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11 avril 2021 7 11 /04 /avril /2021 11:08

 Mon » Xinjiang : halte à la tyrannie des fake news

Note de l’éditeur (CGTN) : Journaliste indépendante basée en France, doublement diplômée d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de la Sorbonne-IV et détentrice d’un Master de journalisme, Laurène Beaumond a travaillé dans différentes rédactions parisiennes avant de poser ses valises à Beijing où elle a vécu presque 7 ans.

L’article reflète les opinions de l’auteur, et pas nécessairement celles de CGTN Français.

Le monde serait-il devenu fou ? « Camps de concentration », « stérilisation des femmes », « travail forcé », « effacement culturel », « génocide »... D’où sortent ces termes qui renvoient aux heures les plus sombres de l’histoire de l’Humanité ? Qu’est-ce donc cette parodie de procès que l’on fait à la Chine à distance, sans aucune preuve concrète, sans aucun témoignage valable, par des individus qui n’ont jamais mis le pied dans cette région du monde – la région autonome ouïgoure du Xinjiang en Chine - dont il est certain que peu de personnes avaient entendu parler avant le début de cette année ?

D’où viennent ces nouveaux pasionarias de la « cause ouïgoure », cette ethnie dont le sort ne préoccupait personne jusqu’ici ? Et les grandes marques étrangères qui ont annoncé arrêter d’utiliser le coton récolté dans le Xinjiang pour fabriquer leurs vêtements sont la goutte qui ont fait déborder le vase.

Ces attaques donnent une bien piètre image d’un pays qui est sous le feu roulant de toutes les critiques possibles et imaginables sans avoir rien demandé. La Chine se défend tant bien que mal en publiant rapports, témoignages, reportages et en organisant des visioconférences comme celle réunissant les membres du gouvernement de la région autonome ouïgoure du Xinjiang et le personnel de l’ambassade de Chine au Royaume-Uni dans le but de promouvoir l’activité économique du Xinjiang, mais rien n’y fait.

Cela nuit gravement aux relations entre l’Union Européenne et la Chine, qui se félicitaient pourtant en début d’année d’avoir atteint un accord de principe historique d’investissement. Les relations sino-occidentales, déjà tendues ces derniers temps sur divers sujets, n’avaient vraiment pas besoin de cela – surtout dans un contexte sanitaire aussi compliqué qui nécessite plutôt de travailler main dans la main que de s’écharper.

Je suis Française et j’ai vécu presque 7 ans en Chine. Les hasards de la vie ont fait que j’ai de la famille vivant à Urumqi, la capitale du Xinjiang. J’ai eu l’occasion de visiter la région à maintes reprises entre 2014 et 2019, et je ne reconnais pas le Xinjiang que l’on me décrit dans celui que je connais.

Mes déplacements dans cette région n’ont jamais eu de but professionnel et n’étaient donc pas « orchestrés » par de quelconques organisations, et je n’ai pas eu non plus recours à des agences de voyage. Avant d’y mettre le pied, je ne connaissais cette région qu’à travers mes lectures, des romans historiques pour la plupart, et pour ses trésors archéologiques, notamment les splendides peintures murales bouddhiques du 6ème siècle de Kuqa conservées au Musée Guimet à Paris.

Je savais que c’était une mosaïques de cultures, qu’il y vivait de nombreuses ethnies : des Ouïghours bien sûr mais aussi des Mongols, Russes, Kazakhs, Kirgizhs... Une terre immense qui a joué un rôle essentiel dans le développement de la Route de la Soie, qui a été l’objet de conquêtes et de reconquêtes par de nombreux peuples apportant chacun leurs us, coutumes et religions. Je n’ignorais pas non plus les troubles qui ont agité la province en 2008 et 2009 et la crainte d’attentats terroristes islamistes dans certaines zones. Mais je ne savais pas exactement à quoi m’attendre une fois sur place.

Je suis restée principalement à Urumqi, mais je me suis aussi rendue à Kashgar, Aksu et dans cette splendide région dont les vallons verdoyants rappellent les Alpes suisses : Kanas. Et cela m’a fait la même impression que lorsque je suis allée en Mongolie Intérieure ou dans la région autonome coréenne dans le Jilin : un sentiment d’harmonie totale, de respect des uns et des autres, et surtout un attachement à la nature et à ses merveilles.

Effacement culturel ? Dans le Xinjiang, tous les panneaux de signalisation et les enseignes des magasins sont en mandarin et en langue turcophone parlée par les Ouïghours. Les documents administratifs sont également dans les deux langues. Ayant été victime d’un pépin de santé qui m’a obligée à rester hospitalisée une semaine à Urumqi en 2016, j’ai été soignée par une équipe de médecins ouïghours dans un établissement situé juste à côté d’une des plus grandes mosquées de la ville. Chaque matin, j’étais réveillée par le chant du muezzin qui appelait les fidèles à la prière et la cantine de l’hôpital était 100 % halal.

D’où ma surprise en lisant sur la page Wikipédia francophone consacrée au Xinjiang : « Dans les années 2010, des centaines de milliers de musulmans pratiquants ouïghours (…) passent par des camps de rééducation chinois. L’idéologie communiste est inculquée aux détenus qui subissent des tortures et sont forcés à manger du porc et à boire de l’alcool ». Vu la manière dont c’est écrit, on sent la source fiable... J’ai dîné avec un policier kazakh, un membre des forces spéciales d’intervention ouïghour (qui heureusement parlaient anglais tous les deux !) et je me rappelle leur avoir demandé si ils avaient rencontré des obstacles pour intégrer la police chinoise.

« Aucuns ! » M’ont-t-ils répondu. « On raconte tellement d’âneries sur le Xinjiang, on y fait même plus attention... » C’était en 2015 et je ne pense pas que leur sentiment a changé depuis. J’ai vu des Han manger des restaurants ouïghours et vice-versa. Les mosquées, le Grand Bazar, l’artisanat traditionnel musulman, tout est préservé et mis en valeur.

Je ne prétends pas tout connaître du Xinjiang en y étant allée moins d’une dizaine de fois, mais ce que j’y ai vu ne correspond en rien à ce qu’en racontent certains médias occidentaux. Je me base essentiellement sur le témoignage des gens que je connais qui y habitent depuis toujours ; les Han qui disent qu’ils « aiment la vie à Urumqi et qu’ils ne la quitteraient pour rien au monde », les Ouïghours qui m’ont dit exactement la même chose.

Et aussi ce couple de touristes français croisés sur un vol Urumqi-Beijing, qui m’ont dit que « le Xinjiang était leur province chinoise préférée ». En ville comme dans les campagnes – dont certaines très pauvres et désertiques, même si les choses ont dû s’améliorer depuis mon passage – les gens paraissaient heureux et vaquaient à leurs petites affaires, tranquillement. Les musulmans célèbrent leur culte comme ils le souhaitent et s’habillent comme ils veulent. Je n’ai ressenti aucune animosité d’aucune part et on m’a accueillie avec chaleur et bienveillance.

La polémique sur le coton du Xinjiang est particulièrement injuste. Des travailleurs forcés ouïghours pour ramasser les fleurs de coton dans les champs ? Sommes-nous toujours au temps de l’esclavagisme aux États-Unis ? Heureusement que le ridicule ne tue pas... Plus de 70 % du coton est ramassé mécaniquement, vu l’immensité des parcelles.

Je suis Française et fière de l’être. Je n’aime pas non plus lorsqu’on critique mon pays de manière injustifiée, pourquoi les Chinois n’auraient-ils pas le droit d’être indignés quand on raconte n’importe quoi sur le leur ? Écoutons ce qu’ils ont à dire à ce sujet et donnons leur au moins le bénéfice du doute. Pour ma part, je n’attends que la fin de la crise sanitaire pour retourner dans le Xinjiang et rire de tout cela avec les membres de ma famille, parce que c’est toujours mieux que d’en pleurer.

Laurène BEAUMOND
Le 28 mars 2021

EN COMPLEMENT : LA DECLARATION DE CGTN

Chine et « fake news » : ce manichéisme qui perdra certains intellectuels français

Récemment, la chaîne chinoise d’informations francophone CGTN Français a accepté la proposition de l’un de ses collaborateurs récurrents, une journaliste française indépendante ayant choisi le nom de plume « Laurène Beaumond », celle d’écrire un récit de ses souvenirs de voyage dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang et d’y relater ses expériences et ses impressions. « Mon Xinjiang » : halte à la tyrannie des fake news est paru le dimanche 28 mars sur le site Internet de la chaîne, dans la rubrique « Opinions ».

Son témoignage a suscité une vive controverse sur les réseaux sociaux avant de se répandre dans certains cercles intellectuels et quelques médias français. L’article, dans lequel la journaliste raconte ce qu’elle a vu au Xinjiang dans ses voyages effectués entre 2014 et 2019 et affirme ne pas reconnaître la région qu’elle avait visitée dans ce qui est décrit aujourd’hui dans les médias du monde entier, a été taxé, entre autres, de « désinformation » et de « propagande ».

Mais c’est surtout l’identité de l’auteur qui a déchaîné les passions : Laurène Beaumond, selon ces fameux intellectuels, n’existe tout simplement pas. C’est un personnage inventé de toutes pièces par CGTN Français, probablement un Chinois écrivant sous un faux nom, voire même un agent infiltré en France à la solde de Beijing. C’est ainsi que, quelques heures seulement après le début de la controverse sur Twitter le 31 mars, Le Monde a publié un article intitulé Quand la télévision chinoise CGTN invente une journaliste française. Son auteur, Nathalie Guibert, écrit : « Le Monde a pu vérifier qu’aucune personne de ce nom ne figure dans le fichier de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels français. » Sans se douter un seul instant que « Laurène Beaumond » puisse être un simple nom d’emprunt.

Comment Le Monde a-t-il mené son enquête ?

Pour publier un article aussi rapidement, c’est à se demander comment la journaliste du Monde a pu réaliser une enquête complète et approfondie. D’où cette conclusion pour le moins bâclée et qui ne repose sur rien : Laurène Beaumond est une invention du gouvernement chinois pour répandre la propagande de sa télévision d’Etat en Occident. Cela laisse songeur. Comment, en quelques heures, a-t-elle pu éplucher le registre de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels français ?

En quoi le fait de posséder une carte de presse légitime-t-il les propos d’un journaliste ? Selon l’AFP, « la carte de presse n’est pas obligatoire pour être journaliste en France ». La présidente de la Commission de la Carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP) Bénédicte Wautelet a confirmé que cette carte n’était « absolument pas » nécessaire pour écrire des articles en France. Mme Guibert aurait pourtant dû le savoir. Si ce n’est pas encore une volonté de s’en prendre à CGTN Français, nous ne savons pas comment cela s’appelle.

Le pseudonyme, recours fréquent pour se protéger (surtout lorsqu’on parle de la Chine)

La journaliste du Monde a utilisé le terme « invente » dans son titre. Nous sommes sidérés par ce manque total de professionnalisme. Comment n’a-t-elle pas pu penser à une personne écrivant sous pseudonyme ? Cela démontre que son jugement est biaisé dès le départ. Utiliser un nom de plume est chose commune. Aujourd’hui, l’opinion publique française – et occidentale en général – est particulièrement hostile à la Chine, ce n’est un secret pour personne.

Laurène Beaumond a souhaité utiliser un pseudonyme et nous avons respecté son choix, parce que nous savons le risque que cela représente pour certains journalistes français d’exprimer leur opinion en faveur de la Chine. Qu’il s’agisse du Xinjiang, de politique intérieure chinoise ou même de sujets culturels, les personnes dont l’opinion va à l’encontre de celle qui est représentée dans les médias mainstream français sont systématiquement attaquées.

Christian Mestre, professeur à la faculté de Droit de Strasbourg et ancien président, a été contraint à démissionner de la fonction de déontologue de l’Eurométropole de Strasbourg en février 2021 pour des propos qu’il a tenus sur la politique menée au Xinjiang en 2019. L’essayiste et journaliste Maxime Vivas, auteur du livre « Les Ouïgours, pour en finir avec les fakes news », est également habitué à ces attaques. Il a même été piégé par une équipe de l’émission Arrêt sur Images.

Il a récemment confié à CGTN Français au cours d’un entretien que lorsqu’il acceptait d’être interviewé par Libération, il savait pertinemment que le résultat serait hostile à la Chine. « Libération mène un combat contre la Chine depuis des années. Je leur ai dit : comment se fait-il que dès le mot ’Chine’ est mentionné dans votre journal, ce n’est que pour évoquer des catastrophes et des choses négatives ? Je savais que quoique je dise, ils ne me donneraient jamais raison. »

Dans ce contexte, comment ne pas approuver le choix d’une journaliste française d’opter pour un pseudonyme pour exprimer son opinion sur le Xinjiang ? Une opinion allant à contre-courant de celle de « l’intelligentsia » française qui ne souhaite qu’un seul son de cloche sur la Chine, cela va sans dire. L’utilisation d’un autre nom peut souvent permettre une expression plus libre et sans contraintes, et pas seulement dans le domaine journalistique, mais aussi dans des cadres historiques comme la Résistance pendant la Seconde Guerre Mondiale. Bien sûr, il ne s’agit pas pour nous de faire des parallèles hasardeux entre la Résistance et un journaliste s’exprimant sur la Chine – mais nous justifions totalement le recours au pseudonyme dans ce contexte.

Pour certains médias français, discréditer la Chine est « politiquement correct »

La question du Xinjiang déchaîne les passions depuis quelques semaines. Et certains médias français s’opposent systématiquement aux médias chinois sans même prendre la peine de les écouter. La vérité ne semble pas les intéresser. Pour eux, mieux vaut rabâcher les termes de « travail forcé » et de « génocide », c’est tellement plus constructif...

Dans son texte, Laurène Beaumond précise bien qu’elle n’est pas une spécialiste de la situation au Xinjiang, qu’elle ne décrit que ce qu’elle a vu de ses propres yeux, que ses propos n’engagent qu’elle-même et qu’en aucun cas elle ne souhaite faire la leçon à qui que ce soit. Les accusations de génocide et de travail forcé la laissent circonspecte et elle se permet de soulever ce fait. Sans même porter crédit à ces propos, certains intellectuels et journalistes français se sont jetés dessus parce que son témoignage ne va pas dans leur sens. Laurène Beaumond ne peut être qu’une invention, puisqu’elle s’exprime comme une Chinoise... n’est-ce pas un peu simpliste ?

« Mon Xinjiang » : halte à la tyrannie des fake news a rapidement attiré l’attention du sinologue Antoine Bondaz et de son cercle de sympathisants qui se sont mis à tailler en pièces ce témoignage et son auteur... enfin, plutôt CGTN Français, puisque Laurène Beaumond n’existe pas selon eux. Mais que serait-il arrivé à cette journaliste si elle avait signé de son vrai nom ? Aurait-elle reçu des menaces, ou pire ? Serait-elle devenue malgré elle une nouvelle cible de l’attaque intellectuelle française contre la Chine ?

CGTN Français a des preuves concrètes des différents séjours de Laurène Beaumond au Xinjiang, de très nombreuses photos et même une copie de son certificat de mariage, puisqu’elle s’est mariée à Urumqi en 2014 avec une personne originaire de cette ville, n’en déplaise à ceux qui pensent qu’il est impossible pour une Française « d’avoir de la famille au Xinjiang ». Cette attaque basse de la part du Monde l’a particulièrement affectée.

Déclaration de l’auteur :

Suite au déballage médiatique disproportionné et au harcèlement subi au téléphone et sur les réseaux sociaux par la journaliste officiant sous le pseudonyme de Laurène Beaumond, celle-ci a décidé de ne plus utiliser ce pseudonyme à l’avenir, craignant pour sa sécurité et celle de sa famille. Les comptes Twitter créés le 31 mars et après sont tous de faux comptes, Laurène Beaumond ayant fermé son compte Twitter qui était d’ailleurs à son vrai nom.

1/4/2021

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7 avril 2021 3 07 /04 /avril /2021 01:53

Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions.

Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois.

Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé organisé à son retour, pas de confettis, pas de veillées autour d’un feu de bois où le narrateur tiendra en haleine un public captivé. Et peu importe qu’il ait accompli la traversée une fois, deux fois ou vingt fois, qu’il soit revenu les bras chargés d’échantillons, de vécus, d’épices ou de pièces d’or, on dira qu’il radote avec des histoires de dragons et de sirènes, même si lui parle surtout de mers bleues, d’îles paradisiaques et de peuplades accueillantes (mais aussi de dragons et de sirènes).

Mais si le cœur vous en dit, jetez quelques bûches dans l’âtre et approchez-vous. N’ayez crainte, je n’ai rien à vendre et ne vous demanderai rien en échange (mais si vous aviez un petit verre de rhum pour ma pauvre gorge desséchée, j’dirais pas non).

* * *

« Comment ne pas critiquer Cuba lorsqu’il y a des persécutions contre les homosexuels ? »
Gérard Miller, émission On n’est pas couché, 20 janvier 2018.

Chaque année, c’est le même scénario. Les élèves des écoles de journalisme ont un rapport à faire sur un sujet de leur choix. Chaque année, il y en a qui choisissent « les médias alternatifs ». Et chaque année, parmi les « médias alternatifs », il y en a qui choisissent (entre autres) Le Grand Soir. Et chaque année, la rencontre qui ne devait durer « qu’un quart d’heure, une demi-heure max’ » s’achève au bout de 2 heures, 3 heures ou (le record) 4 heures...

C’est pas que je sois bavard (je le suis, et alors ?), c’est surtout qu’ils réalisent à quel point ils ont été bernés par deux années « d’études ». « J’ai l’impression d’avoir fait deux années d’études pour rien » a été le cri du cœur de l’un d’entre eux. Quand je les vois, je vois des bébés tortues qui sortent du sable et qui tentent de courir vers l’eau tandis que des Drahi et des Bouygues planent au-dessus... Peu réussiront à atteindre la mer.

* * *

Il fut un temps où je possédais un appareil d’auto-torture appelé « téléviseur ». Télé veut dire à distance (comme dans « télécommande », « téléphone », « téléprompteur » ou « t’es laid, alors ne t’approche pas »). Et viseur est assez explicite. Et s’il y a un viseur, c’est qu’il y a un visé. Si vous possédez un de ces assemblages électroniques, c’est que la proie est à proximité. Inutile de tourner la tête dans tous les sens car la cible, c’est vous.

Et le petit rond de lumière rouge là au milieu de votre front vous donne un petit air d’hindou (rêveur). Et tous les snipers vous le diront : vous verrez peut-être l’éclair mais vous n’entendrez pas le boum (E=MC2). A l’époque donc où je possédais un de ces engins, j’observais avec un intérêt très anthropologique des egos surdimensionnés aux QI riquiquis qui visaient à distance à capter mon attention.

Et certains, en plaçant la barre intellectuelle un peu plus haut, y arrivaient. Attention, « plus haut » ne veut pas dire « très haut », juste plus haut que la moyenne. Disons à 20 cm du sol, ce qui en termes audiovisuels représente l’Himalaya de la pensée. Parmi ces raretés, il y avait Gérard Miller. [voir sa réponse]

Mon objectif ici n’est pas de me lancer dans une attaque ad hominem contre G. Miller, mais d’analyser un phénomène typique chez les intellectuels de gauche médiatisés. Et à l’instar de la grande question de la poule et de l’œuf, se demander si c’est leur médiatisation qui les rend ainsi, ou s’ils sont médiatisés parce qu’ils sont ainsi.

Probablement les deux à la fois : ils sont autorisés à entrer dans le champ médiatique pour cause de compatibilité de leur discours avec le cadre préétabli des expressions tolérées, et leur présence répétée provoque en retour, par une sorte d’instinct de survie pour ne pas se voir condamné à une « mort médiatique », une mise en conformité de leur discours avec le cadre.

C’est ainsi que le 20 janvier 2018, lors de l’émission On n’est pas couché, Gérard Miller prononça cette phrase somme toute empreinte d’un certain bon sens : « Comment ne pas critiquer Cuba lorsqu’il y a des persécutions contre les homosexuels ? ». Pas de quoi s’énerver, sauf si votre détecteur de « Bullshit » (grosse connerie manifeste) est poussé à fond. Et moi, lorsque j’entends une phrase qui contient le mot « Cuba », mon détecteur de « Bullshit » personnel entre en surchauffe en émettant un sifflement strident.

Premier constat : la question est formulée au présent. Au présent signifie maintenant ou dans un horizon temporel proche. Que signifie « proche » ? Hier, il y a un an, dix ans ? Les événements auxquels Miller pourrait faire allusion (à condition d’être beau joueur et d’éteindre pour un moment son détecteur de « Bullshit ») datent d’environ 50 ans. Et parce que je me sens d’humeur conciliant, je vais placer mon détecteur de « Bullshit » en mode silencieux.

Nous voilà donc transposés dans le passé, un demi-siècle en arrière, et Cuba connaît « des persécutions contre les homosexuels ». De la nature de ces persécutions, nous ne saurons rien, car il y a persécution et persécution (arrêtez-moi si je me trompe). Et il y a ensuite le contexte d’une époque (contexte régional, pour ne pas dire mondial).

Un rapide tour d’horizon nous révèle que la « persécution » était encore l’apanage de la plupart des pays dans le monde. On découvre, par exemple, qu’aux Etats-Unis – pays souvent présenté comme le nec plus ultra des droits individuels – la Justice US devait encore, et jusqu’aux années 2000, se prononcer sur les droits des homosexuels. Qui l’eut crû ?

On pourrait donc prononcer une phrase, aussi vraie que celle de Gérard Miller (et même plus, mais je vous rappelle que mon détecteur de « Bullshit » est en mode silencieux), comme celle-ci : « Comment ne pas critiquer les Etats-Unis lorsqu’il y a des persécutions contre les homosexuels ? ». Vous pouvez bien-entendu remplacer « Etats-Unis » par un autre pays. Et aussi remplacer « persécutions contre les homosexuels » par « assassinats en masse » ou « guerres non provoquées », actes dont ils sont coutumiers.

61% des Américains ont une opinion favorable de George W. Bush (dont 54% des Démocrates)
Sondage CNN/SSRS de janvier 2018.

Et c’est ici que le premier bât blesse, car c’est une phrase qui ne leur viendrait même pas à l’esprit. Entre deux « vérités vraies », certaines trouvent naturellement leur place dans la narrative dominante, d’autres restent profondément enfouies.

Si les gays à Cuba ne pouvaient pas faire leur service militaire dans l’armée, aux Etats-Unis la discrimination a officiellement perduré jusqu’en 1996 (lorsque le Congrès US n’a pas spécifiquement autorisé leur présence dans l’armée, mais a simplement jugé que la question de l’orientation sexuelle ne sera pas posée...). Les exemples ne manquent pas, et une simple remise en contexte accompagnée d’une chronologie, date à date, fait ressortir toute l’absurdité d’une mise en accusation répétée ad nauseam pour les uns et balayée sous le tapis pour les autres. Mieux encore : pour les autres, et uniquement pour les autres, de tels rappels seront présentés a contrario dans une démonstration censée souligner les progrès accomplis et vanter le « progressisme » en marche.

« Progressisme » ? A chacun le sien, à chacun son époque. J’aime bien revoir les images des troupes révolutionnaires cubaines déboulant à La Havane le 1er janvier 1959, avec des Noirs, hilares et poings levés, juchés sur les blindés. A la même époque, dans certains coins des Etats-Unis, et pas des moindres, leurs semblables avaient l’obligation de s’asseoir au fond des bus, se voyaient interdire l’entrée de certaines universités.

Aux Etats-Unis, la dernière loi anti-lynchage fut promulguée en... 1968 (même si les meurtres racistes n’ont pas cessé). Et les gays, me demandez-vous ? Un article de l’agence de presse Reuters de Juin 2017 signalait une augmentation des meurtres anti-gay (une trentaine par an).

Quelqu’un pourrait-il me trouver un seul cas de meurtre raciste ou anti-gay à Cuba, depuis 1959 ? Bonne chance.

Deuxième constat : Lorsqu’on prononce une phrase comme « à Cuba, les gays sont persécutés », vous pensez à qui, en termes de persécuteurs ? Au pouvoir en place, bien-sûr, au gouvernement, aux dirigeants, aux autorités... à Fidel Castro. Et vous auriez en quelque sorte raison, parce que c’est bien ainsi que la phrase est censée être comprise.

Et maintenant la même phrase légèrement remaniée : « aux Etats-Unis, les gays sont persécutés ». Qui vous vient à l’esprit ? Le président des Etats-Unis ? Grands Dieux, non. Vous pensez à des « red necks » du Sud, des ploucs attardés vivant au bord de marécages et se mariant entre cousins et cousines, à de grands propriétaires terriens nostalgiques des champs de coton récoltés grâce à une main d’œuvre bon marché, vous pensez au Ku Klux Klan.

Et c’est ici que le deuxième bât blesse. Dans le contexte latino (et le mythe urbain sur les "camps pour gays"), Cuba n’est pas tombée bien bas, mais est partie de très bas, pour évoluer très rapidement - en termes sociétaux, l’évolution a été même fulgurante. Et c’était aussi une époque où une autre partie de la population, et non des moindres, les femmes, a connu une libération, là aussi, fulgurante. Alors, si on devait parler de la situation aujourd’hui, on peut affirmer qu’elle est probablement l’une des meilleures sur le continent, sinon au monde.

Et ce progrès n’a pas été accompli « malgré » le pouvoir en place, mais bien « grâce » à lui, en luttant bec et ongles contre des préjugés et un conservatisme général hérités des anciens pouvoirs colonialistes et impérialistes en place, où la vie d’une personne, gay ou pas, ne valait que par sa fortune et son degré de fidélité à l’ordre des choses.

Une situation jugée sans le contexte (c’était comment avant ?) n’a pas de sens. C’est assez absurde mais surtout complètement ingérable du point de vue de la réflexion. Et on tombe dans des travers à la Miller où on parle d’une époque et d’un processus (la révolution cubaine) qui a fait plus que tout autre processus pour la justice et l’égalité, etc. Miller confond une situation donnée et sa position dans une courbe de changement global et radical.

Comme s’il disait d’un élève qu’une note de 8/20 n’est pas une bonne note. Eh bien ça dépend si l’élève avait auparavant une moyenne de 2 ou de 18, non ? Et si l’élève accomplit un progrès fulgurant, on va quand même lui rappeler sans cesse l’époque où il n’obtenait que 2 ?

C’est comme si je disais « Comment ne pas critiquer le maoïsme d’un certain G.M. ? » et sa complicité avec tous les errements de la « révolution culturelle » chinoise. Ce serait malhonnête de ma part. Ou peut-être pas, mais le dit GM le penserait probablement, surtout formulé de cette manière.

« Il y a un sacré paquet de connards à Cuba - comme partout.
Mais la différence à Cuba, c’est qu’ils ne sont pas au pouvoir.
 »
Jose G. Perez

Parce qu’on parle du même élève, de la même révolution, du même processus, des mêmes personnes, les progrès accomplis (fulgurants, je le rappelle) l’ont été par les révolutionnaires cubains eux-mêmes et contre un certain conservatisme de l’époque. Et parlant de questions sociétales, il m’agace de les entendre systématiquement – et stupidement – posées en termes purement politiques, alors qu’elles sont avant tout culturelles, et la culture est un domaine sur lequel la politique peut agir, certes, mais avec un temps de réponse qui n’est pas de l’ordre de 24 heures.

On peut nationaliser une entreprise du jour au lendemain, on peut rayer le droit du travail du jour au lendemain, on peut dépénaliser l’homosexualité du jour au lendemain (Cuba : 1979. France :1981) mais on ne peut pas « obliger » une population, du jour au lendemain, à devenir « tolérante ». La seule solution « par le haut » connue à ce jour, c’est l’éducation et l’exemple (venu d’en haut).

Heureusement, Cuba a un système éducatif des plus efficaces, et des dirigeants des plus intelligents. Mais ça prend quand même du temps. Pas beaucoup en fait, mais quand même juste assez pour ouvrir une fenêtre de tir anachronique et permettre à un Miller de faire son mariole à la télé française en 2018, et prononcer une de ces « pensées-réflexes » qui n’ont aucune validité intellectuelle réelle.

Les « camps de travail » (vous voyez le parallèle, non ?) pour « homosexuels » n’ont jamais été que des camps militaires réservés aux réfractaires et/ou aux « inadaptés » au service militaire et à la vie dans une caserne (dont, par exemple, les Témoins de Jéhovah). Ce qui, à l’époque, n’était pas un raisonnement absurde. Y étaient-ils torturés ? Non.

Subissaient-ils des lynchages ? Non. Subissaient-ils les quolibets du personnel d’encadrement ? Peut-être, probablement. Que les camps n’aient existé que 2 ans (ou 4, j’ai la flemme de chercher), et qu’ils aient été fermés par un ordre venant d’en haut, de très haut, peu importe. La fenêtre de tir anachronique s’est ouverte, et restera ouverte pour l’éternité. Et, cerise sur le gâteau, on accusera du phénomène ceux qui ont précisément lutté contre. Orwell est notre ami.

Troisième constat : lorsque l’idéologie dominante a « décidé » de viser un pays, ce dernier a intérêt à avoir un curriculum vitae exemplaire (selon l’idéologie dominante) et aussi loin dans le passé que possible. Si le pays se décide à faire une révolution, il a intérêt à savoir jongler avec toutes les assiettes en même temps, et peu importe la Guerre Froide, une tentative d’invasion militaire, les attentats terroristes et les sabotages, un blocus cruel et inhumain, et même la présence d’une base militaire d’une grande puissance, sans oublier la Révolution elle-même – de quoi remplir ses journées.

Quatrième constat : la méthode de la critique rétroactive. Cette méthode est largement employée en Occident. Elle s’appuie sur deux principes. Le premier est que nous sommes l’étalon-mesure de ce qui est bien ou pas – ceux qui pensent comme nous et ceux qui ne pensent pas comme nous. Le deuxième est qu’il faut non seulement « penser comme nous » mais le faire en même temps dans une sorte de chorégraphie de nage synchronisée.

Ce matin, je me suis réveillé avec tel principe chevillé au corps, et j’exige à partir de désormais inclus que tout le monde se soit réveillé dans le même état d’esprit, de préférence à la même heure. Cette méthode s’applique comme couverture d’une arrogance culturelle profonde et, comme la plupart des postures arrogantes, produit des situations au mieux cocasses, au pire tragiques.

Comme un intellectuel français qui critique Cuba sur un sujet où Cuba s’est révélée plutôt précurseur en la matière. Ce qui est aussi le cas pour les droits des femmes où Cuba enfonce allégrement - dans le temps et dans l’espace – le pays des droits de l’homme. Transposée dans les années 60/70, la comparaison des droits acquis entre Françaises et Cubaines donnerait une médaille d’or à Cuba et une médaille en chocolat (à l’huile de palme) à la France.

Cette méthode semble être destinée aussi à fournir une excuse pour ne jamais soutenir, ne jamais s’engager, cantonnant son utilisateur dans une position cynique des plus confortables. Parce qu’un "authentique" révolutionnaire doit être à la fois révolutionnaire, anti-ceci, anti-cela, pro-ceci et pro-cela. Si une seule case n’est pas cochée, "désolé, votre candidature n’a pas pu être retenue. Au suivant. Désolé...".

Et si d’aventure une case se retrouve finalement cochée, on en trouvera une autre qui ne le sera pas. Ce ne sont pas les excuses qui manqueront, des plus graves au plus futiles, de la peine de mort au rap, tout sera bon. Le tout de la part de ceux qui se chatouillent le nombril avec des pétitions en ligne, et contre ceux qui ont réalisé, et réussi (ne vous en déplaise), une des plus formidables transformations sociales du siècle dans un des contextes les plus difficiles jamais imposé à un pays.

«  La gauche occidentale n’a pas la moindre putain d’idée du monde dans lequel elle vit ».
José Saramago, écrivain et journaliste portugais, Prix Nobel de littérature.

Dans un livre publié en 2003 [et non en 2013 comme indiqué précédemment - comme le temps passe... NdA] (« Cuba est une île » Viktor Dedaj/Danielle Bleitrach/Jacques François Bonaldi – Ed. Le Temps des Cerises), nous avions souligné un aspect fondamental de la propagande anti-cubaine : la décontextualisation.

Phénomène qui ne se limite pas à Cuba, loin s’en faut, mais qui dans le cas Cubain s’applique systématiquement. A tel point que des éléments qui seraient jugés incontournables dans d’autres cas sont ici purement et simplement évacués.

Comme parler de l’émigration cubaine (qui reste, malgré tout, l’une des plus faibles du continent) sans mentionner la loi états-unienne « Cuban Adjustment Act » de 1964 destinée à favoriser l’émigration cubaine et provoquer une fuite de cerveaux. Et ce n’est pas comme si on fouillait dans quelques archives obscures, c’est un élément qui est sans cesse rappelé par les responsables cubains.

L’évacuer n’est donc ni le fruit d’une ignorance, ni un oubli, mais le résultat d’un choix. Et tant pis si le public non-averti se retrouve berné, en train de regarder un film dont on aurait coupé la moitié de l’image.

En réalité, il n’y a pas un seul sujet que je connaisse sur Cuba qui ne fasse pas l’objet soit d’un charcutage, soit d’une déformation invraisemblable. (« Les prisons pour sidéens » provoquent encore chez moi une colère sourde). Et cette pensée-réflexe, mentionnée plus haut, ne touche pas que les tâcherons du journalisme ou les habituels propagandistes.

Lors d’une conférence récente sur Cuba, le rédacteur en chef adjoint du mensuel Le Monde Diplomatique, Renaud Lambert, a conclu son intervention d’une quarantaine de minutes en mentionnant in extremis le mot « embargo », qu’il a lui-même qualifié de « terrible ». On n’en saura pas plus. Juste qu’il est « terrible ». J’en suis encore à me demander comment l’élite du journalisme français arrive à évacuer d’une intervention l’aspect « terrible » de la réalité, tout en ponctuant son intervention d’anecdotes sur le service dans les restaurants ou la qualité de l’hébergement pour les touristes. Omettre de mentionner le terrible, c’est ça que je trouve terrible.

De Cuba d’ailleurs, il ne sera jamais fait mention du fameux « embargo », ou alors juste en passant. A quelques exceptions près, vous qui me lisez n’avez en réalité pas la moindre idée en quoi il consiste. Vous pensez peut-être même, à l’instar des fake journalistes de l’AFP, que l’embargo est levé. Ou votre ignorance totale en la matière vous permet d’ânonner des choses comme « l’embargo n’existe pas » ou que « ce n’est qu’une excuse ».

De Cuba non plus, il ne sera jamais fait mention des 3000 attentats perpétrés contre l’île – ce qui à l’échelle de France équivaudrait à 20 000 attentats. En guise de marronnier journalistique, on préférera au mieux ne parler que des attentats contre Fidel Castro, ce qui impose l’idée que les criminels auteurs de ces attentats n’avaient qu’un objectif somme toute louable, « débarrasser Cuba d’un dictateur ».

Les jeunes qui pêchaient à la ligne à Caibarien, ou les ouvriers de l’usine bombardée par des bombes incendiaires, ou le touriste italien mort dans un attentat à la bombe dans un hôtel, les passagers de l’avion commercial cubain, et toutes les 3000 victimes de ces attentats auraient peut-être leur mot à dire. Encore eut-il fallu ne pas les faire tomber dans l’oubli, ni eux, ni leurs assassins.

De Cuba, on ne lira que des articles stupides publiés dans les Inrockuptibles qui racontent comment on « enfermait les malades atteints du Sida ». Et peu importe si j’ai l’impression d’avoir été le seul Occidental à avoir mis les pieds dans ces centres (pas compliqué, il suffisait de demander), et peu importe s’ils avaient plus l’allure de Country Clubs réaménagés que de prisons, rien n’y fera.

Un récent échange sur le sujet avec une personne se présentant comme ancien dirigeant d’Act Up m’a fait comprendre que 1) l’hystérie collective existe et que 2) un pervers narcissique un tantinet manipulateur (« vous vous en fichez des morts du SIDA ») peut prendre la tête d’une organisation reconnue.

« Il y a beaucoup d’ignorance sur ce qui se passe à Cuba et on ne veut jamais rien leur reconnaître. Si d’autres avaient fait ce que Cuba a fait [pour lutter contre le SIDA], ils seraient admirés par le monde entier. »
Peggy McEvoy - représentante de UN-AIDS à Cuba, de 1996 à 2001

De Cuba, on n’entendra rien sur la solidarité médicale accordée par l’île à travers le monde, avec +/- 40 000 médecins et travailleurs de la santé déployés dans les régions les plus reculées. Là aussi, les esprits chagrins parleront de « propagande » (pas très efficace, apparemment) ou de « business, pas de charité » et, pour appuyer leurs dires, mentionneront les rares cas où Cuba « fait payer » effectivement ses services, mais uniquement à ceux qui en ont les moyens.

C’est comme si la France envoyait 250 000 médecins à travers le monde. Et je demande à tous de réfléchir à ce que serait une France qui enverrait 250 000 médecins à travers le monde. A quoi ressemblerait-elle, cette France-là ? A celle que vous connaissez ?

De Cuba, on ne saura rien des dizaines de milliers, peut-être des centaines de milliers, de réfugiés accueillies par l’île. Des réfugiés politiques, originaires de tous les continents (mais surtout de l’Amérique latine, évidemment), et de toutes obédiences, mais aussi des « réfugiés médicaux ».

Des réfugiés accueillis avec une telle spontanéité et un tel naturel que je n’ai pas réussi, après des années de recherches, à trouver un Cubain capable de me fournir ne serait-ce qu’une estimation de leur nombre. Ils n’en savent tout simplement rien. Ils ne se sont apparemment même pas posé la question, ni avant, ni après. Au point de soigner l’assassin du Che, Mario Terán.

Vous vous demandez peut-être le rapport entre tout ce qui précède, le début de ce texte, et la phrase de Gérard Miller. C’est ici je que je rallume mon détecteur de « Bullshit ».

En considérant ne serait que cette toute petite pointe de l’iceberg de solidarité que Cuba a offerte tout au long de son existence révolutionnaire, en connaissant ceux et celles qui en ont été les instigateurs et les acteurs, comment diable arrive-t-on à croire pour ne serait-ce qu’une nanoseconde que ces derniers aient pu, un jour, regarder quelqu’un et se dire « hum... celui-là, et celle-ci, nous allons les persécuter parce que leur orientation sexuelle m’incommode » ?

La seule explication que j’ai trouvée est qu’il existe une force physique mystérieuse qui s’énonce ainsi (n’en déplaise à Archimède) :

« Tout corps intellectuel, plongé dans un milieu médiatique amorphe, subit une force verticale dirigée de haut vers le bas, et opposée au poids des arguments développés. Cette force est appelée poussée de Viktor Dedaj ». Wikipédia (édition 2050, alors patience...).

Viktor Dedaj
et ça pousse, ça pousse...

Traduction en portugais : Como Cuba revela toda a mediocridade do Ocidente


 

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25 mars 2021 4 25 /03 /mars /2021 01:44

Il y a dix ans, le 19 mars 2011, les forces EU/OTAN commençaient le bombardement aéronaval de la Libye. La guerre fut dirigée par les États-Unis, d’abord via le Commandement Africa, puis par l’OTAN sous commandement des EU.

En sept mois, l’aviation EU/OTAN effectue 30 mille missions, dont 10 mille d’attaque, avec plus de 40 000 bombes et missiles. L’Italie – avec le consensus multi-partisan du Parlement (Partito democratico au premier rang) – participe à la guerre avec 7 bases aériennes (Trapani, Gioia deL Colle, Sigonella, Decimomannu, Aviano, Amendola et Pantelleria) ; avec des chasseurs bombardiers Tornado, Eurofighter et d’autres, avec le porte-avions Garibaldi et d’autres navires de guerre.

Avant même l’offensive aéro-navale, avaient été financés et armés en Libye des secteurs tribaux et groupes islamistes hostiles au gouvernement, et infiltrées des forces spéciales notamment qataris, pour propager les affrontements armés à l’intérieur du pays.

Ainsi est démoli cet État africain qui, comme l’expliquait la Banque mondiale en 2010, maintenait « de hauts niveaux de croissance économique », avec une augmentation annuelle du PIB de 7,5%, et enregistrait « de hauts indicateurs de développement humain » parmi lesquels l’accès universel à l’instruction primaire et secondaire et, pour plus de 40% aux universités

 Malgré les disparités, le niveau de vie moyen était en Libye plus haut que dans les autres pays africains. Environ deux millions d’immigrés, en majorité africains, y trouvaient du travail. L’État libyen, qui possédait les plus grandes réserves pétrolifères de l’Afrique plus d’autres en gaz naturel, laissait des marges de profit limitées aux compagnies étrangères. Grâce à l’exportation énergétique, le balance commerciale libyenne avait un excédent annuel de 27 milliards de dollars.

Avec de telles ressources, l’État libyen avait investi à l’étranger environ 150 milliards de dollars. Les investissements libyens en Afrique étaient déterminants pour le projet de l’Union africaine de créer trois organismes financiers : le Fonds monétaire africain, avec siège à Yaoundé (Cameroun) ; la Banque centrale africaine, avec siège à Abuja (Nigeria) ; la Banque africaine d’investissement, avec siège à Tripoli. Ces organismes auraient servi à créer un marché commun et une monnaie unique de l’Afrique.

Ce n’est pas un hasard si la guerre OTAN pour démolir l’État libyen commence moins de deux mois après le sommet de l’Union africaine qui, le 31 janvier 2011, avait donné son feu vert pour la création dans l’année du Fonds monétaire africain. Le prouvent les e-mails de la secrétaire d’État de l’administration Obama, Hillary Clinton, mis en lumière ensuite par WikiLeaks :

États-Unis et France voulaient éliminer Kadhafi avant qu’il n’utilise les réserves en or de la Libye pour créer une monnaie pan-africaine alternative au dollar et au franc CFA (la monnaie imposée par la France à 14 de ses ex-colonies). Ceci est prouvé par le fait que, avant qu’en 2011 n’entrent en action les bombardiers, ce sont les banques qui entrent en action : elles séquestrent les 150 milliards de dollars investis à l’étranger par l’État libyen, dont la plus grande partie disparaît.

Dans la grande rapine se distingue Goldman Sachs, la plus puissante banque d’affaires étasunienne, dont Mario Draghi a été vice-président.

Aujourd’hui en Libye les entrées de l’export énergétique se trouvent accaparées par des groupes de pouvoir et des multinationales, dans une situation chaotique d’affrontements armés. Le niveau de vie moyen de la majorité de la population s’est effondré.

Les immigrés africains, accusés d’être « des mercenaires de Kadhafi », ont été emprisonnés jusque dans des cages de zoo, torturés et assassinés. La Libye est devenue la principale voie de transit, aux mains de trafiquants d’êtres humains, d’un chaotique flux migratoire vers l’Europe qui a provoqué beaucoup plus de victimes que la guerre de 2011

 À Tawerga, les milices islamistes de Misrata soutenues par l’OTAN (celles qui ont assassiné Kadhafi en octobre 2011) ont accompli un véritable nettoyage ethnique, contraignant presque 50 000 citoyens libyens à fuir sans pouvoir y revenir. De tout cela est responsable aussi le Parlement italien qui, le 18 mars 2011, engageait le Gouvernement à « adopter toute initiative (c’est-à-dire l’entrée en guerre de l’Italie contre la Libye) pour assurer la protection des populations de la région ».

Manlio Dinucci

source : https://ilmanifesto.it

traduit par M-A P.

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17 février 2021 3 17 /02 /février /2021 15:12
     
 

Petit État sud-américain, le Paraguay demeure une nation agricole aux inégalités sociales prononcées. Dans le nord du pays, une organisation paysanne se bat contre le modèle très dominant de la monoculture d’exportation.

  • Concepción (Paraguay), reportage

À travers le pare-brise de sa voiture, Adriano observe un instant l’état de la route. Les pluies de la veille ont creusé des ornières dans le sol boueux et obligent le conducteur à faire preuve de prudence. Après quelques secondes de tâtonnement, il s’élance et pénètre dans le petit terrain que délimite une barrière en bois. « Nous voici au siège de l’OCN. » L’Organisation paysanne du Nord (Organización Campesina del Norte, OCN) est une structure corporative de la région de Concepción, dans le nord du Paraguay.

Fondée en 1986, elle a pour ambition de regrouper les paysans et petits producteurs du département afin d’en défendre les intérêts. Dans l’enceinte se trouve une maisonnette, dont une des pièces est utilisée pour la radio communautaire de l’association. Les lieux sont spartiates et témoignent des moyens précaires dont dispose la structure. « Environ six cents familles sont membres de l’OCN », raconte Adriano Muñoz.

Ingénieur en agroécologie, diplômé au Venezuela, il est âgé de 37 ans et milite dans l’organisation depuis 2006. « Notre objectif est de promouvoir une méthode productive ayant pour base le modèle familial, l’autosuffisance alimentaire et sans utiliser de pesticides. » L’adhésion à l’OCN se réalise à travers une formation afin d’acquérir les connaissances techniques nécessaires à l’application de ce projet.

Un système qu’Adrieno présente comme un « modèle de résistance » face à celui de la monoculture.

« La répression ne se fait pas au hasard » 

Peuplé d’environ sept millions d’habitants, le Paraguay est un pays dans lequel plus de 35 % de la population vit en milieu rural. Les inégalités sociales sont importantes, selon l’ONG Oxfam, car seulement 2 % de la population possèdent 85 % des terres. Un accaparement résultant des longues années de dictature (1954-1989), durant lesquelles des milliers d’hectares furent distribués aux proches et amis du régime.

C’est sur cette base que s’est développée une politique agricole d’exportation centrée sur le soja. Au début des années 1990, près de 1,5 million d’hectares étaient utilisés pour la production de cette légumineuse, qui en occupe aujourd’hui 3,5 millions (soit 8,6 % du pays, qui compte 406.752 km²).

Cette expansion vertigineuse s’accompagne de celle de l’élevage, dont la croissance implique la déforestation de nombreuses zones du pays afin de créer des pâturages pour le bétail. Conséquence de cette insatiable logique économique : de nombreux petits paysans sont expulsés de leurs terres et les communautés indigènes sont privées de leurs forêts.

Le paysage du département de Concepción [1] en est très représentatif : de vastes parcelles clôturées bordent la route reliant la ville de Concepción à la capitale, Asunción. Sur des centaines de kilomètres, d’interminables barbelés délimitent ces propriétés privées vouées à nourrir les bovins ou à la plantation de maïs, d’eucalyptus et de soja. Entre 2001 et 2019, le Paraguay a perdu, selon l’observatoire Global Forest Watch, environ six millions d’hectares de couvert végétal.

 « Nous avons deux modèles économiques qui s’affrontent et qui ne peuvent pas cohabiter, dit l’ingénieur. Cela entraîne un vif conflit de territoire et la violence devient un moyen pour imposer la monoculture. »

Autour de Concepción, il n’est pas rare de croiser des postes de contrôle routier tenus par des hommes armés en uniforme, parfois avec des véhicules blindés. Depuis 2013, une unité mixte composée de policiers et de militaires est déployée dans tout le département de Concepción : la FTC (Force de travail commun, la Fuerza de Tarea Conjunta).

Elle est chargée de lutter contre la guérilla de l’EPP (Armée du peuple paraguayen, Ejército del Pueblo Paraguayo), dont la zone d’activité se concentre dans cette partie du pays. « Le problème avec la FTC, c’est qu’elle part du principe que tout paysan est un guérillero, cela entraîne une répression aveugle dans les villages », explique Adriano.

Une situation que le jeune homme connaît personnellement. C’est parce qu’il était menacé d’arrestation qu’il s’est exilé trois ans au Venezuela. Il a ensuite été accusé d’être « le délégué international de la guérilla » de l’EPP pour sa présence dans le pays chaviste.

Adriano Muñoz, militant de l’OCN.

« La répression ne se fait pas au hasard », soulignent de leur côté Pablo Cáceres et Benjamin Valiente, tous deux membres de la Pastorale sociale de l’Église de Concepción. Religieux impliqués dans le monde rural, les deux hommes sont des figures publiques reconnues pour leur engagement en faveur des communautés locales.

Selon eux, « la plupart des victimes des actions de la FTC, sous prétexte de lutte antiterroriste, sont des personnes impliquées dans les mobilisations sociales paysannes et contre les abus des grands propriétaires ». Ils dénoncent des cas de « falsos positivos » (faux positifs), c’est-à-dire des personnes tuées par l’armée que l’on présente ensuite comme des membres de l’EPP.

Benjamin Valiente (à gauche) et le prêtre Pablo Cáceres, responsables de la Pastorale sociale de Concepción.

Apparu en mars 2008, l’EPP est un groupe insurgé qui se dit marxiste-léniniste. Possédant des racines rurales, il a surgi lors d’un conflit opposant les habitants de la petite commune de Kurusu de Hierro (département de Concepción) à Nabort Both, propriétaire d’une plantation de soja voisine.

Les premiers exigeaient l’installation d’une barrière verte (composée d’arbres) afin d’empêcher que la fumigation de produits agrochimiques, réalisée par le second, ne continue de provoquer des intoxications au sein des foyers. Alors qu’un procès était en cours, l’EPP brûla des tracteurs et autres machines agricoles appartenant à M. Both.

Depuis, l’EPP a multiplié les actions violentes : embuscades, attaques armées et enlèvements. Il a de nouveau fait la une des journaux avec l’enlèvement, le 9 septembre 2020, de l’ancien vice-président de la république Oscar Denis.

« Que ce soit par coercition ou par sympathie politique, l’EPP dispose d’un soutien dans le milieu rural » 

« Le problème est que l’EPP porte les mêmes revendications que les groupes paysans », déplore Benjamin Valiente. Contre la déforestation, contre la fumigation et hostile aux grands propriétaires terriens, l’organisation armée affirme dans ses communiqués lutter en faveur « du peuple » et contre « les oligarques ».

 « Mais leurs actions nous portent préjudice à chaque fois, déplore Benjamin Valiente. Elles justifient le discours sécuritaire et la militarisation de la région. » L’EPP devient un ennemi si utile à l’État que les deux religieux doutent parfois de sa nature réelle ou de la volonté sincère des autorités à l’éradiquer.

Un questionnement que se pose également le journaliste et universitaire Hugo Pereira, auteur d’un ouvrage sur le sujet [2] : « Il n’y a presque plus de forêts, cet habitat naturel des guérillas, et les vastes territoires sur lesquels se déplace l’EPP sont pour la plupart composés de terrains privés, dotés de gardiens armés et de systèmes de surveillance. Comment peut-il tenir en échec les militaires si longtemps dans ces conditions ? »

Le journaliste Hugo Pereira, dans la banlieue d’Asunción, la capitale du Paraguay.

Pour le criminologue Juan Martens, auteur d’une longue enquête sur l’EPP (Aproximaciones a la naturaleza del EPP dese la perspectiva de la insurgencia), l’existence de ce groupe armé est favorisée par l’absence de l’État dans la région. Il mentionne notamment le cas d’assistance ou d’aides économiques sporadiques que la guérilla dispense dans les hameaux. 

« Que ce soit par coercition ou par sympathie politique, l’EPP dispose d’un soutien dans le milieu rural. » De son côté, l’OCN, l’organisation paysanne non violente, dit pâtir de la situation : « L’OCN a perdu beaucoup de membres à cause de cette stigmatisation, regrette ainsi Adriano. 

Autrefois, nos forces vives étaient capables de paralyser la ville lors des mobilisations. » Malgré les difficultés, elle reste une actrice centrale dans le nord du pays. Et un rempart modeste face au rouleau compresseur de la monoculture.

Une rue du centre-ville de Concepción.

 

C’est maintenant que tout se joue…

Les scientifiques alertent sur le désastre environnemental qui s’accélère et s’aggrave, la population est de plus en plus préoccupée, et pourtant, le sujet reste secondaire dans le paysage médiatique. Ce bouleversement étant le problème fondamental de ce siècle, nous estimons qu’il doit occuper une place centrale dans le traitement de l’actualité.
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En résumé, Reporterre est un exemple rare dans le paysage médiatique : totalement indépendant, à but non lucratif, en accès libre, et sans publicité.


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16 février 2021 2 16 /02 /février /2021 10:26

achar

Une élection surprise à la Chambre des Représentants après une campagne de terrain acharnée

Née dans le Bronx le 13 octobre 1989 de parents immigrés de Puerto Rico, Alexandria Ocasio-Cortez, dite AOC, vit dans une famille de classe moyenne dans le Bronx d’abord puis dans la ville de Yorktown. 

Durant son cursus secondaire, elle se spécialise notamment en microbiologie et obtient à ce titre le second prix de l’ISEF (Intel International Science and Engineering Fair) pour une recherche effectuée sur l’effet des antioxydants, ce qui lui vaudra d’avoir un astéroïde nommé après elle.

elle commence doucement à s’intéresser à la politique durant ses années secondaires et universitaires, faisant notamment un stage auprès du Sénateur démocrate Ted Kennedy, et obtient avec mention en 2011, après un cursus effectué à l’Université de Boston, un baccalauréat universitaire des arts en relations internationales, mineure économie.

En raison de la mort de son père en 2008 d’un cancer des poumons, elle décide durant ses études de retourner vivre dans le Bronx afin d’aider financièrement sa mère (alors femme de ménage et conductrice de bus) en devenant serveuse dans un bar.

Cette expérience en tant qu’étudiante de classe moyenne confrontée aux conséquences de la crise de 2008 et aux problèmes du système de sécurité sociale et de la crise de logement est selon elle la principale raison de son engagement politique actif. Elle fait campagne durant les primaires démocrates de 2016 pour Bernie Sanders.

En avril 2018, elle décide de se présenter aux primaires démocrates pour élire la personne représentant le 14ème district de New York (correspondant au Bronx et une partie de Queens, à majorité hispanique), soutenue notamment par plusieurs organisations progressistes souhaitant battre des représentants démocrates installés mais jugés trop modérés. Ce district, jusqu’ici représenté par le démocrate Joe Crowley depuis 1999 qui, en raison de sa puissance grandissante au sein du parti, n’avait pas connu de challenger durant des primaires depuis 2004, lui était notamment favorable en raison de la population hispanique.

Jugé trop modéré et loin des aspirations des habitants du district, il était cependant favori en raison du soutien d’une majorité du parti démocrate, et donc notamment d’un financement conséquent. Son manque de notoriété dans son district, ainsi qu’une campagne de terrain remarquée par les progressistes et acharnée menée par AOC, lui feront perdre la primaire à 43,3% contre 56,7% pour Alexandria Ocasio-Cortez. Le district étant majoritairement démocrate, cette victoire aux primaires lui assure une large victoire à l’élection générale, et elle est élue à la Chambre des Représentants avec 78% des voix.

A l’âge de 29 ans, elle devient la plus jeune femme à être élue dans cette chambre du Parlement. Son élection, alors que son rival durant la primaire était pressenti pour monter en rang au sein du Parti démocrate et qu’elle se revendique fièrement comme faisant partie des Democratic Socialists for America (DSA), est l’un des faits marquants des élections des mid-terms de 2018, et poursuit le débat sur un virage à gauche du parti. Sa jeunesse mais aussi son talent oratoire et son programme novateur font vite d’elle une icône des médias.

Un début remarqué au Congrès avec un positionnement politique clair et assumé : le socialisme démocratique

Assumant son positionnement résolument ancré à la gauche du parti démocrate, elle participe avant même sa prise de fonction à une manifestation de jeunes engagés dans la lutte contre le changement climatique, devant le bureau de la chef des démocrates à la Chambre des Représentants Nancy Pelosi, indiquant alors que la lutte pour le climat serait l’une de ses priorités.

Elle votera cependant pour elle en tant que Présidente de la Chambre des Représentants, considérant qu’elle est la plus progressiste des candidats. Elle prête serment le 3 janvier 2019, et choisit de siéger dans le Comité sur les Services Financiers (sous-comité sur la protection des investisseurs, l’entreprenariat et les marchés capitaux) et le Comité de Surveillance et de Réforme du Gouvernement (sous-comité sur les droits et libertés civils, sous-comité sur l’environnement).

Très vite, ses interventions au Congrès sont largement remarquées et deviennent virales, notamment lorsqu’elle met en relief les problèmes éthiques concernant les moyens de financement du Président et des membres du Congrès (la vidéo devient la vidéo politique la plus vue sur Twitter avec 41,6 millions de vues)[2], ou lorsqu’elle interroge l’ex avocat de Donald Trump, Michael Cohen, et obtient de lui des informations sur les arrangements possiblement illégaux du Président[3].

En plus de ce travail remarqué durant les auditions, elle présente le 7 février 2019 son premier grand texte législatif : le Green New Deal. Plan ambitieux dans la lutte pour le climat et la justice sociale, inspiré du New Deal de Roosevelt et prévoyant notamment un plan sur dix ans de mobilisation économique pour cesser l’utilisation d’énergies fossiles et investir massivement dans l’infrastructure du pays, il est vite soutenu par toutes les organisations luttant pour l’environnement mais crée un débat vif, et parfois violent, notamment dans le camp des Républicains.

Il est notamment soutenu par le Sénateur Bernie Sanders, la Sénatrice Elizabeth Warren et le Sénateur Ed Markey, trois des sénateurs du caucus démocrate les plus progressistes. Le plan est rejeté au Sénat, à majorité républicaine, le 26 mars 2019, mais demeure une proposition de loi de justice économique et sociale majeure tant elle aura lancé de débats et de controverses, mais aussi inspiré d’autres pays.

Conférence de presse de présentation du Green New Deal, le 07 février 2019

Le progressisme de ses positions, voire leur radicalité, s’étend à tous les domaines politiques : elle est en effet considérée plus à gauche que le Sénateur Indépendant et candidat à la présidentielle Bernie Sanders. Elle souhaite notamment la fin de cette ère de capitalisme financier, la gratuité de l’université pour tous, un système de sécurité sociale à payeur unique tel qu’il existe en Europe, l’annulation des dettes étudiantes.

Ces positions sont assez partagées dans le camp progressiste américain et font peu débat en son sein, contrairement à d’autres beaucoup plus controversées : contrôle strict des armes à feu, abolition de l’agence américaine en charge du contrôle de l’immigration et des frontières (ICE) et naturalisation de toutes les personnes immigrées sur le sol américain, abolition ou réforme du Département de la Sécurité Intérieure instauré en 2001 après les attentats du 11 septembre (DHS).

Elle compare son projet politique aux pays scandinaves et européens, et assure ne pas être socialiste (le mot étant connoté très péjorativement outre-mer, car associé à Cuba et au Venezuela), mais socialiste démocratique. Ce positionnement assumé lui vaut d’être l’une des figures politiques les plus attaquées, parfois même dans son propre camp.

L’illustration de la violence du débat politique américain depuis la présidentielle de 2016

            Dès son élection, elle fait l’objet d’attaques vives et gratuites, parfois sexistes, de la part du camp Républicain, notamment lorsqu’ils diffusent une vidéo d’elle dansant sur un toit lorsqu’elle était plus jeune, pensant la ridiculiser mais la rendant sympathique envers une bonne partie de la jeunesse. Le parti démocrate et ses officiels décident un temps de l’ignorer, considérant son élection et donc son importance politique comme mineures : Nancy Pelosi qualifiera de manière méprisante le Green New Deal « the green dream or whatever » (« le rêve vert ou je ne sais quoi »).

Ce comportement change dès lors qu’elle prend de l’importance sur la scène politique, et malgré des divergences majeures et toujours présentes (notamment lorsqu’elle vote différemment des consignes du parti ou soutient des candidats se présentant dans des primaires face à des élus démocrates), ses relations avec le parti sont aujourd’hui davantage apaisées, même si son positionnement politique reste jugé minoritaire par le parti et la plupart des officiels et parfois qualifié durement.

AOC et la Présidente démocrate de la Chambre des Représentants Nancy Pelosi

Elle fait cependant l’objet d’attaques incessantes de la part des Républicains. C’est ainsi qu’elle et les membres du « Squad » (un groupe de quatre représentantes au Congrès, progressistes et de couleur dont elle fait partie) sont attaquées par le Président Donald Trump dans un tweet du 14 juillet 2019, dans lequel il affirme notamment qu’elles devraient « retourner dans leur pays d’origine et les aider » au lieu de critiquer le gouvernement, alors que trois de ces quatre femmes sont nées aux Etats-Unis.

Ces propos feront l’objet d’une résolution de condamnation, votée et approuvée par la Chambre des Représentants le 15 juillet 2019.

Après des propos comparant les centres de détention pour personnes migrantes illégales à des camps de concentration ayant fait polémique, elle y effectue une visite en juillet 2019, durant laquelle elle atteste notamment que certaines femmes sont forcées de boire l’eau des toilettes afin d’avoir accès à de l’eau. Ces propos sont moqués et ridiculisés par le parti républicain qui remet notamment leur véracité en cause, mais confirmés par celle-ci sous serment lors d’une audition au Congrès.

Le 21 juillet 2020, il est rapporté qu’elle a été confrontée par deux membres de la Chambre des Représentants républicains, Ted Yoho et Roger Williams, qui lui ont dit qu’elle était « dégoutante » et qu’elle avait perdu l’esprit, après des commentaires qu’elle avait fait faisant le lien entre criminalité et pauvreté.

Alors qu’elle s’en allait, Ted Yoho l’aurait alors insulté de « fucking bitch ». Il s’excuse sans la nommer le 22 juillet au sein de la Chambre, et elle lui répond le lendemain en faisant un discours devenu viral sur le privilège masculin et le caractère systémique des comportements sexistes.

Vers un destin politique d’envergure ?            

Soutien de Bernie Sanders en 2016 et en 2020, elle fait désormais partie d’une task force ayant pour objet de préparer l’hypothétique future administration du candidat démocrate à la présidentielle Joe Biden. En juin 2020, elle gagne haut-la-main sa primaire avec 72% des voix, lui assurant d’être réélue en novembre à la Chambre des Représentants.

Tandis que certains la voient comme la Secrétaire au Travail ou ambassadrice à l’ONU dans une administration Biden, il est peu probable qu’elle soit retenue pour un tel poste, tant les divergences entre les deux sont nombreuses, bien qu’elle le soutienne officiellement (elle a indiqué que si le système américain avait plus de deux partis viables, ils ne seraient pas dans le même).

Il est plus sûr de parier sur une candidature en tant que Sénatrice de New York, Maire de la ville ou Gouverneure de l’Etat : avant peut-être une candidature à la présidentielle, une fois qu’elle aura dépassé 35 ans ? En attendant, elle a formé des comités de soutien destinés à faire émerger de nouveaux candidats partageant ses positions, parfois dans le cadre de primaires face à des élus démocrates, ce qui continue de lui assurer l’inimitié de nombreux de ses collègues.

Maxime Col

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9 février 2021 2 09 /02 /février /2021 02:11

On pouvait espérer mieux que l’équipe de politique étrangère de Biden pour souhaiter la paix au monde en cette nouvelle année

L’élection de Biden a été jusqu’à présent célébrée par les démocrates comme annonçant le retour à la raison de la politique étasunienne.

La politique étrangère de Trump, qui consistait à se retirer des accords de coopération internationale, à favoriser les antagonismes, et à intensifier les tensions avec la Chine, la Corée du Nord et l’Iran, a donné au reste du monde l’espoir que le prochain président des EU ne déclencherait pas une nouvelle guerre.

Ironiquement, Trump n’en a pas déclenché. Bien qu’il ait été très proche de le faire avec l’assassinat du général Qassem Suleimani, sa politique dans le monde et au Moyen-Orient en particulier a été une politique de retrait, à la fois politique et militaire.

Le bilan d’Obama, au contraire, est entaché par une grande belligérance. Avec son programme de drones et ses interventions au Pakistan, en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Libye, en Somalie, au Yémen et en Afrique subsaharienne, Obama a supervisé dix fois plus de frappes aériennes que George W. Bush, larguant 26 171 bombes rien qu’en 2016, tuant des centaines de civils.

Dans le même registre, on note la destruction de la Libye et une large participation à la destruction de la Syrie, deux opérations militaires largement responsables de la crise des réfugiés en 2015. Mais Obama n’était pas tout seul. Il était secondé par une équipe de haut vol : ses deux secrétaires à la Défense successifs, Robert Gates et Chuck Hagel, sa secrétaire d’État, Hillary Clinton, et son vice-président, aujourd’hui président élu, Joe Biden.

Un pied au Pentagone, l’autre dans l’industrie de l’armement

Biden a maintenant fini de choisir sa propre équipe, qui entrera bientôt en fonction, et en ce qui concerne la paix dans le monde, ce choix ne semble pas très prometteur. Pour commencer, Biden a choisi le général Lloyd Austin pour le poste de secrétaire à la Défense. Austin fait partie du conseil d’administration de Raytheon Technologies, un fabricant de méga-armes qui bénéficie d’énormes contrats avec le Pentagone.

Jusqu’en octobre dernier, Austin possédait un demi-million de dollars d’actions de Raytheon, qui est également l’un des plus grands fournisseurs d’armes de l’Arabie Saoudite qui bombarde massivement le Yémen depuis 2015. Cette guerre détruit le Yémen et provoqué une grave crise humanitaire, sans compter les innombrables crimes de guerre commis par les Saoudiens contre les civils.

La nomination d’Austin à ce poste non seulement place ce dernier dans un conflit d’intérêts, mais elle diminue considérablement les chances de mettre fin à la guerre saoudienne au Yémen.

Conseiller en matière de bombes et de politique anti-Russie

Dans le même ordre d’idées, Biden a choisi Jake Sullivan pour le conseiller en matière de sécurité nationale. Sullivan a été conseiller d’Hillary Clinton quand elle était secrétaire d’État sous l’administration Obama. Il a fait pression pour que les Etats-Unis interviennent en Libye et a soutenu l’intervention en Syrie. Dans ses mémoires intitulés Hard Choices, Hillary Clinton a écrit à propos de Sullivan : "Il était toujours de mon côté".

Mais il ne fait pas profiter de ses conseils seulement les responsables étasuniens comme Clinton. Sullivan est également membre du conseil consultatif de l’"Alliance pour la sécurité de la démocratie" (Alliance for Securing Democracy), un groupe de réflexion transatlantique et anti-russe qui milite contre les bots russes et ce qu’il considère comme de la propagande russe contre les démocraties occidentales. A présent, il va pouvoir susurrer à l’oreille de Biden ses recommandations bellicistes anti-russes.

Les drones, la dissimulation de la torture et l’argent de l’industrie de l’armement

Puis vient Avril Haines, le choix de Biden pour le poste de directeur du renseignement national. Haines, qui a commencé sa carrière comme propriétaire d’un café-librairie, car elle rêvait d’une vie branchée, a très tôt travaillé au sein du gouvernement. En un peu plus d’une décennie, elle est devenue directrice adjointe de la CIA sous Obama, où elle a travaillé à la mise en place du cadre juridique du programme de drones d’Obama qui a tué des centaines de civils.

Puis, en 2015, elle a été chargée de décider si le personnel de la CIA serait sanctionné pour avoir piraté les ordinateurs du Sénat et détruit des preuves de torture étasunienne pendant que le Sénat travaillait à la préparation de son rapport sur la torture. Haines a décidé qu’ils ne devaient pas être punis, et elle a organisé la protection du personnel impliqué.

Haines est également consultante pour Palantir Technologies, une société d’exploration de données accusée d’avoir aidé l’administration Trump à mettre en place le tristement célèbre programme de détention des immigrants.

De plus, elle est membre du conseil d’administration du Center for New American Security. Un groupe de réflexion sur les politiques de sécurité et de défense, financé par de grandes sociétés d’armement comme Lokheed Martin et Northrop Grumman.

Vendre la guerre au Sénat et le matériel de guerre au Pentagone

Mais la plus inquiétante de toutes les nominations de Biden est celle de son prochain secrétaire d’État, Antony Blinken, qui a été secrétaire d’État adjoint sous Obama. Non seulement il est un partisan convaincu de l’intervention militaire en Libye et en Syrie, mais il a également fait l’éloge de la campagne saoudienne au Yémen, malgré tous ses crimes de guerre et la crise humanitaire qui continue de s’aggraver.

L’enthousiasme de Blinken pour les opérations militaires à l’étranger remonte au moins à 2003. Cette année-là, Blinken était conseiller en politique étrangère auprès du sénateur Joe Biden, lorsqu’il a voté pour la guerre en Irak. À l’époque, Blinken a joué un rôle clé pour obtenir le soutien à la guerre des Démocrates du Sénat.

Aujourd’hui, Antony Blinken est l’un des actionnaires fondateurs de la société de conseil WestExec Advisors, créée en 2017. La société propose, selon son propre site web, "Une expertise géopolitique et politique unique pour aider les chefs d’entreprise à prendre les meilleures décisions dans un paysage international complexe et instable", en utilisant "des réseaux d’excellence dans les domaines de la défense, de la politique étrangère, du renseignement, de l’économie, de la cybersécurité, de la confidentialité des données et des communications stratégiques".

Ce qui veut dire en clair, selon le Projet sur la surveillance gouvernementale : "aider les entreprises de défense à commercialiser leurs produits auprès du Pentagone et d’autres agences". WestExec offre des services de conseil à divers clients, avec lesquels la société signe des accords de non-divulgation. Certains de ses clients sont tout de même connus.

L’un d’entre eux est Shield AI, une société israélienne d’intelligence artificielle militaire et de surveillance des drones. Cela est d’autant plus significatif que Biden a toujours été en faveur de l’aide militaire à Israël et qu’il s’est engagé à la continuer.

Une équipe interventionniste

D’une manière générale, la nouvelle équipe Biden de politique étrangère se caractérise par un mélange de visions interventionnistes et militaristes radicales, de trafics d’influence, de conflits d’intérêts, et de collusion entre les différents secteurs publics et privés du commerce de la guerre.

Alors que les démocrates s’empressent de faire oublier l’ère Trump, caractérisée par un retrait stratégique, notamment militaire, du Moyen-Orient, Biden semble avoir mis sur pied une équipe destinée à contrecarrer les effets du retrait de Trump, avec son antidote exact : davantage d’interventionnisme.

Un interventionnisme qui s’est avéré destructeur et catastrophique pour des millions de personnes, de la Libye à l’Afghanistan, en passant par la Palestine, chaque intervention extérieure étasunienne laissant derrière elle une succession ininterrompue de villes et de villages en cendres, dont les décombres avaient à peine le temps de refroidir avant l’arrivée de l’expédition suivante.

Traduction : Dominique Muselet

»» https://www.chroniquepalestine.com/veritable-visage-joe-biden-et-son-equipe/

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21 janvier 2021 4 21 /01 /janvier /2021 01:30

Le 6 janvier 2021 nous avons été témoins de scènes à Washington qui sont habituellement réservées à des républiques bananières. Ce n’était pas une ultime tentative pour sauver la présidence de Trump, comme certains le pensent, mais c’est le début d’une escalade de la violence et d’une période turbulente de l’histoire des États-Unis. L’analyste politique Marc Vandepitte résume les faits et scrute l’avenir.

Une action “sauvage” planifiée

Ces événements choquants ne sont pas tombés du ciel. Quelques semaines auparavant, Trump, via une série de tweets, avait appelé ses partisans à venir manifester le 6 janvier. Un de ces tweets laissait peu de doute : « Soyez là, ce sera sauvage !” (“Be there, will be wild !”).

Fin décembre, il était déjà clair que les partisans radicaux prévoyaient une action de protestation importante et violente pour empêcher la validation de la victoire électorale de Joe Biden. Le groupe néo-fasciste armé Proud Boys avait réservé des hôtels à Washington des semaines à l’avance. Dans les forums cryptés, il était question de trafic d’armes et de l’installation d’un « camp armé ». De nombreux émeutiers semblent avoir des liens ou être membres de milices d’extrême droite. Parmi les personnes arrêtées se trouvait un lieutenant de l’armée de l’air à la retraite.

Une heure et demie avant l’invasion du Capitole, Trump ameutait ses partisans sur Twitter : « Vous ne reprendrez jamais notre pays par la faiblesse. Vous devez faire preuve de force ». Lors d’un rassemblement de protestation ce jour-là à Washington, son avocat personnel Rudy Giuliani appelait la foule à régler le litige électoral via un « jugement par combat » (“trial by combat”).

Rétrospectivement, il est toujours surprenant que les émeutiers n’aient pas été plus nombreux. Ce soulèvement est le point culminant de quatre années d’escalade de la violence d’extrême droite, depuis les manifestants porteurs de torches à Charlottesville qui scandaient des invectives contre les noirs et les juifs, jusqu’aux milices lourdement armées manifestant contre le confinement, en passant par des projets pour enlever voire tuer la gouverneure du Michigan.

On estime que des centaines de groupes paramilitaires sont actifs aux États-Unis à l’heure actuelle. Certains sont lourdement armés. Ils totalisent environ 50 000 membres. Les experts constatent une évolution inquiétante : d’abord se faire voir avec des armes – puis vouloir les utiliser.

L’été dernier, il y a eu près de 500 incidents d’intimidation ou de violence provoqués par des civils armés. Les suprémacistes blancs et autres extrémistes de droite sont responsables des deux tiers de toutes les attaques et conspirations terroristes nationales en 2020. La moitié de cette violence était dirigée contre les manifestants. Elle rappelle les escadrons fascistes des années 1930.

Une étrange intervention policière

Le fait que les émeutiers aient pu pénétrer dans ces bâtiments lourdement gardés est pour le moins curieux. Tout d’abord, ce bâtiment aurait dû être beaucoup plus surveillé. Les manifestations du passé montrent que prendre le Capitole est pratiquement impossible. L’action policière mitigée contraste fortement avec les précédentes manifestations près du Capitole. Edward Luce du Financial Times n’en fait pas mystère : « Si des manifestants afro-américains avaient tenté de prendre d’assaut le Capitole ou la Maison Blanche, il ne fait guère de doute qu’ils se seraient fait tirer dessus ».

Les partisans de Trump n’ont rencontré que peu de résistance de la part des gardes de la sécurité. Ils pouvaient manifestement compter sur leur sympathie. Certains agents ont été repérés en train de laisser tout simplement des émeutiers franchir les barrières du Capitole. D’autres ont même posé carrément pour un selfie avec des partisans de Trump. On sait qu’au moins un quart des milices d’extrême droite aux États-Unis sont composées de militaires et de policiers, actifs ou anciens.

Pourtant les services de sécurité étaient parfaitement au courant à l’avance d’émeutes potentiellement violentes. Ainsi les parlementaires présents ont été bien informés de la menace et il leur a été conseillé d’apporter un sac d’effets personnels pour passer la nuit si nécessaire.

Au total, à peine 26 personnes ont été arrêtées dans les bâtiments et par la suite, 43 autres personnes arrêtées à l’extérieur. Lors d’une manifestation pacifique en 2018 au même endroit, 600 personnes avaient été arrêtées. Il s’agissait de manifestants de gauche.

Le soutien républicain

Avec ses incitations et son soutien aux insurgés, Trump n’était pas isolé. Même après la prise d’assaut du Congrès, environ 70 % des républicains à la Chambre des représentants et un quart au Sénat refusaient de valider une partie au moins des résultats des élections.

Lauren Boebert, une déléguée républicaine, a crié pendant la session : « J’ai maintenant des électeurs à l’extérieur de ce bâtiment – j’ai promis d’être leur voix ». Ces derniers jours, on la voyait dans une vidéo se promener à Washington posant armée d’un Glock.

Ivanka Trump, la fille de Donald, a décrit les fauteurs de troubles comme des « patriotes ». Beaucoup de dirigeants républicains ont condamné l’attaque mais sans en accuser Trump. Près de la moitié des partisans républicains sont derrière l’invasion du Capitole.

Le terreau nourricier

En dépit de sa vulgarité, de son incompétence totale et de sa politique désastreuse contre le coronavirus, Trump peut compter sur un très large support. Lors de la dernière élection présidentielle, il a obtenu le soutien de 74 millions d’électeurs, soit le second score dans l’histoire des États-Unis. Et ce pour plusieurs raisons.

Depuis les années 1970, les États-Unis ont connu un déclin économique relatif sur la scène mondiale. À partir des années 1990, cela s’est accompagné d’une désindustrialisation de régions entières du pays. Conjointement à une politique d’austérité antisociale, cela s’est traduit par une détérioration sociale de grande ampleur.

Aujourd’hui, 58 % des citoyens vivotent de salaire en salaire. Souvent, il faut avoir deux ou trois emplois pour ne pas se retrouver dans la pauvreté. Au cours des quarante dernières années, le salaire médian des travailleurs blancs non qualifiés a chuté de plus de 20 %, une baisse particulièrement marquée après la crise financière de 2008. Simultanément, le taux de mortalité de la population adulte blanche a augmenté. Le fossé entre les riches et les pauvres ne cesse de se creuser. Nulle part dans le monde occidental, cet écart n’est aussi important qu’aux États-Unis. Les 0,1 % de riches ont autant de richesses que les 90 % du bas de l’échelle.

Avec le déclin social, le tissu social s’est affaibli. Les organisations de la société civile, les institutions religieuses et les syndicats ont vu le nombre de leurs membres diminuer considérablement. En 1970, 27 % des employés étaient encore syndiqués, aujourd’hui, ils ne sont plus que 10 %. Politiquement, ils ne pouvaient plus non plus se tourner vers le parti démocrate. Tout comme en Europe les partis sociaux-démocrates du centre, sous Clinton et Obama le Parti démocrate a été promoteur de la politique néo-libérale. Les démocrates n’ont guère tenu compte des nombreux griefs d’une grande partie de l’électorat (blanc).

La base sociale sur laquelle s’appuie Trump regroupe en premier lieu des populations peu instruites, principalement au sein de la population blanche. Mais son idéologie d’extrême droite et ultra-nationaliste attire également des segments des classes moyennes et supérieures.

Exploiter l’angoisse et le mécontentement

Un dangereux vide social et politique a été créé. Beaucoup de gens se sentent ignorés et exclus par ceux qui détiennent le pouvoir politique et économique. Ils perçoivent également le monde comme un endroit menaçant et hostile.

Trump exploite habilement la méfiance vis-à-vis de l’establishment en se faisant passer pour un outsider. Issu lui-même des sphères fortunées de la société, il se présente comme anti-establishment et il se déchaîne contre la caste politique, les médias, les scientifiques et les intellectuels. Son langage dur et vulgaire est parfaitement accordé à ses visées.

Tout comme d’autres dirigeants d’extrême droite dans d’autres pays, Trump est particulièrement doué pour exploiter la peur et la colère de larges pans de la population. Ce faisant, il use d’un discours venimeux qui combine chauvinisme national et hostilité à l’encontre des migrants et des minorités. Il condamne les intellectuels et les experts en tant que traîtres au peuple.

Cela touche une corde sensible chez les personnes qui se sentent exclues. Il donne également aux gens le sentiment qu’il écoute leurs doléances et qu’il les défend, contrairement à d’autres dirigeants politiques.

En périodes d’incertitude, les gens cherchent des réponses simples et un leader fort. L’idéologie autoritaire et d’extrême droite de Trump trouve une résonance auprès d’un électorat radicalisé. En 2017, environ un quart de la population pensait qu’une prise de contrôle militaire était justifiée en cas de corruption ou de criminalité généralisée. L’important soutien électoral sur lequel Trump peut compter encourage les groupes paramilitaires d’extrême droite et les rend plus téméraires.

L’appui de l’establishment

Au début de son mandat, M. Trump a pu compter sur la majorité des grandes entreprises grâce à une importante réduction d’impôts. Ses guerres commerciales, ses politiques erratiques et ses liens avec l’extrême droite ont érodé ce soutien. Sa politique anti-immigration n’a pas été soutenue par une partie importante des employeurs. Pourtant Trump a pu continuer à compter sur des investisseurs issus de secteurs tels que l’énergie, l’agroalimentaire, les transports et la construction.

La classe capitaliste préfère choisir des dirigeants politiques dociles et prévisibles. Mais si aucune alternative n’est disponible, elle n’hésite pas à donner sa chance au « bouffon maléfique » le plus brutal ou le plus instable, du moment que ses intérêts soient défendus. C’est ce que nous apprend l’histoire du fascisme du XXe siècle et des dictatures du Tiers-Monde.

Les médias et les réseaux sociaux sont de plus en plus décisifs dans les élections. Selon le Centre Berkman Klein, l’élection présidentielle de 2020 a été un processus piloté par l’élite via les médias de masse. Comme en 2016, Trump a pu compter sur un soutien important des médias.

Rupert Murdoch, le puissant magnat de la presse, qui possède entre autres la chaîne de télévision la plus populaire Fox, a joué un rôle important dans la victoire électorale de Trump en 2016. Il est resté très fidèle au président jusqu’à sa défaite électorale. La campagne de désinformation systématique que Trump a montée pendant l’élection a été reprise et amplifiée par de nombreux médias traditionnels.

L’influence des réseaux sociaux est même encore plus importante. La propagande numérique a été le secret de polichinelle derrière la première victoire électorale de Donald Trump, mais aussi de celle de Javier Bolsonaro au Brésil. Sur Twitter, Trump a été suivi par 89 millions d’abonnés, sur Facebook il y en a 35 millions.

Mais, même maintenant qu’il a été éjecté de Twitter, il peut continuer à diffuser son message sur des plateformes ou des sites prétendument alternatifs, comme Gab, Telegram, TheDonald.win, Quillette, Spiked, etc. Ceux-ci sont souvent parrainés par de riches bailleurs de fonds. Ce sont ces médias « sociaux » qui normalisent le racisme et contribuent à diffuser largement les idées d’extrême droite, y compris dans nos contrées.

Un héritage durable

Pendant son mandat, M. Trump a réussi à constituer une base sociale solide. Lors des dernières élections, il avait 47 % de l’électorat derrière lui et après sa défaite, 90 % des républicains ont continué à le soutenir. Il continuera à pouvoir compter sur une machine de propagande très puissante, tant par le biais des médias que par celui des réseaux sociaux (alternatifs). Il a également nommé beaucoup de juges conservateurs et a fait de la Cour suprême un bastion conservateur.

En quatre ans, Trump a réussi à imposer toutes ses volontés au parti républicain. Nombre de parlementaires, de gouverneurs et de maires sont ses fidèles acolytes. De nombreux membres du parti qui ne sont pas d’accord avec lui n’osent pas ouvrir la bouche. Ils ont peur d’être attaqués sur les réseaux sociaux ou d’être débordés sur leur droite lors de la prochaine nomination d’un adversaire qui serait sur la ligne de Trump. C’est aussi la raison pour laquelle si peu de républicains se sont prononcés contre la prétendue fraude électorale ou ont blâmé Trump pour l’invasion du Capitole.

Un pays extrêmement polarisé

La zizanie incessante semée par Trump au fil des ans a laissé des traces. La légitimité et la stabilité de l’ensemble du système politique ont été gravement érodées. Depuis Abraham Lincoln en 1861, Joe Biden sera le premier président qu’une grande partie du pays considère comme illégitime avant sa prestation de serment.

Le nouveau président devra gérer un pays très polarisé. Les partisans radicaux de Trump considèrent les événements du 6 janvier comme une grande victoire. L’extrême attention que leur ont accordée les médias les a dynamisés et va leur permettre de recruter des membres et de se renforcer.

Les experts craignent que les émeutes meurtrières ne soient le début d’une escalade de la violence, plutôt qu’une ultime tentative de sauver la présidence de Trump. Il est possible que de nouveaux raids de ce type aient lieu dès les prochaines semaines, et que les partisans radicaux soient encore plus enclins à l’intimidation et au recours à la violence dans les conflits raciaux, sociaux ou même professionnels. Jorge Dávila, analyste politique de CNN, met en garde contre une « guerre civile de basse intensité ».

Le Trumpisme va se maintenir

L’avenir de Trump lui-même est incertain. Sera-t-il destitué ? Sera-t-il poursuivi ? Ou pourra-t-il se représenter aux prochaines élections dans quatre ans, comme il compte le faire ? Un récent sondage auprès des républicains a montré qu’il est le grand favori du parti pour une nomination en 2024. Derrière lui, le vice-président Mike Pence, puis Donald Trump Jr.

Même s’il n’est pas lui-même candidat, étant donné son influence considérable sur la base conservatrice, il pourra largement déterminer lequel des républicains entrera en lice. Les candidats ne manquent pas. Par exemple, Mike Pompeo, son secrétaire d’État, ou Tom Cotton, le sénateur de l’Arkansas. Comme l’écrit le Financial Times, « ce sont des versions plus dures de lui, sans ses excentricités ».

Samuel Farber, du Jacobin, résume bien la situation : « Quel que soit le sort de Donald Trump dans les années à venir, le trumpisme en tant que courant politique et état d’esprit, et même en tant que mouvement, va sans doute mieux résister que Trump lui-même ».

En Europe, nous observons des courants similaires et les mêmes tendances dangereuses. Et si, lors des prochaines élections législatives dans le nord de la Belgique, l’extrême droite Vlaams Belang et la très droite NVA obtenaient la majorité des voix ? Cette voie sans issue se résoudra-t-elle de manière pacifique ? En tout cas, les événements de ces derniers jours sont un signal d’alarme pour chacun de nous.

Socialisme ou barbarie
Pour inverser la vapeur (1), il faut d’abord brider les milices paramilitaires. Cela devra aller de pair avec une évaluation et une épuration des forces de police et de l’armée, ainsi qu’avec une modification de la loi sur les armes.

Mais cela ne suffit pas. Ces milices sont un cancer malin sur un corps malade. Pour que ce corps retrouve la santé et pour éliminer le terreau de l’extrême droite, il faut une sorte de nouveau contrat social, caractérisé par une fiscalité équitable, des soins de santé universels, une augmentation des salaires et des pensions (minimum), et un enseignement supérieur moins coûteux. De lourds investissements sont également nécessaires dans les infrastructures, les soins de santé et les technologies vertes. Enfin, le système politique a besoin d’une réinitialisation complète.

Tant que cela ne sera pas atteint, la perte de prospérité, le fossé entre les riches et les pauvres, l’insécurité, le manque de perspectives d’avenir et la méfiance à l’encontre des politiciens en de l’establishment continueront à composer un cocktail explosif qui pourrait conduire à un Trump-bis, voire pire.

L’espoir est que ces dernières années, l’idéologie de gauche a retrouvé une forte audience au sein de la population, en particulier chez les jeunes. Une enquête de Gallup a montré que 51 % des jeunes entre 18 et 29 ans sont positifs à l’égard du socialisme. Pour l’ensemble de la population, cela représente 37 %. Le fait que des candidates radicales de gauche, comme Alexandria Ocasio-Cortez, Ilhan Omar, Ayanna Pressley et Rashida Tlaib, aient été élues au Congrès est également encourageant.

Les processus électoraux sont très importants, mais il est encore plus important de travailler patiemment à la base : sensibiliser, organiser et mobiliser les gens pour un projet progressiste durable. Avec l’arrivée de Bernie Sanders, le paysage politique américain a été profondément bouleversé. Au cours des dernières campagnes électorales, un nouveau mouvement porteur d’espoir a été lancé. Il est confronté à des défis majeurs. La devise de Rosa Luxemburg « Socialisme ou barbarie » est plus que jamais d’actualité.

Note :

Nous reprenons ici les conclusions d’un précédent article : Biden peut-il inverser le déclin de son pays ?

Source : De Wereld Morgen

Traduction du néerlandais par Anne Meert pour Investig’Action

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19 janvier 2021 2 19 /01 /janvier /2021 02:07
Publié le 3 janvier 2021 | Maj le 5 janvier 2021

Appel à solidarité avec la traversée navale zapatiste !

 

1- Le sens du voyage Zapatiste, pourquoi le Chiapas traverse l’océan Atlantique 

Après 500 ans de colonisation du Mexique, les zapatistes – communautés indigènes du Chiapas qui construisent leur autonomie depuis le soulèvement de 1994 – et le Congrès National Indigène – qui rassemble les peuples autochtones en lutte contre leur extermination et contre le saccage capitaliste – ont décidé de traverser l’océan Atlantique.

Cette grande délégation (d’au moins une centaine de personnes) constituée en majorité de femmes, voyagera en Europe pour exprimer que les communautés autochtones du Mexique n’ont toujours pas été conquises, mais aussi rencontrer les luttes européennes sur leurs territoires afin de tisser des alliances et partager des convictions et énergies communes : la défense de la vie, l’autonomie politique et le combat contre toutes les formes de domination.

Un communiqué (en six parties) traduit en plusieurs langues est progressivement publié sur le site ENLACE ZAPATISTA

2- La traversée de l’Atlantique :

Une partie de cette délégation, suivant la place que nous pouvons trouver sur les bateaux qui veulent traverser, embarquerait au mois d’avril, si toutes les conditions sont réunies (météorologiques, logistiques...).

Après de nombreuses rencontres avec différentes luttes en Europe, l’un des objectifs est d’être à Madrid pour le 13 août, cinq cent ans après la prise de Tenochtitlan par Hernán Cortés et son armée en 1521.

Leur traversée permettra de donner de la visibilité à ce voyage historique, cinq siècles après le pillage espagnol, et donnera plus de portée aux revendications de ces communautés en lutte.

3- Appel à contribution :

Pour organiser cette traversée, nous recherchons des bateaux, des équipages, des financements et des équipements (vestes et pantalons de quart, bottes, gants, et tout autre matériel technique).

Pour le moment nous avons quelques pistes de "vieux gréements modernes" mais rien n’est confirmé à ce jour. L’option la plus sûre est un très grand voilier situé sur la côte pacifique. Les autres options seraient des locations de bateaux pouvant transporter quelques dizaines de personnes pour un tarif d’environ 100 000 euros aller/retour avec un équipage en partant d’Europe.

Actuellement nous ne pouvons pas assurer ce budget, donc nous avons besoin de vos dons et soutiens ! Pour contribuer vous pouvez entrer en contact avec le comité d’organisation francophone via l’adresse email : unemontagnesurlamer chez riseup.net

Des souscriptions et une cagnotte seront bientôt lancées, et nous aurons besoin d’un maximum de soutien !

Il serait enthousiasmant d’organiser cette traversée avec des bateaux originaires de diverses régions d’Europe. Mais le plus simple serait de parvenir à trouver des bateaux déjà présents autour du golfe du Mexique disponibles pour cette traversée.

Si vous avez des contacts dans les réseaux de convoyage ou des contacts de bateaux l’autre côté de l’océan : location, prêt, donation, prêt solidaire ou vente, que vous êtes ou que vous connaissez des capitaines, mousses, ou personnes motivées pour aider à la traversée, vous pouvez nous contacter au mail : unemontagnesurlamer chez riseup.net !

Si nous ne trouvons pas de convoyages ou de meilleurs tarifs de location, nous pourrions envisager de faire un appel à don pour racheter un gros bateau, s’il est en condition de naviguer et accessible avec le budget que nous aurions collecté. Ce qui permettrait à la délégation zapatiste de continuer son voyage vers les autres continents, et éventuellement par la suite de faire du fret avec le café zapatiste.

Pour l’heure aucune de ces options n’est encore à notre portée économique, raison pour laquelle nous vous proposons une collecte de fonds pour la location, l’achat ou les coûts occasionnés par la traversée.

Merci de faire circuler l’info !

4- Flotille de paix et flotte d’accueil :

La possibilité est ouverte d’accompagner les bateaux zapatistes en naviguant à leur côté tout au long de ce périple.

La décision du point d’arrivée de cette flotte n’a pas encore été prise : Espagne, France...? Façade atlantique ou méditerranéenne ? Mais il serait magnifique de venir accueillir cette délégation exceptionnelle ! Nous proposons à toutes les personnes qui ont accès à un bateau et qui souhaitent contribuer à un monde plus juste, de venir accueillir la délégation navale zapatiste quand elle arrivera en Europe à la fin du printemps.

Contactez-nous, nous relayerons les informations au fur et à mesure.

5- Merci de diffuser ce message dans vos réseaux !

Pour entrer en contact avec l’organisation de la traversée vous pouvez écrire à unemontagnesurlamer chez riseup.net ou appeler le 07 58 92 55 74

6- Un voyage né d’une longue histoire

La venue de la délégation zapatiste s’inscrit dans une histoire longue ponctuée de nombreux événements tournés vers l’extérieur, leur ayant permis de faire connaître leurs combats et de nouer des liens avec toute une diversité d’autres luttes.

- 1er janvier 1994 : Soulèvement zapatiste au Chiapas. Des milliers de femmes et d’hommes des communautés originaires de ces terres, prennent les armes pour exiger démocratie, liberté et justice. Très vite, des pourparlers de paix se mettent en place.

- 1994-95 : Création du premier puis de cinq « Aguascalientes », centres de rencontres politico-culturels.

- 1996 : Rencontre Intercontinentale pour l’Humanité et contre le Néolibéralisme à la Realidad, Chiapas.

- 2001 : Marche de la dignité Indigène et des couleurs de la Terre dans tout le Mexique, culminant avec une manifestation monstre dans la capitale du pays rassemblant près d’un million de personnes pour la reconnaissance des droits et de l’autonomie des peuples autochtones.

- 2003 : Les « Aguascalientes » deviennent des « Caracoles », centres politico-culturels servant de lieux de réunion et de siège des nouveaux "Conseils de bon gouvernement" qui coordonnent les dizaines de municipalités autonomes et rebelles zapatistes.

- 2005 : Publication de la 6e déclaration de la forêt Lacandone, dite la "Sexta", qui appelle à une fédération des luttes "en bas à gauche", en opposition au système capitaliste.

- 2006 – 2007 : "L’Autre campagne" : face aux fausses promesses des élections présidentielles, les zapatistes décident de parcourir les 31 États du Mexique pour rendre visibles les résistances et rassembler les luttes.

- 2007 : Première et deuxième rencontre des peuples zapatistes avec les peuples du monde.

- 2013 : Création de l’Escuelita Zapatista : des milliers de personnes du Mexique et du monde entier sont invitées à partager le quotidien des familles et des communautés zapatistes et la construction patiente de leur propre autonomie (éducation, santé, coopératives, agro-écologie...)

- 2014 : Organisation avec le Congrès National Indigène du Festival mondial des rébellions et des résistances contre le capitalisme.

- 2015 : Séminaire international « Pensée critique face à l’hydre capitaliste ».

- 2016 – 2019 : Festivals artistiques CompArte por la Humanidad, rencontres scientifiques ConSciencias, Festivals de cinéma Puy Ta Cuxlejaltic, Festivals de danse « Balaite otro mundo », Forum en défense du territoire et de la Terre-Mère et Rencontres internationales de femmes qui luttent.

- Mars 2018 : Première rencontre des femmes qui luttent (plus de 8000 participantes dans le caracol de Morelia)

- Décembre 2019 : Deuxième rencontre des femmes qui luttent (plus de 4000 personnes dans le caracol de Morelia)

- Août 2019 : Création de nouvelles régions et municipalités autonomes zapatistes, portant à 12 le nombre de "caracoles" et de "conseils de bon gouvernement".

- 2021 / Viaje por la Vida ("le voyage pour la vie") : "pour la vie, nous parcourrons les cinq continents", nous partagent les zapatistes.

Merci de votre contribution à ce moment historique !

La commission navale francophone de l’organisation de l’accueil zapatiste

L’appel

- Première Partie : Une déclaration... pour la vie.

- Deuxième partie : Le bar

- Troisième partie : La mission

- Quatrième partie : Mémoire de ce qui adviendra.

- Cinquième Partie : Le regard et la distance avant la porte.

- Sixième partie : Une montagne en haute mer

P.-S.

Un peu partout en Europe, en France et en région parisienne, l’accueil de la traversée zapatiste s’organise peu à peu.

Tout reste encore en chantier, mais vous trouverez petit à petit plus d’infos sur le wiki de la coordination

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14 janvier 2021 4 14 /01 /janvier /2021 02:52

[Septembre 2020 :] Vous vous souvenez du meurtre de sang froid de civils irakiens dans Collateral Murder ? Vous vous souvenez de la torture à Guantanamo Bay ? Vous vous souvenez de la corruption politique révélée par les câbles diplomatiques ?

Ce sont quelques-unes des histoires qui ont fait la une en 2010, lorsque les principaux journaux internationaux, du New York Times au Guardian en passant par Der Spiegel, se sont associés à WikiLeaks pour exposer les crimes de guerre américains et une longue liste de vérités honteuses que nos gouvernements avaient gardées secrètes.

Dix ans plus tard, l’homme qui a rendu tout cela possible se bat pour sa liberté dans une indifférence choquante, maintenu en isolement dans une prison de haute sécurité et soumis à un procès que des experts indépendants qualifient de simulacre pour ces publications très populaires de l’ère WikiLeaks 2010. EXB a eu accès aux audiences du tribunal qui décidera de son sort : si le tribunal décide de donner son feu vert à son extradition vers les États-Unis, où il risque 175 ans d’emprisonnement pour son rôle présumé dans la divulgation au public de documents classifiés qui ont révélé des actes de torture, des crimes de guerre et des fautes commises par les États-Unis et leurs alliés.

EXB s’engage à faire un rapport sur les audiences du tribunal qui non seulement scelleront l’avenir d’un homme, mais détermineront aussi l’avenir du journalisme d’investigation . Nous organiserons également une série d’entretiens avec des experts indépendants et des journalistes qui ont travaillé sur les fuites ainsi qu’avec des partisans éminents.

Tout d’abord, N. Vancauwenberghe et J. Brown se sont entretenus avec Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui a enquêté sur l’affaire. Restez à l’écoute !

Pouvez-vous nous expliquer ce qui se passe à Londres lundi ?

Oui, Julian Assange devra faire face à la deuxième partie d’une audience au tribunal qui doit décider de son extradition vers les États-Unis. Nous espérons que nous aurons alors une décision de première instance vers le mois d’octobre [jugement ser rendu le 4 janvier 2021 - NdR]. Quelle que soit la décision, je pense qu’un appel sera interjeté auprès de la Haute Cour.

*Probablement par Julian Assange, car je ne m’attends pas à ce que la première instance refuse l’extradition. Mais même si un miracle se produit et que le juge refuse de l’extrader, les États-Unis feront certainement appel de cette décision

Vous pensez donc que le juge donnera son feu vert à l’extradition de Julian Assange vers les États-Unis ?

Oui. Maintenant, si le système judiciaire britannique était indépendant et qu’il appliquait la loi, il n’y aurait aucun moyen de donner le feu vert à cette extradition. Il est évident pour tout avocat consciencieux que cette extradition ne peut pas se faire légalement. Il y a la raison formelle que 17 des 18 chefs d’accusation dont Julian Assange a été accusé sont des accusations d’espionnage. L’espionnage est la quintessence d’un délit politique, et vous ne pouvez pas extrader pour des délits politiques. Le traité d’extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni l’interdit explicitement.

Ensuite, il y a la dix-huitième accusation, celle du piratage informatique. Julian Assange n’est même pas accusé d’avoir piraté quoi que ce soit, il est accusé d’avoir tenté d’aider Chelsea Manning, sa source dans l’armée américaine à l’époque, à décoder un mot de passe du système. Ce mot de passe ne lui aurait pas donné accès à de nouvelles informations, mais il lui aurait permis de brouiller les pistes à l’intérieur d’un système auquel elle avait déjà une autorisation d’accès complète.

Même si l’implication d’Assange était prouvée, il ne s’agirait pas d’un crime grave, mais simplement d’une tentative infructueuse d’aider quelqu’un à commettre une infraction. Il pourrait peut-être se voir infliger une amende ou une peine de six semaines d’emprisonnement pour cela. Mais tout le monde sait que Julian Assange n’a pas été soumis à une décennie de détention, de persécution et d’audiences d’extradition pour être simplement jeté en prison pendant six semaines seulement.

Alors comment expliquez-vous qu’un pays démocratique comme le Royaume-Uni puisse procéder à une extradition si celle-ci est illégale ?

Je crois comprendre que, dans le cas de Julian Assange, le Royaume-Uni tente de contourner le traité d’extradition applicable entre le Royaume-Uni et les États-Unis, qui interdit l’extradition pour des délits politiques, en se fondant exclusivement sur la loi britannique sur l’extradition, une loi nationale d’importance subsidiaire dans ce cas, qui ne contient pas une telle interdiction. En substance, les Britanniques choisissent ce qui leur permettra de l’extrader.

Par ailleurs, les droits procéduraux d’Assange ont été si gravement et systématiquement violés que cette procédure d’extradition est devenue irrémédiablement arbitraire. Il n’a pas eu un accès adéquat à ses avocats, il n’a pas eu droit à une seule réunion depuis la fermeture de la prison en mars, il a eu un accès extrêmement restreint aux documents de son dossier, il n’a reçu un ordinateur qu’après un an de prison, il n’a pas accès à Internet et, en plus, ils ont collé les touches du clavier pour qu’il ne puisse pas écrire. Il est important de noter que toutes ces restrictions sont clairement illégales, car Assange est emprisonné uniquement dans le but d’empêcher son évasion pendant la procédure d’extradition. Il ne purge aucune peine pénale mais, comme tout autre citoyen, il a le droit de communiquer librement avec ses avocats, ses amis et sa famille et d’exercer sa profession comme il l’entend.

Quels sont les intérêts du Royaume-Uni à cet égard ? Qu’est-ce que le gouvernement britannique a contre Julian Assange pour justifier un traitement aussi dur ?

Commençons par la situation dans son ensemble. Il ne s’agit pas de Julian Assange ni d’un quelconque crime qu’il est censé avoir commis. Il s’agit de WikiLeaks, la méthodologie introduite par WikiLeaks, qui permet aux dénonciateurs de divulguer facilement des informations secrètes sur la conduite des Etats tout en restant complètement anonyme, même pour Wikileaks.

Et la prolifération de cette méthodologie est ce qui effraie les États - pas seulement les États-Unis, mais aussi le Royaume-Uni - et je dirais à peu près n’importe quel autre État dans le monde, parce que les gouvernements du monde entier s’appuient fortement sur le secret pour éviter l’examen public. C’est pourquoi Julian Assange ne reçoit pas beaucoup de soutien de la part d’un État. L’Équateur était la seule exception, jusqu’à ce que son nouveau président, Lénine Moreno, cède à la pression économique très brutale des États-Unis.

C’est ce que certains appelleraient la théorie du complot - des gouvernements qui s’appuient sur le secret pour commettre leurs mauvaises actions et qui persécutent quiconque ose les dénoncer.

Je travaille pour des gouvernements et des organisations internationales depuis plus de 20 ans. Je sais donc comment les décisions politiques sont prises et je sais que les gouvernements essaient de plus en plus de cacher des informations compromettantes au public. Ce n’est pas une sorte de théorie de la conspiration.

Nous connaissons tous Snowden et la NSA. Nous sommes au courant des révélations de WikiLeaks. Nous sommes également au courant du récent scandale "Cryptoleaks" et d’innombrables autres cas de corruption et d’abus, qui ne sont que la partie visible de l’iceberg. Si les États qui persécutent Assange avaient vraiment agi de bonne foi, ils auraient au moins poursuivi les fautes qui ont été révélées, les crimes de guerre, la torture, certains des crimes les plus graves qu’on puisse imaginer.

Mais ce que nous constatons, c’est qu’en dépit de preuves irréfutables, aucun de ces crimes n’a jamais fait l’objet de poursuites ou même d’enquêtes. Cela prouve clairement qu’en persécutant Assange, ces gouvernements ne poursuivent pas la justice, mais essaient de protéger leur propre impunité pour les crimes de guerre, les agressions et la torture. Les seuls soldats et fonctionnaires qui ont été poursuivis sont les dénonciateurs, ou ceux qui ont commis des crimes qui n’étaient pas conformes à ce que le gouvernement voulait.

Mais tous ceux qui ont obéi à leur gouvernement en commettant des crimes jouissent d’une totale impunité. Cela ne concerne pas seulement les Américains, mais c’est un phénomène que l’on observe partout dans le monde. Et WikiLeaks menace cette impunité en informant et en responsabilisant le public sur les fautes commises par le gouvernement.

Lorsqu’elles ont été publiées il y a dix ans, les fuites étaient énormes. Les grands médias tels que le Guardian, Le Monde, Der Spiegel ou le New York Times ont collaboré avec Julian Assange pour dénoncer les crimes de guerre et les cas de mauvaise conduite commis par les États-Unis et leurs alliés européens. Dix ans plus tard, peu de gens semblent se souvenir des fuites elles-mêmes et la plupart des grands médias ne montrent pas beaucoup de sympathie pour Assange. Que s’est-il passé ?

Au départ, les médias grand public ont beaucoup profité du travail d’Assange. Ils ont réalisé que WikiLeaks avait des révélations explosives à faire, et ils ont donc sauté dans le train et participé activement à leur publication. Mais ensuite, ils ont dû se rendre compte qu’ils avaient vraiment mis les États-Unis en colère. Je ne sais pas ce qui s’est passé dans les coulisses, s’il y a eu des menaces ou des accords, mais ce que nous pouvons voir, c’est que les grands médias ont commencé peu après à sauter du train à nouveau.

La plupart des institutions des médias grand public sont presque totalement contrôlées soit par les gouvernements, soit par de grandes entreprises qui sont profondément liées aux gouvernements, et elles ne sont donc plus capables ou désireuses d’exercer leur fonction de "quatrième pouvoir", de soumettre le pouvoir politique à l’examen du public et d’informer et de responsabiliser le public de manière objective et impartiale. Au lieu de cela, elles se sont inclinées devant le pouvoir, ont trahi leur vocation et ont contribué à diaboliser Julian Assange au service de leurs maîtres politiques et financiers.

Alors, voyez-vous les médias comme complices de la façon dont ils ont rendu compte de Julian Assange ?

Il suffit de regarder les titres des journaux pendant son séjour à l’ambassade d’Équateur : Assange aurait fait du skateboard dans l’ambassade, joué au football, maltraité son chat et étalé des excréments sur le mur. C’était le genre de récit diffusé par les médias, et c’est donc ce dont notre public informé et cosmopolite a ardemment discuté. Mais l’affaire Assange n’a jamais porté sur Julian Assange. Il s’agit de l’éléphant dans la pièce que tout le monde semble ignorer : la mauvaise conduite officielle des états qu’Assange a exposés. En 2010, au moment des révélations, tout le monde était choqué par les crimes de guerre, la torture, la corruption, et le public du monde entier a commencé à en parler.

Cela a rendu les États concernés très nerveux. Ce n’est donc pas un hasard si, quelques semaines plus tard, les autorités suédoises ont délibérément publié un gros titre dans la presse à sensation : Julian Assange est soupçonné de double viol. Immédiatement, le public du monde entier s’est désintéressé de la discussion des crimes des puissants, a changé d’orientation et a commencé à débattre du caractère et de la personnalité de Julian Assange : est-il un violeur, un narcissique, un hacker, un espion ?

En tant que lecteur moyen de la presse, vous pensez faire pleinement usage de votre liberté d’expression et d’opinion lorsque vous discutez librement des titres des médias, mais vous ne réalisez pas que ces sujets de discussion ont déjà été présélectionnés pour vous, et qu’ils ne reflètent qu’une fraction "aseptisée" de ce qui se passe réellement. Si les médias ne proposent que des gros titres demandant si Julian Assange est un bon ou un mauvais gars, alors nous ne discutons plus des crimes de guerre.

En fait, lorsque vous mentionnez Julian Assange aux gens, vous obtenez généralement cette réaction viscérale qu’il est ce "méchant" - et cela est principalement dû aux allégations d’agression sexuelle en Suède.

C’est exactement cela. Je ne sais pas si Julian Assange a commis une agression sexuelle ou non, mais ce que je sais, c’est que la Suède ne s’est jamais souciée de le savoir. Ils voulaient utiliser ces allégations pour le discréditer. Et une fois qu’ils ont activement diffusé ces allégations aux quatre coins du monde, ils se sont ensuite assurés qu’il n’y aurait jamais de procès en bonne et due forme car, comme le procureur l’a finalement admis en novembre 2019, ils n’ont jamais eu suffisamment de preuves pour même porter plainte contre Julian Assange.

Pourriez-vous revenir sur les allégations de viols en Suède, parce que c’est quelque chose sur lequel vous avez réellement enquêté. Pour beaucoup, c’est encore un point litigieux majeur - peu se rendent compte que les charges ont été abandonnées.

C’est une façon très pratique et classique de discréditer les dissidents politiques devant le tribunal de l’opinion publique. Tout au long de l’histoire, les allégations de trahison, de blasphème et, plus récemment, d’inconduite sexuelle ont été très efficacement utilisées pour manipuler l’opinion publique à l’encontre de certaines personnes.

La Suède a fait tout son possible pour s’assurer que le public soit informé des allégations contre Assange, même contre la volonté des femmes concernées, et a ensuite systématiquement reporté son enquête pendant près d’une décennie, avant d’être finalement contrainte d’abandonner l’affaire et d’admettre qu’elle n’avait jamais disposé de preuves suffisantes au départ. Malgré l’énorme préjudice causé par l’arbitraire délibéré de la procédure suédoise, aucun fonctionnaire suédois n’a jamais été sanctionné et le gouvernement n’a jamais proposé de verser les indemnités dues à Mme Assange. De toute évidence, le préjudice était intentionnel.

Pouvez-vous dire à nos lecteurs comment vous avez été impliqué dans cette affaire ? Parce que vous aussi avez eu cette réaction viscérale lorsque vous avez entendu le nom d’Assange pour la première fois, n’est-ce pas ?

L’histoire a commencé en décembre 2018, alors que Julian Assange était encore à l’ambassade. Ses avocats ont contacté mon bureau et m’ont demandé d’intervenir en sa faveur, affirmant que ses conditions de vie à l’ambassade équatorienne étaient devenues inhumaines. Lorsque j’ai vu son nom, j’ai immédiatement refusé. Non seulement j’étais trop occupé par d’autres affaires, mais j’avais cette perception presque subconsciente de lui en tant que violeur, narcissique, espion et pirate informatique, ce qui a provoqué ma réaction négative.

Ils m’ont recontacté trois mois plus tard, en me disant que les rumeurs se faisaient plus denses, qu’Assange pourrait être expulsé de l’ambassade de manière imminente et ensuite extradé vers les États-Unis. Je me suis alors souvenu que j’avais précédemment refusé de me pencher sur cette affaire, mais j’ai réalisé que je ne savais pas vraiment pourquoi. J’ai donc commencé à me poser des questions : pourquoi ai-je eu cette réaction viscérale ? Je ne connaissais pas Julian Assange, je ne l’avais jamais rencontré, je n’avais jamais vraiment eu affaire à WikiLeaks.

Même les révélations de 2010 n’avaient pas été de grandes nouvelles pour moi car, à l’époque, j’étais conseiller juridique à la Croix-Rouge internationale, j’avais été affecté dans différentes zones de conflit et j’avais donc une idée assez réaliste de ce qui se passait en coulisses. Mais j’avais toujours ce préjugé en moi sur le fait que Julian Assange était un violeur, un narcissique, un espion et un hacker.

Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

Tout d’abord, j’ai réalisé que je n’avais pas de base objective pour mes opinions, et j’ai donc décidé d’examiner les preuves. Et quand je l’ai fait, j’ai immédiatement vu que les choses ne collaient pas, qu’il y avait plusieurs récits contradictoires et que c’était tellement politisé qu’il m’était impossible d’arriver à une conclusion objective sans effectuer une visite sur place à Assange. Pour être honnête, je ne m’attendais pas à ce que quelque chose de dramatique en ressorte. Mais il fallait que j’aille le voir moi-même. C’est pourquoi, la première semaine d’avril 2019, j’ai officiellement demandé à l’Équateur de geler la situation et de ne pas expulser Assange de l’ambassade

J’ai également annoncé que j’avais l’intention d’enquêter sur l’affaire et j’ai demandé l’autorisation de rendre visite à Julian Assange à l’intérieur de l’ambassade le 25 avril. J’ai également demandé officiellement aux autorités britanniques, si Julian Assange venait à relever de leur juridiction, de ne pas l’extrader vers les États-Unis car je craignais qu’il ne soit exposé à de graves risques pour ses droits de l’homme là-bas. J’ai publié un communiqué de presse le vendredi soir 5 avril et, le lundi suivant, j’ai envoyé mes lettres officielles à l’Équateur et au Royaume-Uni. Trois jours plus tard, l’asile de Julian Assange a pris fin, sa nationalité équatorienne lui a été retirée et il a été expulsé de l’ambassade - le tout sans aucune forme de procédure régulière.

Pensez-vous avoir pu provoquer par inadvertance son expulsion et son arrestation ?

Avec le recul, je pense que cela pourrait bien être ce qui s’est passé. Il se pourrait bien que les États-Unis, l’Équateur et le Royaume-Uni aient tous voulu expulser Assange de l’ambassade et le placer en détention britannique avant que le rapporteur des Nations unies sur la torture ne commence à déterrer des tas de saletés et à compliquer les choses pour eux. Mais cette réaction instinctive m’a paru très étrange. Je savais par expérience que les États agissant de bonne foi ne se comporteraient normalement pas ainsi. J’étais le rapporteur des Nations unies, pas un journaliste ou un militant. Assange était dans cette ambassade depuis six ans et demi, et il n’y avait aucune raison de se précipiter.

J’ai demandé aux États concernés de geler officiellement, publiquement, formellement et diplomatiquement la situation pendant deux semaines afin que je puisse enquêter correctement sur les allégations faites. Et puis trois jours plus tard, ils le privent sommairement de son asile et de sa citoyenneté équatorienne, et le jettent hors de l’ambassade sans même lui donner une chance de se défendre ?

Et non seulement cela, mais le jour même de son arrestation, les autorités britanniques l’ont traîné en justice et l’ont condamné pour une infraction pénale lors d’une audience sommaire tenue le jour même, audience au cours de laquelle Assange a été personnellement insulté par le juge et où les objections de son avocat contre les conflits d’intérêts ont été balayées sous le tapis. Pour moi, c’était vraiment étrange.

Vous avez fini par lui rendre visite à la prison de Belmarsh en mai 2019. Quelles ont été vos conclusions ?

J’ai amené avec moi deux experts médicaux, un médecin légiste et un psychiatre, tous deux spécialisés dans l’examen des victimes potentielles de la torture. Les médecins l’ont examiné séparément, mais nous sommes tous arrivés à la même conclusion, à savoir que Julian Assange présentait des signes typiques d’une exposition prolongée à la torture psychologique. Il présentait notamment des niveaux extrêmement élevés de stress et d’anxiété.

Ce n’est pas comparable au stress et à l’anxiété que peut ressentir un accusé, mais plutôt à des niveaux de stress et d’anxiété traumatisants qui commencent à affecter le système nerveux et les capacités cognitives d’une manière physiquement mesurable. Ces symptômes traumatisants sont le résultat typique de l’isolement, de l’exposition constante à un environnement menaçant et arbitraire où les règles sont modifiées en permanence et où l’on ne peut faire confiance à personne.

Il y a deux choses très importantes à dire ; la première est que le but premier de la torture n’est pas nécessairement l’interrogatoire, mais que très souvent la torture est utilisée pour intimider les autres, pour montrer au public ce qui se passe si vous ne respectez pas le gouvernement. C’est le but de ce qui a été fait à Julian Assange. Il ne s’agit pas de le punir ou de le contraindre, mais de le réduire au silence et de le faire en plein jour, en rendant visible au monde entier que ceux qui dénoncent les fautes des puissants ne bénéficient plus de la protection de la loi, mais seront essentiellement anéantis.

*Il s’agit d’une démonstration de pouvoir absolu et arbitraire. Deuxièmement, la torture psychologique, contrairement à la torture physique, ne laisse pas de traces facilement identifiables de l’extérieur. Mais elle est extrêmement destructrice, car elle vise directement à déstabiliser puis à détruire la personnalité et le moi le plus profond.

Pouvez-vous donner des exemples concrets du type de torture psychologique que Julian Assange a subi ?

Dans ce cas, les symptômes de la torture sont le résultat d’un processus cumulatif. Ce qui domine, c’est la menace constante d’être extradé vers un pays où il sera certainement exposé à un procès spectacle politisé, privé de sa dignité humaine et de son droit à un procès équitable, puis emprisonné dans des conditions cruelles, inhumaines et dégradantes pour le reste de sa vie.

*Ensuite, vous avez plusieurs États qui coopèrent et abusent délibérément de leur système juridique pour s’assurer que cela se produise réellement, en le confinant pendant des années à l’ambassade équatorienne comme dernier refuge. Cependant, même à l’intérieur de l’ambassade, il a été constamment surveillé, privé de sa vie privée, exposé à des menaces de mort, isolé, humilié et diabolisé.

Mais s’agit-il vraiment de torture ?

C’est de cela qu’il s’agit, de la persécution, qui ressemble beaucoup au harcèlement que nous connaissons à l’école, sur le lieu de travail ou dans l’armée et qui peut conduire les victimes à un effondrement psychologique complet, voire au suicide. Lorsque j’ai rendu visite à Julian en prison, il avait l’air propre et normal, mais je pouvais dire qu’il était anxieux, qu’il me posait constamment des questions et ne me laissait jamais y répondre.

C’est un signe typique que le cerveau est en surrégime, que la victime veut comprendre et contrôler la situation mais n’y arrive pas. J’ai reconnu ce schéma chez de nombreux autres détenus politiques du monde entier qui ont été isolés. Ce n’est pas une anomalie ou un trouble mental, mais une réaction normale d’une personne en bonne santé à l’exposition constante aux abus et à l’arbitraire.

Vous dites donc qu’il s’agit du cas d’un prisonnier politique détenu dans une prison européenne et soumis à la torture psychologique ?

Oui, il est clair que Julian Assange est un prisonnier politique, car il n’a jamais été accusé d’un crime réel. Les autorités judiciaires suédoises, qui portent la responsabilité première de la diabolisation et des abus injustifiés de Julian Assange, ont mis près d’une décennie à "découvrir" qu’elles n’avaient jamais eu assez de preuves pour l’inculper d’agression sexuelle. En fait, le procureur général de Stockholm l’a reconnu publiquement déjà quelques jours après les premières allégations en 2010, mais il a rapidement été écarté et repoussé par un procureur supérieur.

La seule chose pour laquelle M. Assange a été inculpé et condamné est l’infraction administrative de violation de la liberté sous caution. Lorsque le Royaume-Uni a voulu extrader Assange vers la Suède, et que la Suède a toujours refusé de garantir qu’elle ne l’extraderait pas vers les États-Unis, il ne s’est pas présenté à la police britannique et a demandé - et obtenu - l’asile diplomatique pour cause de persécution politique à l’ambassade équatorienne.

L’asile contre la persécution étant un droit humain fondamental, Assange avait même une justification légale pour ne pas respecter les conditions de sa mise en liberté sous caution. En outre, ces conditions de mise en liberté sous caution ont été émises dans le cadre d’une procédure suédoise qui a dû être close faute de preuves. Et les accusations aux États-Unis étant si manifestement arbitraires et en violation directe de la liberté fondamentale d’opinion et d’expression que leur nature politique ne peut tout simplement pas être ignorée. Donc, oui, à mon avis, Julian Assange est un prisonnier politique.

Julian Assange a-t-il purgé sa peine pour violation de la liberté sous caution ?

Oui, il a été condamné à une peine de prison de 50 semaines pour ce délit, ce qui est totalement disproportionné. Je le dis objectivement, je ne suis pas un fan de WikiLeaks ou d’Assange, juste un professeur de droit. Dans le monde réel, les violations de la liberté sous caution ne sont presque jamais sanctionnées par une peine d’emprisonnement, sauf si le délinquant l’exploite pour commettre un autre crime grave. En raison de sa bonne conduite, Assange n’a dû purger que 25 semaines de cette peine. Ainsi, depuis la fin septembre 2019, Assange est privé de sa liberté dans le seul but de l’empêcher d’échapper à l’extradition américaine si celle-ci devait avoir lieu. Mais pour cela, il n’a pas besoin d’être dans la prison de haute sécurité la plus sécurisée du pays, emprisonné avec des meurtriers et des terroristes condamnés et soumis au même régime hyper restrictif.

Julian Assange n’est pas dangereux, il n’est pas violent et, surtout, il est présumé innocent et n’a été condamné pour aucun crime. En substance, jusqu’à la décision finale sur son extradition, il devrait être autorisé à travailler et à mener une vie normale, par exemple dans un établissement semi-ouvert où il est empêché de s’échapper mais où il peut voir sa famille, ses avocats, ses médecins et ses amis, et avoir toutes les facilités et les contacts d’une vie normale. Mais Julian Assange est délibérément et illégalement privé de toutes ces choses, ce qui a de graves conséquences sur sa santé, son bien-être et sa capacité à préparer sa défense juridique.

Il est clair qu’il existe une motivation politique pour l’empêcher d’exercer une activité professionnelle et que les gouvernements américain et britannique veulent en faire un exemple en disant au monde entier : "Si vous faites ce que Julian Assange a fait, nous vous arrêterons, nous vous réduirons au silence et nous détruirons votre vie entière et celle de votre famille". Je pense que la plupart des États seront heureux si personne n’essaie d’imiter Julian Assange.

Pensez-vous qu’Assange aurait été soumis au même genre de traitement s’il avait été détenu à Berlin ?

Je pense que l’Allemagne n’oserait probablement pas traiter Julian Assange de la même manière que le Royaume-Uni. Le Royaume-Uni peut le faire parce qu’il est membre permanent du Conseil de sécurité, et les États-Unis n’ont jamais montré beaucoup d’hésitation à enfreindre la loi pour obtenir ce qu’ils veulent de toute façon. Je ne pense pas que l’Allemagne oserait faire la même chose, surtout à la lumière de sa propre histoire. Cela dit, le ministère des affaires étrangères (Auswärtiges Amt) avait demandé à me rencontrer lorsque j’étais à Berlin en novembre dernier.

Ils ont immédiatement évoqué l’affaire Assange et m’ont demandé : "Etes-vous sûr que cela relève de votre mandat ? N’y a-t-il pas de cas de torture plus graves dans le monde ?" J’ai répondu : "Oui, il y a des gens qui sont lapidés et fouettés dans d’autres pays, et j’interviens également en leur nom, mais ici j’interviens au nom de quelqu’un qui est persécuté sans relâche pour avoir exposé des crimes graves commis par des gouvernements - des crimes qui, comme la torture, relèvent de mon mandat. Ces crimes ne sont pas poursuivis en dépit des preuves existantes, mais c’est l’éditeur et le dénonciateur qui sont persécutés. Cela établit une norme très dangereuse pour l’État de droit dans le monde".

Les fonctionnaires allemands ont laissé entendre qu’ils n’avaient aucune raison de douter que le Royaume-Uni respecterait l’État de droit. Lorsque je leur ai donné des exemples précis de la manière dont les droits d’Assange étaient systématiquement bafoués par le Royaume-Uni, mes interlocuteurs ont rapidement changé de sujet et ont dit : "oui, mais il y avait aussi ces accusations suédoises". Bien sûr, lorsque je leur ai expliqué que cette procédure venait d’être close par manque de preuves, après avoir diffusé pendant près de dix ans un récit sans fondement, ils ont à nouveau changé de sujet.

Ce type de comportement évasif est tout à fait typique de ce que je vis partout avec l’establishment politique. Ils sont tellement mal à l’aise avec la vérité sur la persécution d’Assange et ses implications pour l’État de droit, qu’ils veulent juste que toute cette affaire disparaisse d’une manière ou d’une autre aussi rapidement et discrètement que possible.

Pensez-vous qu’il y a encore quelque chose que vous pouvez faire pour l’aider à ce stade ?

J’ai écrit à plusieurs reprises aux gouvernements et j’ai alerté à la fois le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève et l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Je pense que ma lettre au gouvernement suédois a probablement déclenché la fin de leur enquête sur les allégations de viol. Étant donné que les États concernés refusent systématiquement d’engager un dialogue constructif avec moi sur cette affaire, je devrai également continuer à informer le public de mes conclusions par tous les canaux qui me sont accessibles.

Il y a quelques années, une décision du groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a déclaré que la situation d’Assange à l’ambassade d’Équateur à Londres équivalait à une détention arbitraire par le Royaume-Uni et la Suède. Quelle a été la réponse britannique à l’ONU ?

Selon mon expérience, le gouvernement britannique ne répond aux interventions de l’ONU que lorsqu’il le juge opportun et dans la mesure où il le juge à son avantage. Dans ce cas, le tableau d’ensemble est clair : le Royaume-Uni veut l’extrader vers les États-Unis pour contribuer à en faire un exemple, mettre fin à la remise en cause du secret et de l’impunité découlant de WikiLeaks et faire comprendre au public que ce comportement n’est pas toléré par ceux qui sont au pouvoir. Pour ce faire, ils sont prêts à tordre et à déformer la loi à l’extrême. Cela a clairement été le cas avec les systèmes judiciaires britannique, suédois et équatorien et ne serait certainement pas différent aux États-Unis.

Lorsque les Britanniques ont voulu extrader Assange vers la Suède, cela s’est fait sur la base d’un mandat d’arrêt européen, qui avait été émis par le procureur suédois. Le problème était que, dans le traité international sur le mandat d’arrêt européen, il est dit que ces mandats doivent être émis par une autorité judiciaire, et que le procureur n’est pas une autorité judiciaire au Royaume-Uni.

En fin de compte, pour pouvoir extrader Assange vers la Suède malgré l’invalidité du mandat d’arrêt, la Cour suprême britannique a simplement décidé d’appliquer le texte du traité français, au lieu du texte anglais. En effet, en France, le procureur peut être interprété comme une autorité judiciaire. Mais l’affaire ne concernait pas la France, elle concernait la Suède et le Royaume-Uni. Voyez-vous l’absurdité de cette situation ?

Il est clair que le gouvernement britannique n’a pas respecté la décision du groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire. Ils m’ont alors autorisé à rendre visite à Julian Assange à Belmarsh parce qu’ils ne s’attendaient probablement pas à ce que j’examine l’affaire en détail et que je sois aussi franc et clair dans mon évaluation.

Ainsi, conformément à leur approche de la décision du groupe de travail, lorsque j’ai examiné les faits et conclu que la persécution et les mauvais traitements d’Assange constituaient une torture psychologique, ils ont décidé d’ignorer mes conclusions et ont refusé d’engager un dialogue avec mon mandat sur cette affaire, non seulement les Britanniques, mais aussi la Suède et les États-Unis.

Si Assange devait se rendre aux États-Unis, pourrait-il être condamné à la peine de mort ?

Théoriquement, il est possible qu’il soit passible de la peine de mort. Les Britanniques trompent le public en disant qu’aucune charge supplémentaire ne pourrait être ajoutée une fois qu’Assange aura été extradé. Ce n’est pas vrai. Le traité d’extradition permet d’ajouter des charges supplémentaires ou différentes à condition qu’elles soient fondées sur les mêmes faits que ceux qui sont allégués dans l’acte d’accusation utilisé pour la demande d’extradition. Mais je ne pense pas que les États-Unis veuillent nécessairement exécuter Assange, ils veulent en faire un exemple. Le message des États-Unis au monde est le suivant : "Si vous faites ce qu’Assange a fait, vous ne serez plus jamais libre, vous ne pourrez plus jamais ouvrir votre bouche et parler au public".

Il ne s’agit pas de punir Assange, mais d’une démonstration de pouvoir adressée au public du monde entier. C’est aussi pourquoi ils ne se précipitent pas pour extrader Assange, cela n’a pas vraiment d’importance, tant qu’il est isolé dans sa cellule et ne peut pas parler. Il ne s’agit pas de savoir qui gagnera le procès, les gouvernements ont déjà gagné, car Assange a été réduit au silence. Et malheureusement, dans le monde de la politique du pouvoir, des États comme le Royaume-Uni et les États-Unis savent qu’ils peuvent s’en tirer.

Si Julian est envoyé aux États-Unis pendant votre mandat, essayeriez-vous de vérifier les conditions de vie aux États-Unis ? Pensez-vous qu’un visa vous serait accordé ?

S’il est envoyé aux États-Unis, personne ne pourra plus rien faire pour lui. On ne me donnerait certainement pas accès à ce pays. Mon prédécesseur a essayé d’obtenir l’accès de Chelsea Manning et on lui a dit qu’il ne serait pas autorisé à l’interroger sans témoins, ce qui fait partie du mandat standard pour toute visite de prison effectuée par un rapporteur spécial des Nations unies.

Les juges de la Cour pénale internationale aux États-Unis ont été sanctionnés pour avoir demandé au gouvernement d’enquêter sur les crimes de guerre américains en Afghanistan. Pensez-vous que vous pourriez également être visé par des sanctions pour vos interventions dans cette affaire ?

Je n’en serais pas surpris. Je pense que, jusqu’à présent, ils estiment que je ne suis pas assez influent pour les inquiéter réellement. Si mes communications officielles sont certainement perçues comme une nuisance, elles ne sont pas juridiquement contraignantes et n’ont pas provoqué de tollé jusqu’à présent. Mais il est difficile de prévoir ce qui se passerait si jamais je déclenchais quelque chose qui aurait plus d’impact.

En tout cas, je ne me fais pas d’illusions sur le fait que ma carrière aux Nations unies est probablement terminée. Ayant ouvertement affronté deux États P5 (membres du Conseil de sécurité des Nations unies) comme je l’ai fait, il est très peu probable qu’ils m’acceptent à un autre poste de haut niveau. On m’a dit que mon engagement sans compromis dans cette affaire avait un prix politique. Mais le silence a aussi un prix. Et j’ai décidé que je préfère payer le prix pour m’exprimer que le prix pour rester silencieux.

Traduction "oops, ma haine pour les journalistes est encore monté d’un cran" par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

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11 janvier 2021 1 11 /01 /janvier /2021 01:19

Lettre ouverte à Clémentine Autain et à ceux qui pensent comme elle

Je voudrais commencer en vous avouant une chose : je connais bien la Chine, j’y ai vécu 10 ans. L’estime et le respect que j’ai appris à avoir pour son peuple et son histoire n’ont fait que grandir même après l'avoir quittée. Pourtant, je ne suis ni un spécialiste de la Chine, n’en maîtrisant pas la (les) langue(s), ni un zélateur du PCC. Je n’ai aucune origine chinoise et je suis allé par hasard dans ce pays sans le connaître. Comme tout le monde, j’ai des regrets dont je suis seul comptable, notamment un : celui de ne pas avoir pu connaître davantage le petit peuple de Chine. Je l’ai côtoyé mais pas connu.

Madame Autain,

En date du 12 novembre 2020, vous avez signé la « Charte de solidarité avec les Ouïghours ».

Soit.

Pas de quoi fouetter un chat.

J’espère que les Ouïghours se réjouiront de cette marque d’amitié. Et pas seulement la diaspora.

Du premier article de votre charte découlent tous les autres, mais je vais quand même commencer par démonter le quatrième dans lequel vous vous engagez à demander publiquement l’arrêt du financement des 17 instituts Confucius sous prétexte qu’ils seraient l’instrument de la propagande chinoise.

Parce qu’en toute franchise, Madame Autain, si la bêtise était un sport de grimpe, vous auriez atteint ici un sommet inédit.

D’abord, savez-vous ce qu’est un Institut Confucius ? En dehors de l’idée que vous vous en faites, j’entends.

C’est essentiellement un institut d’apprentissage du mandarin délivrant des diplômes de langues reconnus internationalement, mais également un centre culturel visant à promouvoir la culture chinoise.

Connaissez-vous la culture chinoise ?

J’en doute, mais pour faire simple, disons qu’elle est incommensurablement plus riche que la culture des États-Unis dont la « propagande » ininterrompue abreuve notre jeunesse de valeurs douteuses. Et au lieu d’accuser Netflix des maux dont vous accusez l’Institut Confucius, vous cherchez à éliminer cette vraie richesse culturelle dont il a été maintes fois prouvé dans l’histoire qu’elle nous fut bénéfique.

Savez-vous, par exemple, que l’impression de cette « Charte », vous la devez à la Chine ?

Savez-vous maintenant combien d’Alliances françaises sont implantées sur le territoire chinois ?

J’en doute, peut-être même bien que vous ne savez rien de l’Alliance française.

Comme l’Institut Confucius mais depuis plus longtemps que lui, c’est un institut de langue et de transmission de la culture, française dans son cas. Et il y en a 17 en Chine : à Beijing, à Shanghai, à Hong-Kong, à Chongqing, à Nanjing, à Hangzhou, à Macao, à Canton, à Chengdu, à Wuhan, à Jinan, à Kunming, à Shenyang, à Tianjin, à Qingdao, à Xi’an et à Zhengzhou.

Des dizaines de milliers de Chinois, étudiants ou non, sont passés par ces Alliances françaises, pour beaucoup avec l’objectif de venir faire ou compléter leurs études dans les universités ou les grandes écoles françaises. Combien d’étudiants français se rendent en Chine en comparaison ?

Est-ce à dire, Madame Autain, que les Alliances françaises sont des instruments de la propagande française ?

On aurait davantage raison de le croire cependant puisque l’Alliance Française fut créée en 1883 avec pour objectif à l’origine de faire rayonner notre culture... dans l’empire colonial français.

Voilà, je n’irai pas plus loin en ce qui concerne ce point et je terminerai par une citation de Maxime Vivas : s’attaquer aux Instituts Confucius, c’est vouloir faire taire les stylos pour laisser parler les armes.

Ce sera, je n’en doute pas, plus difficile voire impossible de vous faire changer d’avis sur l’article 1, mais je vais tenter le coup en vous posant quelques questions.

Voici cet article 1 : nous nous engageons à nous tenir inconditionnellement aux côtés du peuple ouïghour qui est réprimé et persécuté par le régime communiste chinois.

Où êtes-vous à cette heure, Madame Autain ? Dans vos salons parisiens ou auprès des Ouïghours ?

Je ne vous ai jamais entendu employer le terme « régime macronien » lorsque les Gilets jaunes se faisaient matraquer.

Savez-vous combien de Chinois y compris de Ouïghours innocents sont morts dans des attentats commis par des djihadistes Ouïghours ?

22 morts et 43 blessés en 2011 à Kashgar, 5 morts et 38 blessés en 2013 à Beijing (Pékin), 31 morts et 143 blessés le 1er mars 2014 à Kunming, 43 morts et plus de 90 blessés à Urumqi en 2014.

Ne croyez-vous pas que le gouvernement chinois, comme n’importe quel gouvernement de n’importe quel pays attaqué de la sorte soit en droit de répondre, même durement, aux massacres de sa population ?

Ou alors, serait-ce que ces morts ont moins de valeur à vos yeux ?

Je me permets de répondre pour vous : oui, le gouvernement chinois a le droit et même le devoir de réprimer un danger de cette teneur. Il est certain qu’il le fait d’une main de fer, mais ce n’est pas à nous d’en juger et encore moins de faire accroire que cette répression viserait la totalité de la population musulmane du Xinjiang ainsi que les milliers de Ouïghours vivant en paix dans les autres provinces chinoises.

Combien de Ouïghours radicalisés ont rejoint les rangs de DAECH ?

Difficile de le savoir avec certitude, mais si on se base sur les données de la France qui a vu partir plus de 700 personnes au djihad en Syrie, on pourra raisonnablement évaluer le nombre de Ouïghours à un taux proportionnel à la démographie du Xinjiang comptant 25 millions d’habitants dont la moitié sont musulmans. Ce qui nous mène à plus d’un millier de candidats probables. Probablement davantage.

Comme la France, la Chine est confrontée au retour de ces djihadistes qui représentent un risque élevé pour la sécurité de la nation et qu’il convient de circonscrire. Encore une fois, il ne fait guère de doute que la Chine n’emploie pas une méthode douce pour résoudre ce problème qui se superpose aux velléités d’indépendance d’une minorité au Xinjiang. Imaginez chez nous une fusion entre les djihadistes et les indépendantistes corses ou bretons...

Connaissez-vous Adrian Zenz ?

Il représente pour les médias occidentaux la principale source d’informations sur le Xinjiang : ce pseudo-anthropologue allemand, intégriste religieux, homophobe est selon ses dires « guidé par Dieu » dans sa croisade anti-chinoise. Il a falsifié ses prétendues données et ne s’est rendu qu’une seule fois au Xinjiang avec un visa touristique... en 2007.

Madame Autain, je vous le demande : dans l’histoire récente, combien de fois considérez-vous que les Etats-Unis d’Amérique ont menti pour servir leur ordre du jour ? Les doigts des deux mains n’y suffiraient pas. Ne croyez-vous pas alors qu’il y a au moins une petite raison de douter de la véracité de ces informations ?

Il n’existe à ce jour aucune preuve tangible, aucun document, aucune photo, aucune vidéo d’une quelconque persécution de masse ayant cours au Xinjiang. Au contraire, toutes les données disponibles en ligne concourent à prouver la bonne santé démographique de l’ethnie ouïghoure en Chine. Par contre, il existe de nombreux fakes dont les médias, ceux que vous écoutez trop, se repaissent le doigt sur la couture du pantalon. Cet article dont les commentateurs ont vérifié les données fournies est révélateur.

Si les journalistes chinois venaient dans nos prisons pour photographier les détenus, en concluraient-ils pour autant que la France persécute son peuple ? Ce n’est même pas nécessaire tant les clichés d’une police abusant de la force foisonnent. Souvenez-vous de cette photo sur laquelle des lycéens étaient mis à genoux devant une police surarmée...

Enfin, pour finir, je ne saurais que trop vous conseiller de lire le livre-enquête de Maxime Vivas, Ouïghours, pour en finir avec les fake-news (il paraît qu’il vous l’a transmis via Jean-Luc Mélenchon) dans lequel il met en évidence les incohérences des informations sur le Xinjiang distillées par les médias occidentaux. M. Vivas s’est rendu récemment au Xinjiang, lui. Lisez aussi ses nombreux articles sur le site du Grand Soir, ainsi que ceux d’André Lacroix, grand connaisseur de la Chine.

Ouvrez votre esprit, Madame Autain, et cessez de donner cette image désastreuse d’un parisianisme nombriliste qui croit tout et mieux savoir que les autres, qui dévaste le champ politique et ridiculise la France par un suivisme pitoyable ! Et surtout, éloignez-vous autant que possible de la doxa répandue par les médias hexagonaux, de France Info à Arte, dont la sinophobie rampante ne se cache plus.

Je termine en vous avouant une deuxième chose : j’ai pris l’initiative de lancer une pétition en ligne demandant votre exclusion du groupe parlementaire France Insoumise car je considère que vos prises de position répétées contre la Chine, ainsi que contre Cuba, contre le Vénézuela et contre la Syrie, aussi légères que vos sources, portent atteinte à l’image de ce mouvement.

On pourrait d’ailleurs s’étonner du grand écart que vous effectuez quand vous apportez votre soutien aux mouvements sociaux français et au progrès social de manière plus générale tout en bêlant de concert avec les mêmes médias, les mêmes personnages qui éreintent à longueur d’années la France Insoumise et Jean-Luc Mélenchon, lorsqu’il s’agit de critiquer le Vénézuela, la Chine ou Cuba et qui gardent le silence face aux persécutions étasuniennes à l’endroit de Julian Assange ou aux exactions israéliennes contre le peuple palestinien. On pourrait n’y voir qu’une posture qui changera au gré du sens où le vent souffle.

Evidemment, c’est mettre la charrue avant les bœufs que de vous écrire alors que j’ai déjà déclenché à votre encontre une action hostile quoique vaine. L’inverse eût été plus logique. Mais que voulez-vous, certains parlent sans réfléchir, d’autres agissent sans réfléchir...

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