distribuer quelques subventions, de baisser le prix d’un service municipal ou d’instaurer une gratuité sur tel ou tel élément.

Il faut transformer la manière de gérer, mener des luttes pour changer les règles, s’approprier collectivement des outils jusque là privés pour investir de nouveaux champs d’intervention.

Sans cela, le pouvoir de gauche n’est qu’un simple gestionnaire. Et lorsque l’argent vient à manquer pour satisfaire l’ensemble des besoins, on reprend la vieille logique de la trahison « on n’a pas le choix ». Mitterand n’a pas eu le choix du tournant de la rigueur.

Jospin n’a pas eu le choix de la privatisation d’Air France et de l’abandon des Lu. Hollande n’a pas eu le choix de la loi travail ou du CICE pour la compétitivité... mais aujourd’hui, la ville de Lyon n’a pas le choix, la région Occitanie n’a pas le choix de reprendre en gestion directe des lignes de chemin de fer, le printemps marseillais n’a pas le choix de remettre en cause le droit de grève dans les cantine... et donc la classe ouvrière prendra le choix d’aller à la pêche les jours d’élection car, au final, ça sert à quoi des élus qui n’ont pas le choix ?

Il va nous falloir un grand moment d’autocritique et d’analyse sur nos pratiques de gestion si nous voulons sortir de la défiance généralisée.

Et les arguments du style « c’est mieux que la droite », ou encore « ils ont fait ça, mais ils ont aussi fait telle bonne mesure » n’ont strictement aucun poids. D’ailleurs ils nous conduisent d’échec en échec.

Non vraiment, il faut réfléchir à une véritable autre manière de faire. Sinon le pire est à venir.

Je sais très bien qu’on ne fait pas toujours ce que l’on veut, qu’on ne peut pas en un clin d’œil changer le système qui par bien des aspects contraint les choix, et que les rapports de forces ne nous sont pas toujours favorables.

Mais je ne peux plus supporter les élus qui expliquent qu’ils ont mené une bataille simplement parce qu’ils ont eu une discussion soutenue avec un préfet, un employeur ou un ministre. Une discussion, ça n’est pas une bataille ! Sauf peut être pour la CFDT.

Une bataille c’est un ensemble d’actions qui visent à mobiliser la population ou une fraction de celle ci, à appuyer sur les contradictions de l’adversaire (y compris quand on est dans un exécutif ou il est majoritaire), à le forcer à se dévoiler publiquement pour être soumis au jugement collectif...

Quand on mène une vraie bataille et qu’on est battu, on peut dire qu’on n’a pas le choix. Mais quand on a juste mené des discussions, on peut dire qu’on a fait le choix. De se ranger du côté du système.

Bref, le syndrome de la gauche plurielle est encore bien présent.

Certain considèreront que je suis un gauchiste. Pourtant, je continue d’être discipliné et d’aller voter « pour le moins pire ». Mais j’en ai marre.

Et surtout, des milliers de nos concitoyens ne nous bousculent pas avec des coups de gueule comme je peux le faire, ils se contentent de nous ignorer et de ne plus voter du tout, de ne plus se battre. C’est peut être plus agréable pour l’esprit de certain qui peuvent tranquillement affirmer que le peuple n’a rien compris ou qu’il faut « faire de la politique autrement » tout en continuant à tout faire pareil.

Mais c’est tout aussi dramatique. Et il faudra bien un jour qu’on en tire des leçons.

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14 février 2021 7 14 /02 /février /2021 02:10

Fabrice Drouelle a consacré récemment sur France Inter une heure à Jules Durand, héros malheureux du syndicalisme ouvrier dans son émission “ Affaires sensibles ”.

J’avoue que l’histoire dramatique de ce remarquable militant ouvrier m’avait complètement échappé. C’est à cela que peut servir la radio du service public : nous faire connaître ou nous remémorer l’essentiel.

Né le 6 septembre 1880 au Havre et mort à l’asile psychiatrique de Sotteville-lès-Rouen le 20 février 1926, le syndicaliste libertaire Jules Durand fut victime d’une terrible erreur judiciaire, au point qu’on a pu parler de l’« affaire Dreyfus du pauvre ».

Durand était le responsable du syndicat des charbonniers, c’est-à-dire des dockers qui chargeaient ou déchargeaient les sacs de charbon des cargos qui mouillaient au Havre. Une activité aussi importante que stratégique à l’époque. Il était également membre de la Ligue des Droits de l’Homme et militant antialcoolique, ce qui le rendait dangereux aux yeux de son employeur qui avait l’habitude de payer les dockers en jetons qu’ils devaient échanger auprès des tenanciers de cafés qui leur imposaient des consommations pour un minimum de 10 % avant de consentir à verser leur salaire.

En 1910, il anime une grève illimitée contre l’extension du machinisme. Il est alors accusé d’être le « responsable moral » (sic) de l’assassinat d’un chef d’équipe non gréviste. Durand est condamné à mort mais, suite à une importante mobilisation, il voit sa peine commuée en sept années de réclusion. Il est gracié partiellement et libéré en février 1911. La cour de cassation l’innocente en 1918. Brisé, il meurt en 1926 en hôpital psychiatrique.

À la mi-août 1910, le syndicat des ouvriers charbonniers du Havre lance une grève illimitée « contre l’extension du machinisme, contre la vie chère, pour une hausse des salaires et le paiement des heures supplémentaires ». Pour combattre ce mouvement de grève, les compagnies portuaires et maritimes havraises décident d’embaucher des hommes qu’elles paient trois fois plus cher que la normale.

Le 9 septembre 1910, trois ouvriers en grève et le contremaître non-gréviste (mais membre du syndicat) Louis Dongé en viennent aux mains. Dongé sort un révolver, les trois autres se précipitent sur lui, le frappent à coup de pied alors qu’il est à terre. Dongé meurt le lendemain. Les trois grévistes sont arrêtés.

Durand est appréhendé à son domicile le 11 septembre, ainsi que le secrétaire adjoint et le trésorier du syndicat. Ils sont inculpés d’« incitation et complicité de meurtre ». Durand est accusé d’avoir, lors d’un rassemblement syndical, émis l’idée que Dongé devait être supprimé. Il est inculpé pour complicité d’assassinat, guet-apens et crime avec préméditation.

Le procès s’ouvre le 10 novembre 1910 (deux mois après les faits présumés) à la cour d’assise de Rouen. Durand est défendu par le jeune avocat René Coty, futur dernier président de la Quatrième République. Durand est désigné par une dizaine de charbonniers non-grévistes comme le commanditaire de l’assassinat. Persuadé de l’innocence de Durand, le commissaire de police rédige un rapport à décharge.

Le 25 novembre, le jury acquitte le secrétaire adjoint et le trésorier du syndicat. Il condamne à des peines de prisons trois des quatre véritables coupables. Durand est condamné à mort pour avoir provoqué « par promesses, menaces, abus d’autorité et de pouvoir, machinations et artifices coupables. » Durand est pris d’une crise de nerfs et commence à perdre la raison. Ayant réalisé que la peine était disproportionnée, les jurés populaires signent un recours en grâce en sa faveur.

Dans les colonnes du journal L’Humanité, le député Jean Jaurès s’insurge contre une machination. De son côté, René Coty, affirme qu’il s’agit là « d’une nouvelle affaire Dreyfus » ! En effet, l’enquête a été dès le départ instrumentalisée à charge contre Durand. Les débats lors des audiences ont tourné à une parodie. En poussant la justice à envoyer un syndicaliste à l’échafaud, la Compagnie Générale Transatlantique, soutenue par la presse locale depuis le début de l’affaire, pense avoir brisé pour longtemps tout mouvement de grève.

René Coty déclare : « Durand est innocent. [...] Je veux montrer la nécessité d’une révision du procès. Quelques-unes des personnes que j’ai déjà vues paraissent n’avoir été frappées que par l’énormité de la peine. Ce n’est qu’un côté du verdict, et je veux faire partager la conviction que j’ai sur l’innocence de Durand. [...] Comment ne serait-on pas frappés des faits étrangers de ce procès ? Voici les frères Boyer. Sur eux pèse la même accusation.

Contre eux, ce sont les mêmes témoins, les mêmes faits reprochés. Comme eux, Durand a été absent au moment de la rixe. Et cependant, les frères Boyer – je m’en félicite, est-il besoin de le dire – sont acquittés pendant que Durand est condamné à mort. Ce n’est pas tout, je n’ai pas réussi à faire entendre les témoins à décharge. [...] Non, il n’y a pas eu de crime syndical, et Durand n’a en rien poussé à la mort de Dongé. Son esprit de conciliation a été affirmé par tous ceux qui le connaissent. Et il y a une chose que je ne peux pas oublier, c’est l’innocence de Durand. »

Le 28 novembre, en soutien à Durand, une grève générale paralyse Le Havre. Anatole France – qui avait été le seul académicien français à soutenir Dreyfus – prend la défense du militant. La solidarité à l’égard de Durand s’étend en Grande-Bretagne et aux États-Unis.

Á l’instigation du député Paul Meunier, qui avait défendu les droits des soldats au combat et qui sera, toute sa vie, attaqué par l’extrême droite, 200 parlementaires signent une pétition en faveur d’une grâce présidentielle. Le 31 décembre, le président Fallières commue la peine de mort en sept ans de réclusion criminelle.

Durand est libéré en 1915. Le 15 juin 1918, il est définitivement reconnu innocent par un arrêt de la cour de cassation. Celle-ci atteste l’utilisation de faux témoignages. Cependant, aucune poursuite n’est engagée contre leurs auteurs.

Durand souffre malheureusement d’un délire de persécution. Il est interné dans un hôpital psychiatrique où il meurt le 20 février 1926 à l’âge de 45 ans.

Le dossier judiciaire de Jules Durand a disparu. Tout comme son dossier médical.

PS 1 : Très immodestement, j’en profite pour rappeler que j’avais été l’invité de Fabrice Drouelle en 2016 dans une émission consacrée à George Orwell.

PS 2 : L’équipe de l’émission de Fabrice Drouelle se présente désormais ainsi. Grotesque !

Christophe Barreyre Rédacteur(trice) en chef
Fabrice Laigle Réalisateur (trice)
Juliette Goux Réalisateur (trice)
Anaëlle Verzaux Reporter
Gaylord Van Wymeersch Reporter
Adrien Carat Attaché(e) de production
Jean Bulot Attaché(e) de production
Valérie Bour Attaché(e) de production
Simon Maisonobe Attaché(e) de production
Murielle Perez Programmateur (trice) musical (e)
Fabrice Drouelle Producteur (trice)

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31 janvier 2021 7 31 /01 /janvier /2021 04:02

1 1973, LE 68 STÉPHANOIS, SYMBOLE DES LUTTES DES ANNÉES 68 ? Michelle Zancarini-Fournel Université Lyon 1 – LARHRA Introduction

Après 1968, l’insubordination des "travailleurs1 " (mot le plus employé alors dans les syndicats) est un phénomène récurrent Elle est partie prenante d’un processus de radicalisation d’un certain nombre d’acteurs sociaux qui tissent parfois entre eux des points de convergence : ouvriers, lycéens, étudiants, paysans, jeunes, femmes, immigrés se retrouvent épisodiquement au cours des conflits qui jalonnent la séquence historique.

Territoire d’ancienne industrialisation, le bassin stéphanois du printemps 1973 s’ancre dans ce contexte général des années de contestation post-68 et voit éclore, au même moment, de mars à mai 1973, des grèves et occupations d’usines métallurgiques, un mouvement lycéen et étudiant, une grève de la faim des travailleurs immigrés pour les papiers et une lutte organisée pour l’avortement, à tel point qu’on pourrait qualifier le printemps 1973 de 68 stéphanois du fait de la diversité des mobilisations.

Bien sûr cette boutade métaphorique, un brin provocante – même si j’avais mis un ? au titre de ma communication – n’est pas totalement justifiée.

D’abord parce qu’il y a bien bel et bien eu à Saint-Étienne des grèves et des manifestations en mai-juin 1968 , pour lesquelles j’ai identifié quatre formes paradoxales et spécifiques par rapport à la situation nationale : 1. Le 6 mai 1968, L’AGESE, filiale locale de l’UNEF, tenue par des membres de l’UEC, refuse de relayer l’appel de l’UNEF nationale à faire grève et à manifester contre la répression policière ; mais le lendemain les étudiants réunis en assemblée générale votent la grève, désavouant ainsi leur direction syndicale ; 1 Le vocable "travailleur" est le mot plus fréquent dans le vocabulaire des congrès de la CGT (1er en 1972, 2e en 1978) et de la CFDT (1er en 1970 et 1982). Il en allait de même en mai : Des tracts en Mai 68, 1978. 2 Voir sur le site des archives municipales de Saint-Étienne, le récit des événements de 1968 dont je m’inspire pour l’analyse qui suit. 2 2. Le 13 mai 1968, après la plus grande manifestation de rue depuis la Libération, le discours prononcé, au nom de tous les syndicats, par le secrétaire de la FEN a des accents révolutionnaires, à l’encontre des positions de la CGT largement majoritaire dans le bassin stéphanois ; 3. 3 ème paradoxe : la reprise du travail dans les usines métallurgiques est tardive (entre le 14 juin et le 26 juin) alors que la Fédération CGT de la métallurgie a appelé à la reprise du travail le 10 juin (date du début de la campagne électorale pour les législatives de juin) ; 4. Enfin dernière spécificité d’ordre politique : il n’y a aucun changement après les élections.

Le député-maire de Saint-Étienne, le centriste Michel Durafour est réélu (il avait ouvert les cantines scolaires aux enfants de grévistes et avait salué la modération des comités de grève) ; Lucien Neuwirth est aussi réélu et, contrairement à d’autres députés UDR, s’était montré, à la différence de sa position en 1958, relativement modéré (pas d’appel à un CDR local par exemple à la différence de Lyon, de Marseille ou du nord de la France).

Il y a donc bien eu un 1968 stéphanois avec ses caractères originaux ; mais examiner la conjoncture du printemps 1973 à l’aune de 1968, c’est simplement montrer qu’il y a, en 1973, une co-construction des luttes dans des secteurs différents, parfois intersectionnels, alors même que, événement symbolique de la crise économique et sociale locale, le dernier puits de mine stéphanois, le puits Couriot ferme, dix ans après la grande grève en apparence victorieuse de 1963.

Cependant, c’est ce que je vais essayer de démontrer aujourd’hui, si les différents terrains de lutte du printemps stéphanois de 1973 ont fait preuve de certaines formes de radicalité, on s’interrogera sur ce que nous avons appelé avec Xavier Vigna « les rencontres improbables » caractéristiques des années 68, et prônées ici par les minorités militantes de la CFDT dont l’UD analyse en avril 1973 – je cite – la « convergence des luttes des lycéens et étudiants avec les travailleurs contre le système capitaliste3 », du PSU et de certains groupes d’extrême gauche. $

Mon étude s’appuie sur des dossiers des archives nationales (rapports des préfets et des renseignements généraux), et de la BDIC4 – dans le fonds Mémoires de 68, les archives des Cahiers de Mai dont une équipe a suivi la grève à Peugeot, les papiers Bouziri, et sur le fonds de l’avocat De Felice qui a défendu les lycéens – ainsi que sur la presse nationale et la presse locale 3 La Tribune-Le Progrès, 3 avril 1973, p. 11. 4 Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (Nanterre). 3 (qui répercute les communiqués des syndicats et les discussions lors des assemblées générales)5 .

Je vais étudier successivement les différents terrains des mouvements du printemps 1973 stéphanois en soulignant les éventuels espaces et moments de connexion entre eux. Grève des lycéens et des étudiants Dans ce printemps stéphanois, le premier mouvement du point de vue chronologique, a été celui de la jeunesse scolarisée, lycéens et étudiants. L'apogée de la contestation lycéenne se situe en 1973 en pleine campagne pour les élections législatives des 4 et 11 mars 1973. En février 1973, les conférences d'information sur le service militaire dispensées par l’armée dans tous les lycées pour expliquer la loi Debré, mettent partout le feu aux poudres6 .

La loi avait été votée le 29 juin 1970 à l’unanimité (moins une voix celle de Michel Rocard alors secrétaire national du PSU, le groupe communiste n'ayant pas pris part au vote). Elle visait à rétablir l'égalité entre jeunes Français en établissant l'appel entre 17 et 21 ans et en supprimant les sursis pour les étudiants. En février 1973, les CAL créés par La Ligue communiste, se saisissent de la lutte contre la loi Debré, alors que les lycéens – et à fortiori les lycéennes – ne sont pas directement concernés.

La revendication traduit de fait le climat de contestation rampante présent existant dans les lycées depuis 1968 que traduit le mot d’ordre lycéen « 5 ans déjà, coucou nous revoilà » et la volonté de la coordination nationale de manifester le 22 mars, date anniversaire du mouvement nanterrois le 22 mars 1968, tout un symbole7 . La grève démarre dans un lycée de Lille le 6 mars, touche Caen le 7 mars et SaintÉtienne le 8 mars, donc très précocement par rapport au développement du mouvement qui rend forme d’abord en province.

En effet le monde scolaire avait déjà été agité car, quelques mois auparavant, certains lycéens et enseignants stéphanois s’étaient déjà regroupés dans un mouvement de soutien à un enseignant licencié de l’Éducation Nationale après une bagarre avec la police lors d’une distribution de tracts d’extrême gauche devant une usine de la vallée de l’Ondaine, ce qu’on a appelé « l’affaire Polat » suivie par une grève de la faim.

Comme dans le reste de la France, ce sont les lycées techniques qui partent en grève les premiers (Claude Lebois à St Chamond, Jacob Holtzer à Firminy, La Métare à St Etienne) ; le 22 mars, 5 000 lycéens sont dans la rue contre la loi Debré, avec la présence remarquée de 5 À noter qu’en 1973, La Tribune - Le Progrès était diffusé à 93 000 exemplaires. 6 Archives nationales (AN), 860581 article 27 : rapport du 14 février 1973. 7 AN, 860581 article 27 : note bleue des renseignements généraux, 13 mars 1973. 4 nombreuses lycéennes8 . Une note du cabinet du ministre de l'Intérieur souligne que le mouvement démontre « un malaise très profond de l'enseignement secondaire dépassant le problème des sursis militaires. La disponibilité des lycéens pour la mobilisation politique reflète le malaise de la jeunesse9 ».

Les étudiants aussi sont en grève pour la suppression du DEUG et contre la réforme des sursis. À Saint-Étienne, ce sont les géographes de la faculté de lettres qui sont partis les premiers, suivis par le Droit. « Ceux du technique » restent mobilisés et en grève plus longtemps dans les CET stéphanois autour du mot d’ordre « le CET, c’est déjà l’usine ». Au printemps 1973, le "peuple lycéen" était dans la rue ; il a connu une expérience originale d'organisation sous forme d’assemblées générales et de démocratie directe, expérience recyclée ensuite dans les coordinations de salarié-e-s pendant les deux septennats Mitterrand.

Le contexte stéphanois est semblable à la situation nationale pour ce qui est de la rivalité entre l’UNCAL et les comités de lutte lycéens sur les formes et la direction du mouvement. Mais il est spécifique par certaines formes d’action (les contre-cours dans la rue des élèves des classes préparatoires en direction de la population, les débats devant les portes des usines et sur les marchés) et le lien construit par certains lycéens avec le comité de soutien à la grève de la faim des travailleurs immigrés pour obtenir des papiers et leur participation à la manifestation du 27 avril 1973 sur laquelle nous reviendrons.

Grèves de la faim des travailleurs immigrés La résistance aux premières mesures d’expulsion prises à l’automne 1972 avec l’application des circulaires Marcellin-Fontanet exigeant contrat de travail et logement pour obtenir un titre de séjour, s’amplifie en 1973 en un mouvement pour l’obtention de la carte de travail. Les grèves de la faim se multiplient alors et ont un retentissement important dans l’opinion publique. Parties de Valence, à l’automne 1972, où un jeûne est entrepris contre l’expulsion d’un tunisien pour « atteinte à la neutralité politique », les grèves de la faim se 8 AN, 860581 article 26 : télégrammes et rapports de la direction des renseignements généraux, dont le bilan en fin de journée (rapport n° 113) 9 AN, 77O327 article 8 : cabinet du ministre de l’Intérieur, note hebdomadaire du 30 mars 197

Instruit par l’expérience, le gouvernement, malgré ses fermes déclarations, a dialogué avec les contestataires à la télévision et a attendu les vacances, persuadé – avec raison - que le mouvement n'aurait ni la force ni les conséquences de 1968 qui reste cependant pour tous l'horizon de référence. 5 multiplient, le plus souvent dans les églises ou les locaux paroissiaux 10. En mars 1973, des dizaines d’immigrés protestent par leur jeûne, à Lille, Montpellier, Marseille, Nîmes, Perpignan, Toulouse, Strasbourg, Mulhouse, Nice, Lyon, Toulon… et Saint-Étienne11 .

Le mouvement d’ouvriers tunisiens – la plupart sans papiers et travaillant dans le bâtiment – a démarré tardivement le 9 avril (dans le sillage du mouvement lyonnais qui avait débuté le 3 mars à Lyon) en l’église Saint-Ennemond. Leur appel est soutenu par un comité de soutien hétéroclite constitué par la CFDT, Échanges et promotion, la LICRA, le PSU, la Ligue communiste et les comités de lutte12. Le lendemain, une manifestation peu importante réunit cependant, sous la pluie, des jeunes, lycéens et étudiants essentiellement et quelques ouvriers.

Le 10 avril, le comité de soutien demande une audience au Préfet qui lui est refusée. Le 14 avril, les 45 grévistes de la faim devenus 51, essentiellement des « travailleurs tunisiens », un Marocain et un Algérien, sont installés dans une salle annexe de l’église Saint-Ennemond et leurs dossiers sont présentés collectivement au service départemental de la main-d’œuvre.

Le 27 avril, une nouvelle manifestation de 600 personnes de la place du Peuple à la place Marengo devant la préfecture, essentiellement des jeunes avec des mots d’ordre intersectionnels : celui national des lycéens « chaud, chaud, chaud le printemps sera chaud » et un autre spécifique : « Peugeot-Jacquemard, immigrés même combat » qui fait le lien entre les conflits locaux du moment13, avec de nouveau un sit in devant le tramway et les voitures, et l’escalade de la préfecture jusqu’à la terrasse pour déployer une banderole.

Les CRS interviennent alors violemment – le responsable CFDT Pierre Héritier est blessé – et plusieurs arrestations ont lieu dont celle d’Huguette Bouchardeau, responsable du PSU local. Le mouvement traîne en longueur. Le préfet refuse d’examiner les dossiers collectivement et joue le pourrissement et l’isolement alors que le comité de soutien tient fermement sur ses positions. Face aux grèves de la faim, le ministre de l’Intérieur a été dans un premier temps embarrassé.

Le 18 mai 1973, par une circulaire, Raymond Marcellin conseille aux préfets de discuter avec les associations et les prêtres qui soutiennent les grévistes14. Après cette circulaire, le préfet de la Loire accepte de recevoir quelques membres du comité de soutien et d’accorder 10 BDIC, Fonds mémoires de 68, F Delta Res 576/ 5/9/9 : « La grève de la faim c’est tout ce qui nous reste ». 11 AN, 940560 article 31 : note blanche des renseignements généraux, 31 mars 1973. 12 La Tribune-Le Progrès, 10 avril 1973 : « Nous sommes menacés d’expulsion à tout moment.

Nous travaillons en France sans sécurité sociale, nous sommes entièrement dépendants du patron et nous vivons dans des taudis » 13 La Tribune-Le Progrès, 28 avril 1973. 14 AN, 940560 article 31 : circulaire REG/7 n° 73-270, 18 mai 1973, Raymond Marcellin aux préfets. 6 des papiers à tous les grévistes, à titre provisoire ; mais le provisoire deviendra définitif. Ces grèves d’ouvriers immigrés pour les cartes de travail ont été popularisées par la CFDT et divers collectifs militants.

Elles ont contribué à poser devant l’opinion publique la question de l’immigration avant que la crise économique ne la rende perceptible aux yeux de tous. Usines occupées Dans de nombreuses usines, des noyaux de jeunes ouvriers déclenchent des mouvements qui bloquent ou ralentissent la production de manière imprévue, qualifiés de "grève sauvage", "grève thrombose", "Grève bouchon", « qui préoccupent le patronat mais aussi les syndicats » comme le souligne un journaliste15.

Les directions d’entreprises font alors appel aux tribunaux pour des poursuites judiciaires individuelles, y compris de délégués syndicaux, ou pour obtenir des jugements en référé lors de l’occupation des locaux. C’est le cas par exemple à Cégédur, chez Jacquemart et à Peugeot Saint-Étienne exemple que je vais développer car c’est le long conflit chez Peugeot – 44 jours de grève – qui polarise l’attention et provoque un mouvement de solidarité sans précédent jusqu’alors.

L’entreprise Peugeot à Saint-Étienne est une grosse boîte de 1 127 salariés dont 191 mensuels (cadres, maîtrise, employés) et 836 ouvriers payés à l’heure, l’horaire de travail étant de 43 heures. Le 4 avril est déposé à la direction, un cahier de revendications élaboré atelier par atelier à partir des presses et de la tôlerie (ateliers d’OS) et approuvé par l’usinage (atelier d’OP), d’abord pour obtenir une diminution des cadences (elles sont passées de 14 pièces en une heure à 32 pièces en tôlerie), puis d’obtenir 1 500 Francs mensuels garantis pour tous pour 40 heures de travail (les primes sont liées aux cadences et le salaire de base faible (5 Francs à 5,50 Francs pour un OS2), une prime de fin d’année égale pour tous ainsi que des vêtements de travail.

Cette manière de faire a pour but de pallier l’échec de la grève des soudeurs en 1972 qui étaient partis seuls et qui n’avaient pas obtenu leurs revendications). Pour les OP1 et OP2 c’est le problème de blocage de la progression dans les classifications avec la création de postes de régleurs. Ensuite les ouvriers demandent aux trois syndicats de soutenir le cahier de revendications qui est adopté lors d’une assemblée générale (80 % des ouvriers) ; ils votent également à 15 Analyse de La Tribune - Le Progrès, lundi 16 avril 1973, p.3. 7 l’unanimité moins deux voix, l’occupation de l’usine sous réserve de l’approbation de l’équipe de l’après-midi et l’après midi les deux usines étaient occupées (une par des grévistes qui contrôlent ¾ des locaux, l’autre par les non-grévistes dans l’atelier des compresseurs et le Château l’espace de la direction et des bureaux)16 .

Face à ces événements la direction a une attitude très ferme et choisit l’épreuve de force Le 5 avril, lors de la réunion du comité d’entreprise, la direction refuse de prendre en compte le cahier de revendications, mais cite huit délégués en référé. Le 7 avril le Tribunal ordonne l’évacuation des locaux. Le préfet refuse de faire appliquer la décision par les forces de l’ordre et un cadre de la direction générale de Peugeot (François Cusey) arrive à Saint-Étienne.

Avec le directeur de l’usine, Jean Charrel, il prépare un plan B pour libérer la production de pompes à huile indispensables pour le montage à Sochaux des 304 et des 504 dont la production a déjà baissé de 50 unités/jour du fait de la grève. L’organisation du travail est en effet en flux tendu avec les autres usines du groupe. Le 10 avril : sept ouvriers sont licenciés pour entraves à la liberté du travail ; et une reprise partielle du travail (230 ouvriers) a lieu à l’atelier compresseur et à l’atelier mécanique17 .

Le 11 avril, le licenciement de quatre délégués est demandé au Comité d’entreprise ; Le 12 avril à 3 H 30 du matin l’intervention brutale d’un groupe d’hommes armés déloge la cinquantaine d’ouvriers qui constituaient les piquets de grève18. Le général Feuvrier, responsable à Peugeot des opérations spéciales a mobilisé dans les différentes usines un groupe de 53 hommes, des ouvriers dévoués à la direction, pour reprendre l’usine stéphanoise aux grévistes, faire sortir les matrices qui permettront de faire fonctionner les chaînes ailleurs.

Dix hommes de main sont recrutés dans une société d’intérim et d’autres individuellement (anciens paras et anciens de l’OAS). Au total 70 hommes. Mais ils n’arrivent pas à remettre en route les machines et à charger les camions pour récupérer les matrices. Au petit matin, 200 ouvriers nongrévistes constatent les traces des bagarres de la nuit et refusent de reprendre le travail.

Devant 16 BDIC, Fonds Mémoires de 68, Cahiers de Mai, cahier C Peugeot 1973. 17 La Tribune-Le Progrès, 10 avril 1973 18 Voir analyse précise dans L’Unité, vendredi 25 avril 1975. Enquête de Claude Angeli et Nicolas Brimc publiée aux éditions Maspero. Un transfuge de la CFT fournira tout un dossier à la CGT en décembre 1973. 8 l’usine des milliers d’ouvriers affluent et conspuent les « jaunes » appelés aussi les « renards ».

Échec donc de la remise en route et isolement des mercenaires appelés les « Katangais » (s’interroger sur la dénomination) qui réussissent à sortir à 15 heures protégés par les forces de l’ordre. Les délégués s’interposent entre les CRS et la foule. Une très importante manifestation de solidarité se déroule l’après midi aux abords de l’usine (entre 15 000 et 20 000).

Mais ce chiffre est aléatoire, car ouvriers et ouvrières débraient en masse et affluent toute la journée, de la ville même comme des usines de l’Ondaine et du Gier pour soutenir les grévistes de Peugeot expulsés violemment de leur usine dans la nuit du 11 au 12 avril par un commando. Les heurts ont été violents ; il y a un blessé grave, un ouvrier portugais venant de Sochaux est hospitalisé. Les responsables syndicaux détournent entre 2 000 et 3 000 manifestants vers la place Bellevue tandis que 50 ouvriers, la plupart des jeunes, connaissant bien le terrain, pénètrent de nouveau dans l’usine par l’arrière en passant par les Bennes Marrel.

Ils surprennent les dix hommes encore là qui doivent être évacués prestement dans un car de police dont les vitres sont brisées. L’amnistie présidentielle de juillet 1974 et une ordonnance définitive de non-lieu rendue le 17 décembre 1974 par le procureur de la République, innocenteront définitivement les 37 membres du commando dont les noms étaient connus de la police. Le lendemain 13 avril débutent les négociations, « avec lenteur » titre de façon prémonitoire La Tribune - Le Progrès, avec comme intermédiaire l’Inspection du travail.

Le préfet adopte une attitude plus conciliatrice après la visite d’élus communistes et socialistes venus protester contre l’intrusion des milices patronales contre les grévistes. Le 2 mai, à la demande de la direction, 180 cadres et mensuels et environ autant d’ouvriers se présentent à l’usine pour travailler. La rentrée a lieu sans gros problème, malgré le piquet de grève mais à la sortie des échauffourées ont lieu avec les grévistes, crachats, une douzaine de blessés légers, etc., les chefs sont poursuivis dans la rue jusqu’à leur domicile.

Le 3 mai la grève est totale. Le 15 mai un pain de plastic est déposé devant la maison où habite la famille de Bernard Charbonnier, l’un des jeunes activistes de la grève chez Jacquemard, qui a été licencié. Pas de victime mais la maison est inhabitable. 9 Négociations Un mois après le début du conflit, le 4 mai la direction abandonne le préalable de la reprise du travail pour débuter les négociations. Le 8 mai le député maire de Saint-Étienne intercède auprès du ministère et de la direction générale de Peugeot et les syndicats CGT et CFDT sont reçus par le ministre du travail, Georges Gorse.

Les négociations reprennent alors sous la houlette de l’Inspection du travail et d’un médiateur. Le dernier piquet de grève est mis en place le 18 mai 1973 à 4 heures du matin, devant de nombreuses forces de l’ordre. Les non grévistes entrent sans incident. Au final, la déception est grande, mais le protocole d’accord a été approuvé à mains levées (moins 12 contre) le vendredi 18 mai 1973, et l’unité a été préservée : Les acquis sont minces sauf sur les sanctions : pas de licenciement, pas de mise à pied et pas de mutation

 Les procédures engagées devant les prud’hommes iront à leur terme « la direction de Peugeot n’a pu imposer sa loi. Ce sont les tribunaux de la république qui jugeront » analyse le responsable CGT Mr Fournier19 . Les salaires et paiement des jours de grèves : question très difficile, peu a été obtenu et l’annonce de ce peu provoque un tollé général dans la salle. Les jours de grève sont avancés mais seront remboursables ; l’augmentation de 11 centimes pour les ouvriers non postés et de 17 centimes pour les ouvriers postés, avec majoration de 2% en fin d’année 1973.

Le sort du 1er mai jour chômé et, en principe payé, n’est pas réglé, ce qui choque particulièrement les travailleurs. Le bilan dressé devant eux par les responsables syndicaux est nuancé, mais pessimiste20 . Le travail reprend le lundi 21 mai après 44 jours de grève ; la rentrée se fait dans l’unité derrière une banderole commune intersyndicale. 19 La Tribune-Le Progrès, 19 mai 1973. 20 Beaubet de FO reconnaît que la grève n’a pas obtenu les résultats escomptés et « que nous n’avons pas réussi à obtenir ce que nous avions eu en 1968 et 1969 ».

Pour Mr Fournier de la CGT « on ne pouvait guère aller plus loin, et d’autres discussions auront lieu après la reprise du travail sur les conditions de travail, le 13e mois et les taux de retraite au comité central d’entreprise ». Mr Granger pour la CFDT précise que « c’est parce que nous avons du évacuer l’usine que nous avons perdu. Car les pompes à huile se montent ailleurs ; nous n’avons pas gagné sur les revendications mais sur les sanctions ». 10

Pour conclure rapidement Les répertoires d’action utilisés au printemps 1973 dans les entreprises sont conformes au régime de conflictualité des années 68, du fait des revendications mises en avant : volonté de discuter des conditions et de l’organisation du travail (horaires, hiérarchie, remise en cause des cadences, absence de qualification voire déqualification pour les OS et les OP) avec une territorialisation sur l’atelier, le collectif primaire de travail.

En plein conflit Peugeot, la presse publie un sondage selon lequel 84 % de la population de la région est favorable à un assouplissement de la législation sur l’avortement et une majorité se prononce pour l’extension de la pratique de la contraception21. Une spécificité stéphanoise : le GLACS (Groupe pour la liberté de l’avortement et de la contraception de St Étienne) fondé au printemps 1973 est animé par des médecins22, dont le Dr Poty proche du parti communiste, par une responsable locale du PSU Huguette Bouchardeau, alors professeur de philosophie, et par des membres de la Ligue communiste23.

Si ce combat n’est pas particulièrement relié au monde ouvrier organisé, même si de nombreuses ouvrières avaient aussi recours au GLACS pour avorter, on relève quasiment la même configuration militante que dans les comités de soutien des différents mouvements. Les OS immigrés de chez Peugeot (la plupart Algériens) n’ont pas soutenu particulièrement les grévistes de la faim tunisiens.

S’il y a bien eu au printemps 1973 coconstruction des luttes, il ne s’agit pas d’une convergence comme l’écrivait alors la CFDT. Coconstruction essentiellement par l’intervention de militants de soutien qui se trouvaient sur tous les fronts, à l’intersection de plusieurs conflits, malgré leurs divergences idéologiques et politiques en temps ordinaire.

Militants syndicaux de la CFDT ou militants politiques du PSU et des organisations d’extrême gauche avec une dimension générationnelle non négligeable – les jeunes sont omniprésents – du fait de ce que Julie Pagis appelle « la disponibilité biographique ». S’il n’est pas le 68 stéphanois, le printemps 1973 appartient donc bien par son régime de contestation aux années 68. 21 La Tribune - Le Progrès, samedi 14 avril 1973. 22 La Tribune-Le Progrès 13 septembre 1973, conférence de presse du GLACS (Dr Poty) ; Le Monde du 16 septembre 1973 annonce à la suite de cet article l’ouverture d’une information judiciaire. 23 La Tribune - Le Progrès du 4 décembre 1973 donne le bilan de son action : mille avortements ont été pratiqués dans la Loire sur des femmes dont l’âge, la profession et le statut matrimonial sont fort divers.

matrimonial sont fort divers.

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19 janvier 2021 2 19 /01 /janvier /2021 02:07
Publié le 3 janvier 2021 | Maj le 5 janvier 2021

Appel à solidarité avec la traversée navale zapatiste !

 

1- Le sens du voyage Zapatiste, pourquoi le Chiapas traverse l’océan Atlantique 

Après 500 ans de colonisation du Mexique, les zapatistes – communautés indigènes du Chiapas qui construisent leur autonomie depuis le soulèvement de 1994 – et le Congrès National Indigène – qui rassemble les peuples autochtones en lutte contre leur extermination et contre le saccage capitaliste – ont décidé de traverser l’océan Atlantique.

Cette grande délégation (d’au moins une centaine de personnes) constituée en majorité de femmes, voyagera en Europe pour exprimer que les communautés autochtones du Mexique n’ont toujours pas été conquises, mais aussi rencontrer les luttes européennes sur leurs territoires afin de tisser des alliances et partager des convictions et énergies communes : la défense de la vie, l’autonomie politique et le combat contre toutes les formes de domination.

Un communiqué (en six parties) traduit en plusieurs langues est progressivement publié sur le site ENLACE ZAPATISTA

2- La traversée de l’Atlantique :

Une partie de cette délégation, suivant la place que nous pouvons trouver sur les bateaux qui veulent traverser, embarquerait au mois d’avril, si toutes les conditions sont réunies (météorologiques, logistiques...).

Après de nombreuses rencontres avec différentes luttes en Europe, l’un des objectifs est d’être à Madrid pour le 13 août, cinq cent ans après la prise de Tenochtitlan par Hernán Cortés et son armée en 1521.

Leur traversée permettra de donner de la visibilité à ce voyage historique, cinq siècles après le pillage espagnol, et donnera plus de portée aux revendications de ces communautés en lutte.

3- Appel à contribution :

Pour organiser cette traversée, nous recherchons des bateaux, des équipages, des financements et des équipements (vestes et pantalons de quart, bottes, gants, et tout autre matériel technique).

Pour le moment nous avons quelques pistes de "vieux gréements modernes" mais rien n’est confirmé à ce jour. L’option la plus sûre est un très grand voilier situé sur la côte pacifique. Les autres options seraient des locations de bateaux pouvant transporter quelques dizaines de personnes pour un tarif d’environ 100 000 euros aller/retour avec un équipage en partant d’Europe.

Actuellement nous ne pouvons pas assurer ce budget, donc nous avons besoin de vos dons et soutiens ! Pour contribuer vous pouvez entrer en contact avec le comité d’organisation francophone via l’adresse email : unemontagnesurlamer chez riseup.net

Des souscriptions et une cagnotte seront bientôt lancées, et nous aurons besoin d’un maximum de soutien !

Il serait enthousiasmant d’organiser cette traversée avec des bateaux originaires de diverses régions d’Europe. Mais le plus simple serait de parvenir à trouver des bateaux déjà présents autour du golfe du Mexique disponibles pour cette traversée.

Si vous avez des contacts dans les réseaux de convoyage ou des contacts de bateaux l’autre côté de l’océan : location, prêt, donation, prêt solidaire ou vente, que vous êtes ou que vous connaissez des capitaines, mousses, ou personnes motivées pour aider à la traversée, vous pouvez nous contacter au mail : unemontagnesurlamer chez riseup.net !

Si nous ne trouvons pas de convoyages ou de meilleurs tarifs de location, nous pourrions envisager de faire un appel à don pour racheter un gros bateau, s’il est en condition de naviguer et accessible avec le budget que nous aurions collecté. Ce qui permettrait à la délégation zapatiste de continuer son voyage vers les autres continents, et éventuellement par la suite de faire du fret avec le café zapatiste.

Pour l’heure aucune de ces options n’est encore à notre portée économique, raison pour laquelle nous vous proposons une collecte de fonds pour la location, l’achat ou les coûts occasionnés par la traversée.

Merci de faire circuler l’info !

4- Flotille de paix et flotte d’accueil :

La possibilité est ouverte d’accompagner les bateaux zapatistes en naviguant à leur côté tout au long de ce périple.

La décision du point d’arrivée de cette flotte n’a pas encore été prise : Espagne, France...? Façade atlantique ou méditerranéenne ? Mais il serait magnifique de venir accueillir cette délégation exceptionnelle ! Nous proposons à toutes les personnes qui ont accès à un bateau et qui souhaitent contribuer à un monde plus juste, de venir accueillir la délégation navale zapatiste quand elle arrivera en Europe à la fin du printemps.

Contactez-nous, nous relayerons les informations au fur et à mesure.

5- Merci de diffuser ce message dans vos réseaux !

Pour entrer en contact avec l’organisation de la traversée vous pouvez écrire à unemontagnesurlamer chez riseup.net ou appeler le 07 58 92 55 74

6- Un voyage né d’une longue histoire

La venue de la délégation zapatiste s’inscrit dans une histoire longue ponctuée de nombreux événements tournés vers l’extérieur, leur ayant permis de faire connaître leurs combats et de nouer des liens avec toute une diversité d’autres luttes.

- 1er janvier 1994 : Soulèvement zapatiste au Chiapas. Des milliers de femmes et d’hommes des communautés originaires de ces terres, prennent les armes pour exiger démocratie, liberté et justice. Très vite, des pourparlers de paix se mettent en place.

- 1994-95 : Création du premier puis de cinq « Aguascalientes », centres de rencontres politico-culturels.

- 1996 : Rencontre Intercontinentale pour l’Humanité et contre le Néolibéralisme à la Realidad, Chiapas.

- 2001 : Marche de la dignité Indigène et des couleurs de la Terre dans tout le Mexique, culminant avec une manifestation monstre dans la capitale du pays rassemblant près d’un million de personnes pour la reconnaissance des droits et de l’autonomie des peuples autochtones.

- 2003 : Les « Aguascalientes » deviennent des « Caracoles », centres politico-culturels servant de lieux de réunion et de siège des nouveaux "Conseils de bon gouvernement" qui coordonnent les dizaines de municipalités autonomes et rebelles zapatistes.

- 2005 : Publication de la 6e déclaration de la forêt Lacandone, dite la "Sexta", qui appelle à une fédération des luttes "en bas à gauche", en opposition au système capitaliste.

- 2006 – 2007 : "L’Autre campagne" : face aux fausses promesses des élections présidentielles, les zapatistes décident de parcourir les 31 États du Mexique pour rendre visibles les résistances et rassembler les luttes.

- 2007 : Première et deuxième rencontre des peuples zapatistes avec les peuples du monde.

- 2013 : Création de l’Escuelita Zapatista : des milliers de personnes du Mexique et du monde entier sont invitées à partager le quotidien des familles et des communautés zapatistes et la construction patiente de leur propre autonomie (éducation, santé, coopératives, agro-écologie...)

- 2014 : Organisation avec le Congrès National Indigène du Festival mondial des rébellions et des résistances contre le capitalisme.

- 2015 : Séminaire international « Pensée critique face à l’hydre capitaliste ».

- 2016 – 2019 : Festivals artistiques CompArte por la Humanidad, rencontres scientifiques ConSciencias, Festivals de cinéma Puy Ta Cuxlejaltic, Festivals de danse « Balaite otro mundo », Forum en défense du territoire et de la Terre-Mère et Rencontres internationales de femmes qui luttent.

- Mars 2018 : Première rencontre des femmes qui luttent (plus de 8000 participantes dans le caracol de Morelia)

- Décembre 2019 : Deuxième rencontre des femmes qui luttent (plus de 4000 personnes dans le caracol de Morelia)

- Août 2019 : Création de nouvelles régions et municipalités autonomes zapatistes, portant à 12 le nombre de "caracoles" et de "conseils de bon gouvernement".

- 2021 / Viaje por la Vida ("le voyage pour la vie") : "pour la vie, nous parcourrons les cinq continents", nous partagent les zapatistes.

Merci de votre contribution à ce moment historique !

La commission navale francophone de l’organisation de l’accueil zapatiste

L’appel

- Première Partie : Une déclaration... pour la vie.

- Deuxième partie : Le bar

- Troisième partie : La mission

- Quatrième partie : Mémoire de ce qui adviendra.

- Cinquième Partie : Le regard et la distance avant la porte.

- Sixième partie : Une montagne en haute mer

P.-S.

Un peu partout en Europe, en France et en région parisienne, l’accueil de la traversée zapatiste s’organise peu à peu.

Tout reste encore en chantier, mais vous trouverez petit à petit plus d’infos sur le wiki de la coordination

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18 janvier 2021 1 18 /01 /janvier /2021 02:51
 

L’assemblée générale des travailleurs·euses de la culture appelle à rejoindre la mobilisation nationale du 19 janvier !

Nous travailleurs·euses de la culture, réuni·es en assemblée générale de lutte le 7 janvier 2021, constatons le marasme dans lequel est plongé notre secteur. Nos structures comme nos emplois se trouvent aujourd’hui menacés. Cette crise affecte déjà nos conditions d’existence et elle continuera à le faire dans les années qui viennent. Face à cette situation nous exigeons dès aujourd’hui des gestes forts du gouvernement :

  • Prolongation de l’année blanche jusqu’à un an après la reprise réelle du travail dans tous les secteurs
  • Retrait pur et simple de la réforme de l’assurance chômage
  • Aides massives au secteur, passant par un plan de relance ambitieux en concertation avec les salarié.es de la culture
  • Abaissement du seuil d’heures pour permettre aux primo-entrants et personnes en rupture de droits d’accéder plus facilement à l’indemnisation
  • Maintien de tous les droits sociaux (maladie, retraite, maternité, prévoyance, formation)
  • Arrêt des sacrifices de secteurs entiers au nom de la politique de prévention

Le gouvernement, plus enclin à offrir des cadeaux aux capitalistes, laisse les plus précaires d’entre nous sans solution. Il multiplie les aides au patronat sans investir dans la santé, l’éducation ou la culture. Nous refusons cette société.

Nous sommes solidaires de toutes celles et ceux que cette crise laisse encore plus sur le carreau. Face à cela, seule la lutte peut nous rendre victorieux·euses. C’est pourquoi nous appelons à une mobilisation le 19 janvier.

- Manifestation - 12h30 devant l’Opéra (Place de la comédie, 69002 Lyon)
- Assemblée Générale - 14h30 au théatre Comédie Odéon (6 Rue Grolée, 69002 Lyon)

Venez avec des masques couleur unis, barrés d’une croix, symbolisant notre mutisme forcé

L’assemblée générale des professionnels et étudiant.es des arts et de la culture du 07 janvier 2021

 

Documents associés à l'article :

Mardi 19 Janvier 2021

La culture ne doit pas payer leur crise

 12h30 - 14h00
 Opéra

1 place de la Comédie 69001 Lyon

Mardi 19 Janvier 2021

La culture ne doit pas payer leur crise

 14h30 - 16h00
 Théâtre de l’Odéon

6 Rue Grolée, 69002 Lyon

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16 janvier 2021 6 16 /01 /janvier /2021 18:46

« Des atomes et des keufs » - émission radio autour de la mémoire de la lutte antinucléaire dans le Bugey

 

Des militant-e-s luttant contre des projets de centrales dans les années 70 à Malville et au Bugey racontent leur expérience antinucléaire.


Danielle nous raconte comment c’était d’être une femme dans ces mouvements, Yves parle de la repression policière qu’iels ont subi-e-s, et au milieu de tout ça il y a des sons de rap de copaines...

 
 
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Radioradieuses est un petit collectif gravitant dans le milieu écolo, qui s’intéresse à plein de sujets, avec comme base commune la lutte contre les dominations : sur les corps, la terre, ou les esprits.


On a un créneau tous les deuxième jeudi du mois dans l’émission Zoom écologie sur Radio Fréquence Paris Plurielle (106.3 MHz en FM à Paris, écoutable en direct sur leur site www.rfpp.net).

On était en mixité choisie sans mecs cisgenres pour réaliser un premier épisode, qui tourne autour de la mémoire des luttes antinucléaires dans le Bugey dans les années 70, mais parle aussi de flics et de féminisme. Et puis le Bugey, c’est pas si loin de Lyon...

On a choisi de se pencher sur les luttes antinucléaires, parce que c’est un sujet qui nous tient à coeur et qui disparait derrière le mouvement écolo actuel, qui oublie peut-être un peu trop d’où il vient.


Ouais, parce que aujourd’hui, la voix des pro-nucléaires domine l’espace médiatique et politique en France. Que ce soit via les canaux de communication d’EDF, d’Orano ou de l’Andra, ceux de certain-e-s scientifiques à la mode parce que engagé-e-s pour l’écologie ou sur les chaînes de youtubeureuses connu-e-s, l’énergie nucléaire est défendue comme étant une énergie écologique, dont la production rejette peu d’émissions de gaz à effet de serre et donc comme une énergie d’avenir.

Face à eux, les luttes antinuke ont du mal à se faire entendre. Alors même que l’année 2021 va s’avérer cruciale, pour le développement ou non du nucléaire en France (présentation de nouveaux projets d’EPR, décision quant à la demande d’utilité publique de l’ANDRA pour étendre ses achats de terrains à Bure…), il devient urgent de faire entendre celles et ceux qui s’opposent à l’expansion de cette filière.

Parce que le nucléaire perpétue le colonialisme, que le nucléaire est socialement néfaste, que le nucléaire est lié à l’industrie militaire, que le nucléaire est corrompu, que le nucléaire criminalise ses opposantes, que le nucléaire nuit au vivant, que le nucléaire est une menace permanente d’accidents et de fuites, que le nucléaire présente des risques accrus dans un contexte d’instabilité sociétale, que le nucléaire empêche une politique de sobriété et d’efficacité énergétique, que le nucléaire ne résistera pas au changement climatique.

Bonne écoute !

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8 janvier 2021 5 08 /01 /janvier /2021 16:05

27 - 31 décembre 1969, le Weather Underground entre en clandestinité

 
 Almanach de Myrelingues  1 complément
 

Après la dissolution en 1969 de la plus grosse organisation étudiante de lutte contre la guerre au Vietnam des États-unis, la SDS, une partie de la jeunesse blanche se solidarise des luttes Tiers-mondistes. Ils forment une organisation clandestine soutenue par une importante organisation officielle et popularise le slogan Bring the war home ! [1].

Le documentaire qui suit intitulé « The Weather Underground » permet de recadrer la lutte armée aux USA dans le contexte général des luttes dans lequel elle s’inscrivait.
Création du Weather Underground .

Groupe révolutionnaire agissant sur le territoire des Etats-Unis d’Amérique, aussi connu sous le nom de Weathermen. Ce groupe apparait suite au dernier congrès national du Students for a Democratic Society(SDS) qui a lieu à partir du 18 juin 1969, et qui conduit à sa dissolution. L’un des tracts distribués est intitulé You Don’t Need a Weatherman to Know Which Way the Wind Blows. Celui-ci appelait à la création d’un mouvement révolutionnaire clandestin pour faire face à la répression grandissante d’un État Fédéral confronté au mouvement des droits civiques et à la protestation contre la guerre du Vietnam.

Il s’agissait aussi de se placer aux côtés des Black Panthers. Le SDS, qui regroupe à ce moments plus de 100 000 membres est le théâtre de violents affrontements politiques qui vont s’exprimer lors du congrès.

PDF - 121 ko
You Don’t Need a Weatherman to Know Which Way the Wind Blows

Suite au congrès, deux tendances apparaissent : Revolutionary Youth Movement (RYM) la plus importante en effectif et Worker Student Alliance (WSA). Les futurs membres du Weather Underground participent au RYM qui soutient l’alliance avec le Black Panthers Party et de façon générale le mouvement afro-américain au niveau national, et avec les mouvements de libération nationale et tiers-mondistes au niveau mondial.

De l’autre côté la WSA qui prône l’immersion des étudiants au cœur des luttes ouvrières, refusant la prise en compte de la question raciale au nom d’une conception orthodoxe de la lutte des classes entraînant le refus d’une lecture en terme d’oppression. [2]

Bring the war home !

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Un événement fondateur du Weather Underground eut lieu à Chicago en octobre 1969 lors des Days of Rage qui coïncident avec le procès des Sept de chicago [3].

Le SDS appelle à une manifestation offensive à Chicago à travers tout le pays pour le 8 octobre. Dans un premiers temps il y a une grande effervescence autour de la manifestation. Pourtant dans le parc de Chicago où ils devaient se réunir seuls quelques centaines de manifestants sont là (environ 800).

Une partie d’entre eux, environ 300, finissent pourtant par se décider et partent affronter le dispositif : 2000 policiers qui les attendent. L’émeute durera un peu plus de 30 minutes. Pourtant elle marque un tournant important dans la lente décomposition du SDS.

Lors du Flint War Council, officiellement nommé « SDS’s war council », qui eut lieu dans le ghetto noir de Flint entre le 27 et le 31 décembre 1969 en présence de 300 militants du SDS, le conseil prenait la décision de dissoudre le SDS et d’entrer dans la clandestinité.Seul un petit groupe bascule dans la clandestinité après cet événement et pratique la « propagande par le fait ».

Le Weather Underground - suite à un incident qui coûta la vie à trois membres du groupe début 1970 - utilisait le terme de « propagande armée » par contraste avec la « lutte armée ». Ils s’agissait de souligner le choix de ne pas viser des personnes lors de leurs attentats.

Au total, une trentaine de personnes seraient entrées en clandestinité fin 1969-début 1970, s’appuyant sur un réseau de plusieurs centaines, voire de milliers, de sympathisants, lequel fut structuré entre 1974 et 1975 dans le Prairie Fire Organizing Committee, organisation de masse légale et autonome à l’égard du Weather Underground. Ce qui valut au Wheathermen d’être considéré par J. Edgar Hoover comme « le groupe révolutionnaire le plus violent, le plus tenace et le plus pernicieux des Etats-Unis ».

Vous pouvez lire à ce sujet chez l’échapée Weather Underground : Histoire explosive du plus célèbre groupe radical américain

Le documentaire qui suit intitulé " The Weather Underground " permet de recadrer la lutte armée aux USA dans le contexte général des luttes dans lequel elle s’inscrivait. Le film est réalisé en 2002 par Sam Green et Bill Siegel.

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 Weather Underground Histoire explosive du plus célèbre groupe radical américain  Dan Berger L'échappée

sortie

2010

13 x 20 cm | 592 p. | 24 euros
isbn 9782915830200

Weather Underground

Histoire explosive du plus célèbre
groupe radical américain

Dan Berger

Traduit de l’anglais par Aurélie Puybonnieux

« Faisons la guerre chez nous ! » est le mot d’ordre lancé par le Weather Underground à la fin des années 1960. Ce groupe d’étudiants issus de la middle class américaine, révoltés par la guerre du Viêtnam et galvanisés par les luttes des Black Panthers décide de prendre les armes pour renverser le gouvernement. Leurs attentats contre le Capitole, le Pentagone, le département d’État, le FBI et leur spectaculaire libération de prison de Timothy Leary, le pape du LSD, les placent en tête des ennemis de l’État. Clandestins, pourchassés de toute part durant dix ans, la plupart de ses membres finiront par se rendre – certains sont encore en prison aujourd’hui.
Ce livre, fruit d’un travail de recherche minutieux et inédit et de nombreux entretiens avec d’anciens Weathermen, nous plonge dans l’histoire tumultueuse de ce groupe armé révolutionnaire. Il retrace la vie de ses membres, nous décrit leur quotidien de clandestins, détaille leurs objectifs politiques et dévoile leur stratégie militaire.
Il porte un regard distancié et parfois critique sur leur action et sur ces années de feu où tout paraissait possible, y compris qu’une poignée d’activistes déterminés attaque l’impérialisme là où il se croyait invulnérable.

 

 

 

 

 

 

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3 janvier 2021 7 03 /01 /janvier /2021 02:25

C’est tout le peuple de Lyon qui se révolte le 22 novembre 1831 !

Suite de l’article : 21 novembre 1831 : début de la révolte des canuts. Le 22 novembre 1831, l’insurrection des canuts prend de l’ampleur ...

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Dans la nuit du 21 au 22 novembre 1831, vers minuit, une bonne centaine d’ouvriers de la Guillotière et des Brotteaux décident d’aller renforcer ceux de la Croix-Rousse. Ils se glissent sur une digue située en aval du pont de la Guillotière, évitant ainsi le poste de garde nationale placé à la tête du pont.

Ils vont jusqu’au confluent et traversent la Saône au pont de la Mulatière, contournent la presqu’île et gravissent la montée de Choulans. Arrivés à Saint-Just, prévenus, des ouvriers de Saint-Just, de Saint-Georges, du Gourguillon, viennent grossir le groupe et poursuivent par Trion et Champvert pour descendre à Vaise, où d’autres encore les rejoignent quand ils sont arrêtés par la garde nationale.

Les canuts rebroussent chemin et traversent les terres au bas du chateau de la Duchère pour arriver au pont de Rochecardon. Une compagnie de la garde nationale de Saint-Didier-au-mont-d’Or bivouaque là.

« Qui vivent ? » s’écrient les gardes nationaux. « Ouvriers » répondent d’une voix forte les premiers de la bande aux gardes qui livrent le passage. Cette troupe gagne Saint-Rambert, où des ouvriers de la manufacture de la Sauvagère la rejoignent. Elle repasse ensuite la Saône sur le pont de l’Ile Barbe et par la montée de Cuire, grimpe à la Croix-Rousse. Ils sont maintenant 350 quand ils débouchent sur la place de la Croix-Rousse.

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La venue de ces hommes dont beaucoup avaient dû faire un détour d’une bonne vingtaine de kilomètres, relève le moral des courageux habitants de la Croix-Rousse qui les appellaient de tous leurs voeux. D’autres ouvriers arrivent de Collonges, de St Cyr et on en attend de Tarare, de Thizy, de Vienne et Saint-Étienne...

Pour les émeutiers qui ont veillé fièvreusement dans la nuit et le froid, voilà une rasade de fraternité qui brûle les veines, chasse l’angoisse et balaie le découragement. Ce renfort spontané marque le sommet de la révolte des canuts, et la grande solidarité des travailleurs lyonnais constitue la première et éblouissante illustration d’un combat pour la justice.

Après qu’il ait promis d’agir en vue d’un cessez-le-feu, les insurgés relâchent le préfet puis le général Ordonneau plus tard dans la nuit.

Vers 5 heures du matin en ce mardi 22 novembre, les hostilités reprennent. Les ouvriers ont fortifié leurs positions et ils résistent victorieusement aux assauts des troupes de lignards. Solidement installés derrière leurs barricades, embusqués aux fenêtres de hautes maisons des pentes, ils infligent des pertes terribles à leurs adversaires dont le moral fléchit d’heure en heure.

Dans la matinée, de nouveaux foyers d’insurrection se créent en différents points de Lyon. Les ouvriers de Saint-Just désarment le poste de la barrière, et contrôlent le télégraphe, privant ainsi le gouvernement d’informations précises en provenance de Lyon. D’autres ouvriers de la rive gauche du Rhône et de la rive droite de la Saône se sont engagés dans la révolte et un feu nourri accable les militaires installés sur les quais de la presqu’île.

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Barricade
Place des Bernardines - 22 novembre 1831

Des ouvriers de toutes professions, de tous les quartiers de la ville se soulèvent à leur tour. L’insurrection devient générale. Le tocsin sonne à St Paul, mais aussi à St Pothin. Les masses s’ébranlent. Les rues, les places, les quais se hérissent de barricades. On attaque les corps de garde occupés par la garde nationale ou par l’armée, ainsi que les pavillons de l’octroi. Plusieurs deviennent la proie des flammes. Ce n’est plus une émeute, c’est une révolution.

Vers onze heures et demi, sur la place des Célestins, se forme un rassemblement de quinze à vingt jeunes gens, en partie des enfants, sans souliers et armés seulement d’une ou deux haches et d’un ou deux fusils. Ce sont pour la plupart des décrotteurs qui se tiennent d’ordinaire à la porte du théâtre. L’un d’eux tient une épée sans poignée provenant du pillage d’une armurerie passage de l’Argue. Ils vont d’armurerie en armurerie et se constituent ainsi une quincaillerie.

L’hôtel de la monnaie, rue de la Charité, est pris, avec l’aide des modères, crocheteurs et autres mariniers, mais aucun sou n’est dérobé alors que le directeur leur dit qu’il s’y trouve quinze cent mille francs en or.

A partir de midi et demi, les ponts du Rhône et de la Saône tombent sous la pression des insurgés. Des barricades jalonnent toute la ville, des magasins d’armurerie sont pillés, des armes enlevées aux gardes nationaux et aux soldats désemparés. L’arsenal est investi, la poudrière de Serin capitule, l’étau se resserre autour de l’hôtel de ville.

 

23 novembre 1831 : le peuple de Lyon maître de la ville depuis 3h du matin

 

 Révolte des canuts

 

Le 2 frimaire de l’an 40, l’Hôtel de ville de Lyon est aux mains des canuts, des ouvriers et de tout le peuple insurgé. Durant plus d’une semaine, Lyon est une cité libre, une cité ouvrière. Mais le 3 décembre la réaction s’abbat sur la ville faisant plus de 600 morts. La devise « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ! » prend alors tout son sens.

La nuit du mercredi 23 novembre

Dans la nuit du 22 au 23 novembre les ouvriers tiennent l’ensemble de la ville, à part un tout petit secteur où se trouve l’Hôtel de ville qui est complètement encerclé. Vers minuit, le général Roguet réunit le corps municipal et plusieurs officiers, en présence du préfet, pour prendre des mesures face à la situation intenable pour eux. Dès 2 heures du matin, ils décident de battre en retraite et de s’enfuir avec ce qui reste des troupes jusqu’au fort de Montessuy. Dans cette retraite, gênés par les barricades, les soldats sont pris sous le feu des ouvriers qui croient à une diversion.

Au petit matin, prise de l’hôtel de ville de Lyon

A l’Hôtel de ville, ce sont les détenus enfermés depuis la veille dans les caves qui, réveillés par le bruit des chevaux au départ de la troupe, constatent à leur grand étonnement que le grand édifice est vide. Ils préviennent des ouvriers. Tout à coup, beaucoup de monde rapplique et une fièvreuse animation s’empare du bâtiment.

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Un gouvernement insurrectionnel, composé surtout de volontaires du Rhône, s’organise en se proclamant état major provisoire. Il vote une déclaration commune, après moultes débats et amendements, et proclame la déchéance et le renversement des autorités légitimes.

La déclaration débute par :

« Lyonnais,
Des magistrat perfides ont perdu de fait leurs droits à la confiance publique ; une barrière de cadavres s’élève entre eux et nous, tout arrangement devient donc impossible. Lyon, glorieusement émancipé par ses braves enfants... »

... et se termine par :

« Tous les bons citoyens s’empresseront de rétablir la confiance en ouvrant les magasins. L’arc-en-ciel de la vraie liberté brille depuis ce matin sur notre ville. Que son éclat ne soit pas obscurci. Vive la vraie liberté. »

Le but de cette déclaration, faite sous serment, était de mettre en place une magistrature populaire émanant de comices et d’assemblées primaires.

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Serment de l’hôtel de ville - 23 novembre 1831

Une police ouvrière est hâtivement constituée. Mais quel contraste quand on voit des ouvriers en haillons monter la garde devant la caisse des banquiers absents tandis que les fabricants complotent la contre-révolution dans le camp du général Roguet.

Pour ainsi dire, aucun pillage n’a eu lieu, sauf celui décidé collectivement pour la maison Oriol, sur le quai St Clair, dans laquelle le propriétaire avait autorisé les soldats à tirer sur les ouvriers du haut des fenêtres. Là le mobilier, les livres de compte, les étoffes, tout a brûlé et on a bien bu tout le vin qu’il y avait dans la cave.

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Devant la maison Oriol, quai St Clair, le 23 novembre

Le préfet, resté à Lyon dans sa préfecture, tente de susciter la division au sein des ouvriers. D’ailleurs il y parviendra.

Pendant toute la journée l’hôtel de ville est en pleine ébullition, et des discussions sévères ont lieu entre les partisans de rester fidèles aux institutions et les partisans de changer de régime. Les révolutionnaires ont le pouvoir en main avant que les conditions nécessaires à l’exercice du pouvoir ne soient mûres...

La solidarité

La solidarité ouvrière s’organise aussitôt. Un exemple, cette souscription ouverte dès 5 heures du matin pour les familles où il y a eu des morts ou des blessés. Et ce qui est à noter c’est que cette caisse de solidarité, mise en place dans l’urgence, va perdurer plusieurs années pour continuer à soutenir de façon régulière les familles éprouvées pendant la révolte des canuts, comme en témoignent les journaux de l’époque et notamment l’Écho de la fabrique.

SOUSCRIPTION POUR LES OUVRIERS BLESSÉS
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Lyon, le 23 novembre 1831, 5 heures du matin

La malheureuse collision que nous avons voulu prévenir, que nous aurions voulu éviter au prix de notre sang, a enfin cessé. Après un feu qui a duré une partie de la nuit, les troupes se sont retirées et la population ouvrière est restée maîtresse de la ville. Le feu avait été mis à deux maisons, mais il n’a pas fait de ravages ; les boutiques seules ont été endommagées.

Mais de grands malheurs ont été le résultat de ces deux journées ; des familles déjà en proie à la misère ont perdu leurs chefs, leurs soutiens. Un grand nombre d’ouvriers se trouvent privés de membres qui leur servaient à nourrir leurs femmes et leurs enfants.

Lyonnais, resterons-nous insensibles à tant de maux ? Non : nous viendrons par de prompts secours leur porter un remède efficace. Catholiques de toutes les classes, riches Lyonnais qui avez la noble habitude de partager votre fortune avec les malheureux, c’est à vous que nous nous adressons. Nous recevrons le denier de la veuve. Mais le mal est grand, et vous seuls pouvez y porter des secours proportionnés aux besoins de nos frères qui souffrent.

Une souscription est déjà ouverte au bureau de la Gazette du Lyonnais. De fortes sommes sont déjà assurées. Une commission prise parmi les personnes les plus honorables de notre ville se chargera de la distribution.

Si, comme nous l’espérons, cette somme dépasse celle qui peut être nécessaire aux besoins les plus pressants, une partie pourra être employée à retirer du mont-de-piété les objets que l’hiver rend indispensables aux ouvriers malheureux.

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Lyon, imprimerie de Th. Pitrat

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Souscription

Le jeudi 24 novembre

Lyon est calme, même si l’effervescence est visible partout dans la ville et notamment à l’hôtel de ville, où les discussions sont chaudes entre des politiques et des ouvriers qui semblent embarrassés de leur victoire soudaine. Le préfet continue son oeuvre de récupération en flattant les ouvriers.

L’état major provisoire, où ne siègent pratiquement pas de canuts, cède la place à un « conseil des seize », composé des chefs de section qui avaient été élus par les canuts dans chaque quartier pour exiger « le tarif ».

Ce conseil décide de collaborer avec le préfet et les anciennes institutions en place. Néanmoins, c’est bien ce conseil ouvrier qui a la véritable autorité sur la ville, et qui réussit à faire régner l’ordre et mettre en place le tarif. L’ambiance est à la conciliation, comme en témoigne même ce qu’en dit L’Écho de la Fabrique.

A Paris, comme toujours, on ne comprend pas ce qui se passe à Lyon, et les députés, qui sont tous de riches possédants, prennent peur et en appellent au roi en exigeant la plus extrême sévérité. Louis-Philippe envoie son fils, le duc d’Orléans, et le ministre de la guerre, le maréchal Soult avec des consignes précises : dissolution des corporations d’ouvriers, annulation du tarif, désarmement de la population.

L’amertume des Lyonnais

Jusqu’à présent, pendant ces journées de novembre, il y a 69 morts et 140 blessés du côté civil, et environ une centaine de morts et 263 blessés du côté militaire.

La répression est en route sur Lyon. Le 1er décembre, c’est le général Castellanne qui arrive le premier par les hauteurs de Saint-Just, pour mater cette ville de Lyon avant Soult et le duc d’Orléans, le 3 décembre, avec des troupes qui arrivent de tous côtés.

Ce sont 30.000 soldats qui quadrillent cette ville de 180.000 habitants. Le tarif est annulé, pour le bonheur des fabricants de soierie, et on va même jusqu’à annuler les livrets professionnels des ouvriers.

Le préfet Bouvier-Dumolard est limogé et remplacé par Gasparin, chargé de l’énorme répression qui va s’abattre sur Lyon : on comptera 600 morts supplémentaires et plus de 10.000 personnes furent expulsées de la ville. Peu de temps après, de nouvelles fortifications étaient construites tout autour de Lyon pour pouvoir mieux combattre l’ennemi intérieur (c’est à dire les ouvriers dorénavant) : fort Lamothe, de Saint-Irénée, de Montessuy, de Serin, de Vaise, de Bron...

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Plan de Lyon et son agglomération en 1833 avec la construction de Forts, non pas pour se protéger de l’ennemi extérieur, mais contre les ouvriers lyonnais (cliquer 2 fois)

Louis Blanc s’exclama : « Ainsi, des canons pour remédier aux maux de la concurrence ; des forteresses pour réduire une foule de malheureux offrant du travail sans autre condition que de ne pas mourir de faim ; des soldats, pauvres armés pour contenir des pauvres sans armes... ministres, députés, pairs de France, ne paraissent pas connaître de meilleurs moyens de gouvernement. »

Voilà comment Mme Desbordes-Valmore retraçait la révolte des canuts : « Ce peuple affamé, soyez-en sûr, a été retenu par l’impossibilité d’être méchant. Cet immense phénomène n’a été signalé par personne, mais j’ai senti plusieurs fois fléchir mes genoux par la reconnaissance et par l’admiration. Nous attendions tous le pillage et l’incendie, et pas une insulte, pas un pain volé ! C’était une victoire grave, triste pour eux-mêmes, qui n’ont pas voulu en profiter. »

Le commencement d’une ère nouvelle, la naissance d’un droit ouvrier

La révolte des canuts a eu un retentissement mondial et a certes aidé ensuite à ce que la Commune de Paris et d’autres luttes puissent exister. Mais elle-même n’aurait sans doute pu éclater si d’autres révoltes n’avaient eu lieu déjà à Lyon comme la grande rebeyne, le grand tric des imprimeurs..., et toute la lutte pour le tarif qui s’est menée par les canuts dans les émeutes de 1744 et de 1786, avec Denis Monnet et bien d’autres.

Pour le premier anniversaire de cette révolte, L’Écho de la Fabrique, dans un numéro encadré de noir, prononçait ainsi l’oraison funèbre des canuts morts en combattant :

« Vivre en travaillant ou mourir en combattant !

Dormez en paix, victimes de novembre ! Que la terre vous soit légère !… Votre sang a fécondé le sol où doit croître l’arbre de l’émancipation des prolétaires… Une auréole de gloire ne ceindra pas vos tombeaux inconnus… Ah ! vous n’eussiez pas voulu d’une gloire souillée du sang de vos concitoyens… Votre mémoire cependant ne sera pas oubliée dans l’histoire du prolétariat… L’avenir est dévoilé !… Je vous l’annonce… vos neveux auront cessé d’être les ilotes de la civilisation... »

 

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3 janvier 2021 7 03 /01 /janvier /2021 01:02

Face au colosse de la vente en ligne, une partie de l’édition française a décidé d’entrer en résistance : elle ne distribuera plus ses livres sur Amazon. Plus qu’un conflit purement mercantile, un choix de société.

Par Juliette Iturralde {JPEG}

Une brise de révolte souffle sur l’édition française. « Nous ne vendrons plus nos livres sur Amazon. Son monde est à l’opposé de celui que nous défendons. Nous ne voulons pas voir les villes se vider pour devenir des cités-dortoirs hyperconnectées. Amazon est le fer de lance du saccage des rapports humains et de l’artificialisation de la vie. » Ainsi commence l’appel lancé le 11 novembre dernier par plus de cinquante petites maisons d’édition et leurs structures de diffusion-distribution.

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En France, les grands de la distribution de livres se comptent sur les doigts d’une main. Et dès son apparition sur le marché, Amazon fut accueilli en star dans leur bergerie, sans que les maisons d’édition aient de droit de regard sur les marges négociées : chasse gardée des distributeurs, avec pour prétextes le secret commercial et la législation interdisant le refus de vente.

Pas grave, parièrent nombre d’éditeur·trices – un revendeur de plus pour leur marchandise. Depuis, Internet est devenu la première librairie du monde. Les deux tiers des livres y sont vendus, à 70 % par Amazon.

La durée de vie d’un livre est de seulement quelques mois en librairie généraliste et le retour des invendus au distributeur, en échange d’un avoir sur une prochaine commande, doit être effectué sous un an : passé ce délai, le ou la libraire garde les ouvrages et les achète en ferme. Pari risqué vu le nombre exponentiel de nouveautés publiées.

Dans ces conditions, seule une entreprise avec de grandes capacités de stockage, qui fait son beurre sur l’électroménager et ose vendre du bouquin à perte [1], peut fournir n’importe quel titre sans devoir passer par la case « attendre que votre commande arrive en librairie ». Frédéric Duval, PDG d’Amazon France, le confirme : « Nous vendons plutôt du fonds de catalogue et les libraires sont dans la nouveauté. Je schématise, mais 70 % des livres vendus par Amazon ont plus de deux ans. » [2]

La situation de quasi-monopole dont jouit le géant a enfermé le monde de l’édition dans une inquiétante dépendance : le choix de publier un livre pourrait ne plus être fonction de son contenu mais de sa rentabilité escomptée… via les algorithmes d’Amazon. C’est donc le modèle économique de la firme qui dicterait les parutions.

Le groupe des 451, éphémère fédération militante des divers métiers du livre, alertait déjà sur de tels risques en 2014 : « Un point de non-retour a été franchi  : la création littéraire et la critique se retrouvent dans une situation inédite d’allégeance vis-à-vis d’un seul et unique vendeur, lequel peut désormais, selon son bon vouloir, augmenter ses marges et infléchir les choix des diffuseurs et des éditeurs. » [3]

***

Hobo Diffusion, signataire de l’appel du 11 novembre dernier, en a fait les frais : « Nous avons soutenu notre distributeur, Makassar, quand, en juin 2019, Amazon a voulu lui imposer une nouvelle remise d’achat, bien supérieure à celle proposée aux libraires indépendants avec lesquels nous travaillons. C’était la goutte de trop. Nous avons donc décidé ensemble de ne plus mettre en vente sur cette plateforme les ouvrages que nous diffusons. »

Il aura fallu attendre la crise du Covid et les pleins phares sur la vente à distance pour que cette situation soit rendue publique. « Les librairies prennent aujourd’hui la mesure de la tornade Amazon. Les petites éditions ont avec elles cet ennemi en commun. Affirmer notre opposition au diktat de la firme, c’est ouvrir la possibilité de faire front commun. »

Autre diffuseur-distributeur à signer cet appel, Serendip : « Nous n’avons jamais vendu sur Amazon, et les éditions que nous représentons approuvent. Comme nous sommes modestes, on est passés entre les mailles du filet : nous n’avons jamais eu de contact avec la firme. En montant notre boîte, nous voulions nous inscrire dans la chaîne du livre, ses métiers et savoir-faire. Négocier avec Amazon, c’est d’emblée détruire ça : les liens humains avec libraires, éditeur·trices, livreur·euses, etc. »

Si le ver semble n’avoir laissé que le trognon aux indépendant·es, l’éditeur Zones sensibles a imaginé une résistance à coups de pépins. Cette petite structure belge a trouvé la malice : mettre le code-barres à l’intérieur de la couverture des livres. Ce simple geste demanderait trop de manipulations aux scanneurs de Jeff Bezos, et rend impossible le référencement des produits.

« Je me voyais mal publier des livres qui fustigent le monde proposé par Amazon et continuer à l’alimenter. Mais je ne suis pas le chevalier blanc qui apporte la solution magique. Je peux me permettre cette astuce car Zones sensibles est une petite maison. Les plus grosses, qui ont beaucoup de salarié·es, sont coincées. »

***

« Les géants du numérique, ce sont aujourd’hui les adversaires des États », déclarait le ministre de l’Économie Bruno Le Maire début novembre. Peut-être. Mais l’État n’est pas l’ennemi d’Amazon. Depuis 2007, le libertarien Jeff Bezos a ouvert 25 sites en France (le plus grand fait 142 000 m2) en bénéficiant souvent de plusieurs dizaines de millions d’euros d’aides publiques pour leur implantation.

En 2021, 11 nouveaux projets sont en cours – accélération vertigineuse. Les élu·es se targuent à l’occasion d’apporter de l’emploi dans leur région, niant l’avalanche de rapports démontrant le contraire, comme celui de l’ancien secrétaire d’État au numérique, Mounir Mahjoubi, qui avance qu’à chiffre d’affaires équivalent, les entrepôts Amazon embauchent 2,2 fois moins de salarié·es que les autres entreprises de logistique.

En France, ce sont entre 10 400 et 20 200 postes en moins [4] du fait de l’expansion de l’entreprise, qui en 2017 ne comptait plus que 4,7 salarié·es pour 1 robot, contre 7,7 en 2015.

Aux États-Unis, l’expression consacrée est « Retail Apocalypse » : le mastodonte est responsable de la fermeture de 9 000 magasins en 2019 et de la suppression de 300 000 emplois nets depuis 2010. S’ajoutent au massacre les dégâts sur l’environnement, l’ubérisation de l’emploi, mais surtout la défiscalisation du gros des bénéfices de ce GAFAM, dont la taxation promise par l’Europe ne ponctionnera qu’une infime partie.

Ce type d’économie surassistée par les budgets publics, sans réelle redistribution vers les services publics via la fiscalité, c’est bien la start-up nation en marche, au détriment de la santé et de la culture. Un modèle qui mise tout sur le progrès technique, assez swag pour paraître indétrônable en pleine pandémie.

Les confinements se suivent mais ne se ressemblent pas : Amazon avait dû fermer en avril ; en novembre, c’est open-bar. Le click-and-collect devenant la norme, c’est le monde de Bezos qui est consacré. Loin de contrer cette logique, les voix politiciennes se multiplient pour développer des « Amazon locaux ». « La psychose française sur Amazon n’a aucun sens, ânonnait le secrétaire d’État à la Transition numérique, Cédric O, à l’Assemblée nationale ce 4 novembre. […] Le fond du sujet sur lequel [...] nous travaillons avec les collectivités territoriales, c’est de numériser les petits commerces. »

Plus réservé, le patronat de l’édition joue quand même le jeu, et les salarié·es des librairies se retrouvent à gérer de la commande, sans conseils ni sourires, dans les flammes d’une amazonisation soft. Les outils de vente en ligne aujourd’hui enracinés grâce aux subventions réduiront encore le nombre et la qualité des emplois une fois la crise passée.

Seule la grande distribution, principale concurrente des librairies de centre-ville et d’Amazon, se frotte les mains au gel hydroalcoolique, en rang derrière Michel-Édouard Leclerc : « Les contraintes Covid-19 vont faire accélérer la digitalisation et faire gagner deux ans aux commerçants. Aujourd’hui, je dis : Amazon même pas peur  ! [5] »

L’appel du 11 novembre, lui, déclare la guérilla au Goliath online : « Nous devons, sans attendre, boycotter et saboter son monopole. » Gageons que mille autres fleuriront et que la notion d’« édition de gauche » y gagnera en consistance.

Mais avec la persistance de la crise, espérons surtout que d’autres acteurs et actrices du livre emboîteront le pas aux signataires de l’appel. Et que de nouveaux modèles seront imaginés, comme les Punti rossi dans l’Italie des années 1970 : un réseau autonome de distribution de l’édition critique à travers le maillage engagé de lieux camarades...

Ferdinand Cazalis

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- Cet article a été conjointement publié en langue catalane par le journal La Directa, dans une traduction de Dolors Serra.

- La version francophone de cet article a été publiée sur papier dans le n°193 de CQFD, en kiosque du 4 au 31 décembre. En voir le sommaire.

  • Ce numéro est disponible chez près de 3 000 marchands de journaux partout en France. Pour retrouver les points de vente près de chez vous, cliquez ici.
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