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31 janvier 2021 7 31 /01 /janvier /2021 04:02

1 1973, LE 68 STÉPHANOIS, SYMBOLE DES LUTTES DES ANNÉES 68 ? Michelle Zancarini-Fournel Université Lyon 1 – LARHRA Introduction

Après 1968, l’insubordination des "travailleurs1 " (mot le plus employé alors dans les syndicats) est un phénomène récurrent Elle est partie prenante d’un processus de radicalisation d’un certain nombre d’acteurs sociaux qui tissent parfois entre eux des points de convergence : ouvriers, lycéens, étudiants, paysans, jeunes, femmes, immigrés se retrouvent épisodiquement au cours des conflits qui jalonnent la séquence historique.

Territoire d’ancienne industrialisation, le bassin stéphanois du printemps 1973 s’ancre dans ce contexte général des années de contestation post-68 et voit éclore, au même moment, de mars à mai 1973, des grèves et occupations d’usines métallurgiques, un mouvement lycéen et étudiant, une grève de la faim des travailleurs immigrés pour les papiers et une lutte organisée pour l’avortement, à tel point qu’on pourrait qualifier le printemps 1973 de 68 stéphanois du fait de la diversité des mobilisations.

Bien sûr cette boutade métaphorique, un brin provocante – même si j’avais mis un ? au titre de ma communication – n’est pas totalement justifiée.

D’abord parce qu’il y a bien bel et bien eu à Saint-Étienne des grèves et des manifestations en mai-juin 1968 , pour lesquelles j’ai identifié quatre formes paradoxales et spécifiques par rapport à la situation nationale : 1. Le 6 mai 1968, L’AGESE, filiale locale de l’UNEF, tenue par des membres de l’UEC, refuse de relayer l’appel de l’UNEF nationale à faire grève et à manifester contre la répression policière ; mais le lendemain les étudiants réunis en assemblée générale votent la grève, désavouant ainsi leur direction syndicale ; 1 Le vocable "travailleur" est le mot plus fréquent dans le vocabulaire des congrès de la CGT (1er en 1972, 2e en 1978) et de la CFDT (1er en 1970 et 1982). Il en allait de même en mai : Des tracts en Mai 68, 1978. 2 Voir sur le site des archives municipales de Saint-Étienne, le récit des événements de 1968 dont je m’inspire pour l’analyse qui suit. 2 2. Le 13 mai 1968, après la plus grande manifestation de rue depuis la Libération, le discours prononcé, au nom de tous les syndicats, par le secrétaire de la FEN a des accents révolutionnaires, à l’encontre des positions de la CGT largement majoritaire dans le bassin stéphanois ; 3. 3 ème paradoxe : la reprise du travail dans les usines métallurgiques est tardive (entre le 14 juin et le 26 juin) alors que la Fédération CGT de la métallurgie a appelé à la reprise du travail le 10 juin (date du début de la campagne électorale pour les législatives de juin) ; 4. Enfin dernière spécificité d’ordre politique : il n’y a aucun changement après les élections.

Le député-maire de Saint-Étienne, le centriste Michel Durafour est réélu (il avait ouvert les cantines scolaires aux enfants de grévistes et avait salué la modération des comités de grève) ; Lucien Neuwirth est aussi réélu et, contrairement à d’autres députés UDR, s’était montré, à la différence de sa position en 1958, relativement modéré (pas d’appel à un CDR local par exemple à la différence de Lyon, de Marseille ou du nord de la France).

Il y a donc bien eu un 1968 stéphanois avec ses caractères originaux ; mais examiner la conjoncture du printemps 1973 à l’aune de 1968, c’est simplement montrer qu’il y a, en 1973, une co-construction des luttes dans des secteurs différents, parfois intersectionnels, alors même que, événement symbolique de la crise économique et sociale locale, le dernier puits de mine stéphanois, le puits Couriot ferme, dix ans après la grande grève en apparence victorieuse de 1963.

Cependant, c’est ce que je vais essayer de démontrer aujourd’hui, si les différents terrains de lutte du printemps stéphanois de 1973 ont fait preuve de certaines formes de radicalité, on s’interrogera sur ce que nous avons appelé avec Xavier Vigna « les rencontres improbables » caractéristiques des années 68, et prônées ici par les minorités militantes de la CFDT dont l’UD analyse en avril 1973 – je cite – la « convergence des luttes des lycéens et étudiants avec les travailleurs contre le système capitaliste3 », du PSU et de certains groupes d’extrême gauche. $

Mon étude s’appuie sur des dossiers des archives nationales (rapports des préfets et des renseignements généraux), et de la BDIC4 – dans le fonds Mémoires de 68, les archives des Cahiers de Mai dont une équipe a suivi la grève à Peugeot, les papiers Bouziri, et sur le fonds de l’avocat De Felice qui a défendu les lycéens – ainsi que sur la presse nationale et la presse locale 3 La Tribune-Le Progrès, 3 avril 1973, p. 11. 4 Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (Nanterre). 3 (qui répercute les communiqués des syndicats et les discussions lors des assemblées générales)5 .

Je vais étudier successivement les différents terrains des mouvements du printemps 1973 stéphanois en soulignant les éventuels espaces et moments de connexion entre eux. Grève des lycéens et des étudiants Dans ce printemps stéphanois, le premier mouvement du point de vue chronologique, a été celui de la jeunesse scolarisée, lycéens et étudiants. L'apogée de la contestation lycéenne se situe en 1973 en pleine campagne pour les élections législatives des 4 et 11 mars 1973. En février 1973, les conférences d'information sur le service militaire dispensées par l’armée dans tous les lycées pour expliquer la loi Debré, mettent partout le feu aux poudres6 .

La loi avait été votée le 29 juin 1970 à l’unanimité (moins une voix celle de Michel Rocard alors secrétaire national du PSU, le groupe communiste n'ayant pas pris part au vote). Elle visait à rétablir l'égalité entre jeunes Français en établissant l'appel entre 17 et 21 ans et en supprimant les sursis pour les étudiants. En février 1973, les CAL créés par La Ligue communiste, se saisissent de la lutte contre la loi Debré, alors que les lycéens – et à fortiori les lycéennes – ne sont pas directement concernés.

La revendication traduit de fait le climat de contestation rampante présent existant dans les lycées depuis 1968 que traduit le mot d’ordre lycéen « 5 ans déjà, coucou nous revoilà » et la volonté de la coordination nationale de manifester le 22 mars, date anniversaire du mouvement nanterrois le 22 mars 1968, tout un symbole7 . La grève démarre dans un lycée de Lille le 6 mars, touche Caen le 7 mars et SaintÉtienne le 8 mars, donc très précocement par rapport au développement du mouvement qui rend forme d’abord en province.

En effet le monde scolaire avait déjà été agité car, quelques mois auparavant, certains lycéens et enseignants stéphanois s’étaient déjà regroupés dans un mouvement de soutien à un enseignant licencié de l’Éducation Nationale après une bagarre avec la police lors d’une distribution de tracts d’extrême gauche devant une usine de la vallée de l’Ondaine, ce qu’on a appelé « l’affaire Polat » suivie par une grève de la faim.

Comme dans le reste de la France, ce sont les lycées techniques qui partent en grève les premiers (Claude Lebois à St Chamond, Jacob Holtzer à Firminy, La Métare à St Etienne) ; le 22 mars, 5 000 lycéens sont dans la rue contre la loi Debré, avec la présence remarquée de 5 À noter qu’en 1973, La Tribune - Le Progrès était diffusé à 93 000 exemplaires. 6 Archives nationales (AN), 860581 article 27 : rapport du 14 février 1973. 7 AN, 860581 article 27 : note bleue des renseignements généraux, 13 mars 1973. 4 nombreuses lycéennes8 . Une note du cabinet du ministre de l'Intérieur souligne que le mouvement démontre « un malaise très profond de l'enseignement secondaire dépassant le problème des sursis militaires. La disponibilité des lycéens pour la mobilisation politique reflète le malaise de la jeunesse9 ».

Les étudiants aussi sont en grève pour la suppression du DEUG et contre la réforme des sursis. À Saint-Étienne, ce sont les géographes de la faculté de lettres qui sont partis les premiers, suivis par le Droit. « Ceux du technique » restent mobilisés et en grève plus longtemps dans les CET stéphanois autour du mot d’ordre « le CET, c’est déjà l’usine ». Au printemps 1973, le "peuple lycéen" était dans la rue ; il a connu une expérience originale d'organisation sous forme d’assemblées générales et de démocratie directe, expérience recyclée ensuite dans les coordinations de salarié-e-s pendant les deux septennats Mitterrand.

Le contexte stéphanois est semblable à la situation nationale pour ce qui est de la rivalité entre l’UNCAL et les comités de lutte lycéens sur les formes et la direction du mouvement. Mais il est spécifique par certaines formes d’action (les contre-cours dans la rue des élèves des classes préparatoires en direction de la population, les débats devant les portes des usines et sur les marchés) et le lien construit par certains lycéens avec le comité de soutien à la grève de la faim des travailleurs immigrés pour obtenir des papiers et leur participation à la manifestation du 27 avril 1973 sur laquelle nous reviendrons.

Grèves de la faim des travailleurs immigrés La résistance aux premières mesures d’expulsion prises à l’automne 1972 avec l’application des circulaires Marcellin-Fontanet exigeant contrat de travail et logement pour obtenir un titre de séjour, s’amplifie en 1973 en un mouvement pour l’obtention de la carte de travail. Les grèves de la faim se multiplient alors et ont un retentissement important dans l’opinion publique. Parties de Valence, à l’automne 1972, où un jeûne est entrepris contre l’expulsion d’un tunisien pour « atteinte à la neutralité politique », les grèves de la faim se 8 AN, 860581 article 26 : télégrammes et rapports de la direction des renseignements généraux, dont le bilan en fin de journée (rapport n° 113) 9 AN, 77O327 article 8 : cabinet du ministre de l’Intérieur, note hebdomadaire du 30 mars 197

Instruit par l’expérience, le gouvernement, malgré ses fermes déclarations, a dialogué avec les contestataires à la télévision et a attendu les vacances, persuadé – avec raison - que le mouvement n'aurait ni la force ni les conséquences de 1968 qui reste cependant pour tous l'horizon de référence. 5 multiplient, le plus souvent dans les églises ou les locaux paroissiaux 10. En mars 1973, des dizaines d’immigrés protestent par leur jeûne, à Lille, Montpellier, Marseille, Nîmes, Perpignan, Toulouse, Strasbourg, Mulhouse, Nice, Lyon, Toulon… et Saint-Étienne11 .

Le mouvement d’ouvriers tunisiens – la plupart sans papiers et travaillant dans le bâtiment – a démarré tardivement le 9 avril (dans le sillage du mouvement lyonnais qui avait débuté le 3 mars à Lyon) en l’église Saint-Ennemond. Leur appel est soutenu par un comité de soutien hétéroclite constitué par la CFDT, Échanges et promotion, la LICRA, le PSU, la Ligue communiste et les comités de lutte12. Le lendemain, une manifestation peu importante réunit cependant, sous la pluie, des jeunes, lycéens et étudiants essentiellement et quelques ouvriers.

Le 10 avril, le comité de soutien demande une audience au Préfet qui lui est refusée. Le 14 avril, les 45 grévistes de la faim devenus 51, essentiellement des « travailleurs tunisiens », un Marocain et un Algérien, sont installés dans une salle annexe de l’église Saint-Ennemond et leurs dossiers sont présentés collectivement au service départemental de la main-d’œuvre.

Le 27 avril, une nouvelle manifestation de 600 personnes de la place du Peuple à la place Marengo devant la préfecture, essentiellement des jeunes avec des mots d’ordre intersectionnels : celui national des lycéens « chaud, chaud, chaud le printemps sera chaud » et un autre spécifique : « Peugeot-Jacquemard, immigrés même combat » qui fait le lien entre les conflits locaux du moment13, avec de nouveau un sit in devant le tramway et les voitures, et l’escalade de la préfecture jusqu’à la terrasse pour déployer une banderole.

Les CRS interviennent alors violemment – le responsable CFDT Pierre Héritier est blessé – et plusieurs arrestations ont lieu dont celle d’Huguette Bouchardeau, responsable du PSU local. Le mouvement traîne en longueur. Le préfet refuse d’examiner les dossiers collectivement et joue le pourrissement et l’isolement alors que le comité de soutien tient fermement sur ses positions. Face aux grèves de la faim, le ministre de l’Intérieur a été dans un premier temps embarrassé.

Le 18 mai 1973, par une circulaire, Raymond Marcellin conseille aux préfets de discuter avec les associations et les prêtres qui soutiennent les grévistes14. Après cette circulaire, le préfet de la Loire accepte de recevoir quelques membres du comité de soutien et d’accorder 10 BDIC, Fonds mémoires de 68, F Delta Res 576/ 5/9/9 : « La grève de la faim c’est tout ce qui nous reste ». 11 AN, 940560 article 31 : note blanche des renseignements généraux, 31 mars 1973. 12 La Tribune-Le Progrès, 10 avril 1973 : « Nous sommes menacés d’expulsion à tout moment.

Nous travaillons en France sans sécurité sociale, nous sommes entièrement dépendants du patron et nous vivons dans des taudis » 13 La Tribune-Le Progrès, 28 avril 1973. 14 AN, 940560 article 31 : circulaire REG/7 n° 73-270, 18 mai 1973, Raymond Marcellin aux préfets. 6 des papiers à tous les grévistes, à titre provisoire ; mais le provisoire deviendra définitif. Ces grèves d’ouvriers immigrés pour les cartes de travail ont été popularisées par la CFDT et divers collectifs militants.

Elles ont contribué à poser devant l’opinion publique la question de l’immigration avant que la crise économique ne la rende perceptible aux yeux de tous. Usines occupées Dans de nombreuses usines, des noyaux de jeunes ouvriers déclenchent des mouvements qui bloquent ou ralentissent la production de manière imprévue, qualifiés de "grève sauvage", "grève thrombose", "Grève bouchon", « qui préoccupent le patronat mais aussi les syndicats » comme le souligne un journaliste15.

Les directions d’entreprises font alors appel aux tribunaux pour des poursuites judiciaires individuelles, y compris de délégués syndicaux, ou pour obtenir des jugements en référé lors de l’occupation des locaux. C’est le cas par exemple à Cégédur, chez Jacquemart et à Peugeot Saint-Étienne exemple que je vais développer car c’est le long conflit chez Peugeot – 44 jours de grève – qui polarise l’attention et provoque un mouvement de solidarité sans précédent jusqu’alors.

L’entreprise Peugeot à Saint-Étienne est une grosse boîte de 1 127 salariés dont 191 mensuels (cadres, maîtrise, employés) et 836 ouvriers payés à l’heure, l’horaire de travail étant de 43 heures. Le 4 avril est déposé à la direction, un cahier de revendications élaboré atelier par atelier à partir des presses et de la tôlerie (ateliers d’OS) et approuvé par l’usinage (atelier d’OP), d’abord pour obtenir une diminution des cadences (elles sont passées de 14 pièces en une heure à 32 pièces en tôlerie), puis d’obtenir 1 500 Francs mensuels garantis pour tous pour 40 heures de travail (les primes sont liées aux cadences et le salaire de base faible (5 Francs à 5,50 Francs pour un OS2), une prime de fin d’année égale pour tous ainsi que des vêtements de travail.

Cette manière de faire a pour but de pallier l’échec de la grève des soudeurs en 1972 qui étaient partis seuls et qui n’avaient pas obtenu leurs revendications). Pour les OP1 et OP2 c’est le problème de blocage de la progression dans les classifications avec la création de postes de régleurs. Ensuite les ouvriers demandent aux trois syndicats de soutenir le cahier de revendications qui est adopté lors d’une assemblée générale (80 % des ouvriers) ; ils votent également à 15 Analyse de La Tribune - Le Progrès, lundi 16 avril 1973, p.3. 7 l’unanimité moins deux voix, l’occupation de l’usine sous réserve de l’approbation de l’équipe de l’après-midi et l’après midi les deux usines étaient occupées (une par des grévistes qui contrôlent ¾ des locaux, l’autre par les non-grévistes dans l’atelier des compresseurs et le Château l’espace de la direction et des bureaux)16 .

Face à ces événements la direction a une attitude très ferme et choisit l’épreuve de force Le 5 avril, lors de la réunion du comité d’entreprise, la direction refuse de prendre en compte le cahier de revendications, mais cite huit délégués en référé. Le 7 avril le Tribunal ordonne l’évacuation des locaux. Le préfet refuse de faire appliquer la décision par les forces de l’ordre et un cadre de la direction générale de Peugeot (François Cusey) arrive à Saint-Étienne.

Avec le directeur de l’usine, Jean Charrel, il prépare un plan B pour libérer la production de pompes à huile indispensables pour le montage à Sochaux des 304 et des 504 dont la production a déjà baissé de 50 unités/jour du fait de la grève. L’organisation du travail est en effet en flux tendu avec les autres usines du groupe. Le 10 avril : sept ouvriers sont licenciés pour entraves à la liberté du travail ; et une reprise partielle du travail (230 ouvriers) a lieu à l’atelier compresseur et à l’atelier mécanique17 .

Le 11 avril, le licenciement de quatre délégués est demandé au Comité d’entreprise ; Le 12 avril à 3 H 30 du matin l’intervention brutale d’un groupe d’hommes armés déloge la cinquantaine d’ouvriers qui constituaient les piquets de grève18. Le général Feuvrier, responsable à Peugeot des opérations spéciales a mobilisé dans les différentes usines un groupe de 53 hommes, des ouvriers dévoués à la direction, pour reprendre l’usine stéphanoise aux grévistes, faire sortir les matrices qui permettront de faire fonctionner les chaînes ailleurs.

Dix hommes de main sont recrutés dans une société d’intérim et d’autres individuellement (anciens paras et anciens de l’OAS). Au total 70 hommes. Mais ils n’arrivent pas à remettre en route les machines et à charger les camions pour récupérer les matrices. Au petit matin, 200 ouvriers nongrévistes constatent les traces des bagarres de la nuit et refusent de reprendre le travail.

Devant 16 BDIC, Fonds Mémoires de 68, Cahiers de Mai, cahier C Peugeot 1973. 17 La Tribune-Le Progrès, 10 avril 1973 18 Voir analyse précise dans L’Unité, vendredi 25 avril 1975. Enquête de Claude Angeli et Nicolas Brimc publiée aux éditions Maspero. Un transfuge de la CFT fournira tout un dossier à la CGT en décembre 1973. 8 l’usine des milliers d’ouvriers affluent et conspuent les « jaunes » appelés aussi les « renards ».

Échec donc de la remise en route et isolement des mercenaires appelés les « Katangais » (s’interroger sur la dénomination) qui réussissent à sortir à 15 heures protégés par les forces de l’ordre. Les délégués s’interposent entre les CRS et la foule. Une très importante manifestation de solidarité se déroule l’après midi aux abords de l’usine (entre 15 000 et 20 000).

Mais ce chiffre est aléatoire, car ouvriers et ouvrières débraient en masse et affluent toute la journée, de la ville même comme des usines de l’Ondaine et du Gier pour soutenir les grévistes de Peugeot expulsés violemment de leur usine dans la nuit du 11 au 12 avril par un commando. Les heurts ont été violents ; il y a un blessé grave, un ouvrier portugais venant de Sochaux est hospitalisé. Les responsables syndicaux détournent entre 2 000 et 3 000 manifestants vers la place Bellevue tandis que 50 ouvriers, la plupart des jeunes, connaissant bien le terrain, pénètrent de nouveau dans l’usine par l’arrière en passant par les Bennes Marrel.

Ils surprennent les dix hommes encore là qui doivent être évacués prestement dans un car de police dont les vitres sont brisées. L’amnistie présidentielle de juillet 1974 et une ordonnance définitive de non-lieu rendue le 17 décembre 1974 par le procureur de la République, innocenteront définitivement les 37 membres du commando dont les noms étaient connus de la police. Le lendemain 13 avril débutent les négociations, « avec lenteur » titre de façon prémonitoire La Tribune - Le Progrès, avec comme intermédiaire l’Inspection du travail.

Le préfet adopte une attitude plus conciliatrice après la visite d’élus communistes et socialistes venus protester contre l’intrusion des milices patronales contre les grévistes. Le 2 mai, à la demande de la direction, 180 cadres et mensuels et environ autant d’ouvriers se présentent à l’usine pour travailler. La rentrée a lieu sans gros problème, malgré le piquet de grève mais à la sortie des échauffourées ont lieu avec les grévistes, crachats, une douzaine de blessés légers, etc., les chefs sont poursuivis dans la rue jusqu’à leur domicile.

Le 3 mai la grève est totale. Le 15 mai un pain de plastic est déposé devant la maison où habite la famille de Bernard Charbonnier, l’un des jeunes activistes de la grève chez Jacquemard, qui a été licencié. Pas de victime mais la maison est inhabitable. 9 Négociations Un mois après le début du conflit, le 4 mai la direction abandonne le préalable de la reprise du travail pour débuter les négociations. Le 8 mai le député maire de Saint-Étienne intercède auprès du ministère et de la direction générale de Peugeot et les syndicats CGT et CFDT sont reçus par le ministre du travail, Georges Gorse.

Les négociations reprennent alors sous la houlette de l’Inspection du travail et d’un médiateur. Le dernier piquet de grève est mis en place le 18 mai 1973 à 4 heures du matin, devant de nombreuses forces de l’ordre. Les non grévistes entrent sans incident. Au final, la déception est grande, mais le protocole d’accord a été approuvé à mains levées (moins 12 contre) le vendredi 18 mai 1973, et l’unité a été préservée : Les acquis sont minces sauf sur les sanctions : pas de licenciement, pas de mise à pied et pas de mutation

 Les procédures engagées devant les prud’hommes iront à leur terme « la direction de Peugeot n’a pu imposer sa loi. Ce sont les tribunaux de la république qui jugeront » analyse le responsable CGT Mr Fournier19 . Les salaires et paiement des jours de grèves : question très difficile, peu a été obtenu et l’annonce de ce peu provoque un tollé général dans la salle. Les jours de grève sont avancés mais seront remboursables ; l’augmentation de 11 centimes pour les ouvriers non postés et de 17 centimes pour les ouvriers postés, avec majoration de 2% en fin d’année 1973.

Le sort du 1er mai jour chômé et, en principe payé, n’est pas réglé, ce qui choque particulièrement les travailleurs. Le bilan dressé devant eux par les responsables syndicaux est nuancé, mais pessimiste20 . Le travail reprend le lundi 21 mai après 44 jours de grève ; la rentrée se fait dans l’unité derrière une banderole commune intersyndicale. 19 La Tribune-Le Progrès, 19 mai 1973. 20 Beaubet de FO reconnaît que la grève n’a pas obtenu les résultats escomptés et « que nous n’avons pas réussi à obtenir ce que nous avions eu en 1968 et 1969 ».

Pour Mr Fournier de la CGT « on ne pouvait guère aller plus loin, et d’autres discussions auront lieu après la reprise du travail sur les conditions de travail, le 13e mois et les taux de retraite au comité central d’entreprise ». Mr Granger pour la CFDT précise que « c’est parce que nous avons du évacuer l’usine que nous avons perdu. Car les pompes à huile se montent ailleurs ; nous n’avons pas gagné sur les revendications mais sur les sanctions ». 10

Pour conclure rapidement Les répertoires d’action utilisés au printemps 1973 dans les entreprises sont conformes au régime de conflictualité des années 68, du fait des revendications mises en avant : volonté de discuter des conditions et de l’organisation du travail (horaires, hiérarchie, remise en cause des cadences, absence de qualification voire déqualification pour les OS et les OP) avec une territorialisation sur l’atelier, le collectif primaire de travail.

En plein conflit Peugeot, la presse publie un sondage selon lequel 84 % de la population de la région est favorable à un assouplissement de la législation sur l’avortement et une majorité se prononce pour l’extension de la pratique de la contraception21. Une spécificité stéphanoise : le GLACS (Groupe pour la liberté de l’avortement et de la contraception de St Étienne) fondé au printemps 1973 est animé par des médecins22, dont le Dr Poty proche du parti communiste, par une responsable locale du PSU Huguette Bouchardeau, alors professeur de philosophie, et par des membres de la Ligue communiste23.

Si ce combat n’est pas particulièrement relié au monde ouvrier organisé, même si de nombreuses ouvrières avaient aussi recours au GLACS pour avorter, on relève quasiment la même configuration militante que dans les comités de soutien des différents mouvements. Les OS immigrés de chez Peugeot (la plupart Algériens) n’ont pas soutenu particulièrement les grévistes de la faim tunisiens.

S’il y a bien eu au printemps 1973 coconstruction des luttes, il ne s’agit pas d’une convergence comme l’écrivait alors la CFDT. Coconstruction essentiellement par l’intervention de militants de soutien qui se trouvaient sur tous les fronts, à l’intersection de plusieurs conflits, malgré leurs divergences idéologiques et politiques en temps ordinaire.

Militants syndicaux de la CFDT ou militants politiques du PSU et des organisations d’extrême gauche avec une dimension générationnelle non négligeable – les jeunes sont omniprésents – du fait de ce que Julie Pagis appelle « la disponibilité biographique ». S’il n’est pas le 68 stéphanois, le printemps 1973 appartient donc bien par son régime de contestation aux années 68. 21 La Tribune - Le Progrès, samedi 14 avril 1973. 22 La Tribune-Le Progrès 13 septembre 1973, conférence de presse du GLACS (Dr Poty) ; Le Monde du 16 septembre 1973 annonce à la suite de cet article l’ouverture d’une information judiciaire. 23 La Tribune - Le Progrès du 4 décembre 1973 donne le bilan de son action : mille avortements ont été pratiqués dans la Loire sur des femmes dont l’âge, la profession et le statut matrimonial sont fort divers.

matrimonial sont fort divers.

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