Les anticléricaux les plus véhéments, les bouffeurs de curés impénitents, réclamaient un grand schisme. La loi du 9 décembre 1905 séparant les Eglises et l’Etat revient, au final, «à un divorce par consentement mutuel» ainsi qu’il convient «à des époux mal assortis», selon la formule d’Emile Loubet, président de la République de l’époque.

Cette loi, à laquelle se réfèrent aujourd’hui tous les défenseurs de la laïcité en France, est votée le 3 juillet 1905 par 341 voix contre 233 à la Chambre des députés, et le 6 décembre par 181 voix contre 102 au Sénat. Promulguée le 9 décembre, elle n’entrera en vigueur que le 1er janvier 1906.

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Son article premier stipule que «la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes» et le second précise qu’elle «ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte». Elle pose également comme principe «l’interdiction, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux en quelque emplacement public que ce soit».

 La laïcité, souvent qualifiée d'«à la française», pour bien souligner sa spécificité, voit alors le jour. Elle sera inscrite dans le marbre de la Constitution de 1958, qui précise que la France «est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale»

 

Une loi «libérale» ?

A la fois initiateur et rapporteur de cette loi, le socialiste Aristide Briand, proche de Jean Jaurès, souhaite présenter à la Chambre un texte d’apaisement après les affrontements, très virulents, entre catholiques et républicains, qui marquent les tout débuts de la IIIRépublique.

Ce qui vaudra à la loi de 1905 d’être vivement brocardée par les socialistes et les radicaux, qui la jugeaient alors bien trop «libérale». «Nous arrivons avec un peu de lassitude à cette loi de séparation. Les uns disent : elle ne nous fera peut-être pas tout le mal qu’on en espère. Les autres disent : elle ne procurera peut-être pas tout le bien qu’on en attend», philosophe l’abbé Lemire, député d’Hazebrouck et porte-drapeau des républicains catholiques à la tribune de la Chambre.

En même temps que l’Etat s’émancipe du poids de l’Eglise catholique, tout en reconnaissant la liberté de conscience, la République parachève alors son œuvre d’émancipation des citoyens face à l’emprise du «goupillon».

Ce combat a commencé quelques années plus tôt par la question cruciale de l’enseignement, aux mains, jusqu’alors, des congrégations.

Le 16 juin 1881, Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, institue l’enseignement primaire «gratuit, laïque et obligatoire».

Dès 1879 à Epinal, dans les Vosges, sa terre natale, il s’attaque, bille en tête, à l’enseignement dispensé par les membres du clergé. «D’où sort donc toute cette génération ardente partie en guerre contre la société moderne, et qui surgit dans les comités catholiques, à la tribune, dans la presse, sur tous les champs de bataille de la vie publique, son drapeau à la main. Ils ne le cachent pas ce drapeau. En face du drapeau national, du drapeau de la France libérale et républicaine, ils le déploient, et le mot qu’on y lit est contre-révolution. Oui, Messieurs, il y a des établissements où l’on apprend à maudire toutes les idées qui sont l’honneur et la raison d’être de la France moderne», s’emporte-t-il alors.

1901 avait ravivé les tensions

Après une période de relative guerre froide entre le camp des catholiques, assimilé à celui de la réaction, et celui des républicains, incarnant le progrès et la raison, la loi sur la liberté d’associations de 1901 ravive ensuite les flammes de cette guerre de religion.

Les congrégations religieuses, obligées de se constituer en associations, se voient soumises à un régime d’exception. Leur constitution doit être autorisée par un texte de loi. Soumises à l’autorité de leurs hiérarchies, l’évêque, elles pourront être dissoutes par simple décret. Donc par l’Etat.

 

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L’affaire Dreyfus (1894) avait entre-temps exacerbé les oppositions entre la réaction – catholique, monarchiste et antisémite, majoritairement antidreyfusarde, soutenu par la presse confessionnelle – et le camp républicain. Cette forte période de tensions amène Emile Combes, président du Conseil en 1902, à durcir le régime des autorisations délivrées aux congrégations.

Cet ancien séminariste devenu athée et franc-maçon se montre, à l’époque, favorable au régime concordataire qui, à ses yeux, constitue un bon moyen de surveiller, voire de contrôler, les activités de cet ennemi de l’intérieur, à savoir les paroisses et leurs drôles de paroissiens.

Combes ne se ralliera à l’idée de séparation des Eglises et de l’Etat qu’en 1904, en défendant un projet de loi opposé à celui de Briand et visant, ni plus ni moins, qu’à défaire la France de toute empreinte de la religion catholique.

La politique du «petit père Combes» conduira, en 1904, à la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican.

Scissions footballistiques

 

La loi de 1905, présentée par Aristide Briand, visait donc à calmer des esprits échauffés par des années de guerre civile larvée. Mais celle-ci laisse des traces, non seulement dans l’histoire mais également dans notre époque contemporaine.

En 1940, la «révolution nationale» du Maréchal Pétain, avatar de la contre-révolution antirépublicaine, sonne comme la revanche des catholiques, défaits au début du XXe siècle. Le paysage syndical reste aujourd’hui marqué par ce schisme. La CFDT «déconfessionnalisée» est née en 1964 d’une scission avec la CFTC (qui existe toujours).

Cette séparation a également des conséquences sur le plan… footballistique. Pendant des décennies, de nombreuses bourgades abritaient en leur sein deux clubs, celui de la paroisse et celui de «ceux qui n’y vont pas» (à la messe dominicale).

Loi d’apaisement, ce texte de 1905 aura donc contribué à la réconciliation entre républicains et catholiques, transportant l’affrontement sur les terrains de foot. Provoquant quelques pugilats à l’issue des matchs.

Christophe Forcari