Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 février 2021 3 10 /02 /février /2021 03:34

DES VIEUX & DES BLEUS

paru dans CQFD n°194 (janvier 2021), par Clair Rivière, illustré par 
mis en ligne le 21/01/2021 - commentaires

Au-delà de l’emblématique Geneviève Legay, les manifestants les plus âgés n’ont pas été épargnés par la brutale dérive du maintien de l’ordre qui s’est cristallisée pendant le mouvement des Gilets jaunes. Cette « stratégie de la peur » videra-t-elle les rues des vieux protestataires ?

Ce 23 mars 2019 à Nice, en se rendant à la manifestation qui a failli lui coûter la vie, Geneviève Legay pensait-elle que son âge la prémunissait contre les violences policières ? « Non, répond la septuagénaire. Mais je croyais que si je ne faisais rien [de violent], on ne me taperait pas. J’étais naïve. »

Une foule d’articles de presse et de vidéos publiées sur les réseaux sociaux l’ont prouvé ad nauseam : ces dernières années, l’accroissement de la brutalité du maintien de l’ordre n’a épargné ni les manifestants les plus pacifiques, ni les chevelures blanches.

Le 1er décembre 2018 à Marseille, Zineb Redouane, 80 ans, ne défilait d’ailleurs même pas : elle était à la fenêtre de son appartement quand un tir de grenade lacrymogène l’a atteinte en pleine tête. Elle est morte à l’hôpital le lendemain.

«  Pas de traitement différencié »

Membre de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et de l’Observatoire des droits et libertés des Alpes-Maritimes [1], Henri Busquet ne s’explique toujours pas « quelle mouche a piqué le commissaire » qui a ordonné la charge ayant blessé Geneviève Legay. Localement parlant, cet accès de violence policière a été à ses yeux « un événement ponctuel : Nice n’est pas une ville où ça castagne en manif ».

Dans d’autres métropoles de l’Hexagone, le récent durcissement du maintien de l’ordre a été bien plus intense et systématique. Avocat à la retraite, Jean-Jacques Gandini est membre de la LDH, du Syndicat des avocats de France et de l’Observatoire des libertés publiques de Montpellier [2]. À ce titre, il a assisté à plusieurs dizaines de rassemblements au cours des dernières années.

Il explique que dans la cité héraultaise, même en se positionnant « le plus souvent à l’arrière des cortèges », les manifestants âgés ne sont pas à l’abri : « Les violences ne touchent pas que les manifestants qui sont en première ligne, pas que les personnes qui ont la volonté d’en découdre – quand il y en a – mais tout le monde. Les grenades, les LBD, n’importe qui peut en être victime. »

Peut-on cependant imaginer que certains agents retiennent leurs coups quand ils se retrouvent face à un papy ou une mamie ? « On pourrait le penser. Mais lorsqu’il y a des charges de police, qui que ce soit qu’il y ait devant eux, les policiers y vont. Des personnes âgées sont donc touchées, surtout quand elles courent moins vite que les autres. »

Membre de la fondation Copernic [3] et de l’Observatoire des pratiques policières de Toulouse, Pascal Gassiot, 65 ans, confirme : « Ici, je n’ai pas constaté de traitement différencié. Je n’ai pas vu les policiers retenir leurs coups quand ils étaient face à une personne âgée qui manifestait. D’ailleurs, même des badauds de passage ont été frappés. »

Cette violence aveugle n’a pas épargné les observateurs eux-mêmes, quel que soit leur âge : « Sur les quatre d’entre nous ayant été évacués aux urgences de Toulouse, deux avaient plus de 60 ans, reprend Pascal Gassiot. Celui qui a pris un tir de LBD dans le ventre en avait 71.

Quant à moi… vous connaissez un peu le rugby ? Eh bien pendant une charge, alors que je filmais, un flic de la Bac [brigade anticriminalité] m’a fait un “raffut”, c’est-à-dire qu’en courant il m’a mis la main sur la figure. Je suis tombé. J’ai eu deux côtes fracturées et un bout de crâne complètement râpé. J’ai déposé une plainte. J’attends des nouvelles. »

« Trop de peur »

Constat empirique : dans de nombreuses de villes de France, les enfants ont quasiment disparu des manifs. Trop de gaz lacrymogènes, trop de risques. Pascal Gassiot se souvient qu’à Toulouse pendant les Gilets jaunes, « les premières grenades pétaient parfois dix minutes à peine après le début de la manifestation » : il n’y avait donc plus de distinction entre une première phase de défilé tranquille (ouverte à tous donc) et un second temps plus agité (réservé aux plus motivés).

En plus d’avoir fait déguerpir les poussettes, l’augmentation de la violence du maintien de l’ordre a-t-elle également fait fuir les anciens ? Quand on sait que ces derniers forment souvent une bonne partie des troupes revendicatives, l’interrogation n’a rien d’anodin.

Auteur de Péage Sud, un roman [4] issu de plusieurs mois passés sur les ronds-points et dans les manifs des Gilets jaunes des Pyrénées-Orientales, Sébastien Navarro a remarqué un net reflux dans les moments les plus chauds : « Les mois passant, la répression s’amplifiant, beaucoup de personnes âgées ont peu à peu disparu, parce que ça devenait trop physique.

Trop de peur. » Une trouille qui, évidemment, n’a pas touché que les seniors. « Les militants les plus chevronnés continuent de venir, note Jean-Jacques Gandini, de Montpellier. Mais au fur et à mesure des manifs, on a vu des personnes ayant dépassé un certain âge ou une certaine condition physique qui, après s’être retrouvées en difficulté, ont préféré laisser tomber. » Et l’ancien avocat de critiquer vertement la nouvelle doctrine du maintien de l’ordre, « une technique de confrontation » qui fait que « les manifestants ne peuvent plus se sentir en sécurité ».

Pascal Gassiot confie qu’il a parfois rempli son rôle d’observateur « avec la boule au ventre ». Mais cet habitué du pavé (pas loin d’un demi-siècle de manifs en tant que militant) n’a pas cédé à « la stratégie de la peur ».

Le Toulousain estime d’ailleurs que la vieillesse peut présenter un avantage : celui d’avoir « le cuir tanné, l’expérience des manifestations violentes » d’il y a plusieurs décennies. D’ailleurs, poursuit-il, « pendant les Gilets jaunes, j’ai vu des vieux en première ligne ». Qu’ils fussent de vieux briscards du pavé ou des primomanifestants aux cheveux blancs, c’étaient « des teigneux, qui ne reculaient pas face aux flics. Ils se prenaient des grenades, mais ils revenaient. »

« Covid les rues »

Face au durcissement du maintien de l’ordre, si certains ont opté pour une prudente retraite, beaucoup d’autres papys et mamies ont donc fait de la résistance. Mais depuis le printemps dernier, tous ont un nouvel adversaire : le coronavirus. Combien d’aînés dissuade-t-il lui aussi de rejoindre les grandes protestations actuelles ?

Clair Rivière

En rapport, publié dans le même numéro : « Des nouvelles de Geneviève Legay ».


La Une du n°194 de CQFD, illustrée par Julien Loïs {JPEG}

- Cet article a été publié dans le dossier « Vieillesses rebelles » du n°194 de CQFD, en kiosque du 2 janvier au 4 février. Voir le sommaire.

  • Ce numéro est disponible chez près de 3 000 marchands de journaux partout en France. Pour retrouver les points de vente près de chez vous, cliquez ici.
  • Pour recevoir les prochains numéros directement dans votre boîte aux lettres, vous avez la possibilité de vous abonner.

Partager cet article

Repost0
8 février 2021 1 08 /02 /février /2021 03:43

Durée de lecture : 9 minutes

28 janvier 2021 / Marie Astier et Gaspard d’Allens (Reporterre)
 

     
 

Une mission d’information parlementaire pilotée par Les Républicains et La République en marche demande de « renforcer l’arsenal pénal » contre « les militants antiglyphosate, véganes ou antichasse ». Les propositions pourraient être inscrites dans la loi, une perspective qui inquiète fortement les militants écologistes ou antispécistes.

Le tempo est plutôt mal choisi, la concordance des temps frappante. Alors que l’Assemblée nationale examine en ce moment la proposition de loi sur le bien-être animal, les députés ont voté en commission un rapport issu d’une mission d’information parlementaire sur « l’entrave aux activités légales »

 

En creux, certains députés veulent « renforcer l’arsenal pénal » contre « les militants antiglyphosate, véganes ou antichasse ». Ils proposent la création de nouveaux délits pour lutter plus efficacement contre la diffusion d’images sur les réseaux sociaux et pour limiter l’intrusion dans les abattoirs ou les fermes usines.

Reporterre publie ce document qui a reçu l’aval de la majorité La République en marche (LREM). Un an après la création de la cellule Déméter, une nouvelle étape est franchie dans la répression et la criminalisation du mouvement écologiste.

  • Lire le rapport de la mission d’information « sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales », composée de M. Xavier Breton, président, et de Mme Martine Leguille-Balloy et M. Alain Perea, rapporteurs :

 

Le rapport a été adopté mardi 26 janvier en fin d’après-midi par les commissions du Développement durable, des Affaires économiques et des Lois. Présidée par le député Les Républicains Xavier Breton, la mission parlementaire compte également deux rapporteurs, Martine Leguille-Balloy et Alain Perea, tous deux affiliés à La République en marche.

Ce travail est le fruit d’une promesse faite en juin 2019 par Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique, alors députée, aux sénateurs. Dans le cadre du projet de loi créant l’Office français de la biodiversité (OFB), le Sénat avait souhaité créer un délit d’entrave aux activités de la chasse.

L’idée n’avait finalement pas été retenue mais les présidentes des commissions des Lois et du Développement durable, Mmes Yaël Braun-Pivet et Barbara Pompili, s’étaient engagées à lancer une mission d’information sur le sujet.

Un an et demi plus tard, nous y voilà. Et contrairement à l’adage, le temps n’a pas assagi les parlementaires. Dès les premières pages, les auteurs du texte s’en prennent violemment aux écologistes et à leurs actions qui « stigmatisent des activités légales » comme « les OGM, la corrida, l’utilisation de glyphosate et autres produits phytosanitaires, les activités cynégétiques ou la consommation de protéines d’origine animale ».

Les auteurs précisent que « les avancées démocratiques ne peuvent pas se faire en imposant des idéologies par la voie d’exactions, d’attaques, de menaces ou encore de pressions sur des activités légales ».

Un rapport qui cible nommément plusieurs associations comme L214

D’après eux, ces dernières années, le nombre d’entraves à la chasse et à l’élevage industriel a explosé. Or « la réponse pénale apportée est trop faible », jugent-ils, regrettant que peu de plaintes soient déposées puis instruites. Le droit existant n’est pas adapté, estiment-ils.

L’état des lieux qu’ils dressent est volontairement dramatique, nourri par les plaintes des professionnels et des chasseurs, nombreux à avoir été auditionnés, contre seulement une association anti-chasse, AVA (Abolissons la vénerie aujourd’hui). « Greenpeace, France Nature Environnement et le WWF ont refusé les sollicitations de la représentation nationale », rappellent les députés en introduction, sans évoquer pour autant les raisons de leur boycott.

Les rapporteurs déplorent « une radicalisation des actions » menées par des « militants de plus en plus urbains », « engagés dans une multitude de causes, notamment féministe, antinucléaire ou antipolice ». « On y retrouve également des black blocs », alertent-ils, très sérieusement.

Le rapport recense pêle-mêle les tentatives d’intrusions au sein d’exploitations agricoles et des faits divers, comme l’altercation entre « un jeune chasseur et trois militants radicaux qui l’auraient mordu à la main ». Il cite autant la multiplication des sit-in devant les abattoirs que « les échanges verbaux vifs » entre agriculteurs et écologistes, les tags sur les cabanes de chasseurs ou les bris de vitrines dont seraient victimes des boucheries.

La question des réseaux sociaux est au cœur du rapport. Pour les auteurs, « les réseaux sociaux constituent en soi un moyen d’entrave » : ils « inspirent » et « amplifient les conséquences des actions ».

Le document cible nommément plusieurs associations : L214, Direct Action Everywhere, 269 Libération animale, Abolissons la vénerie aujourd’hui. « Bien organisées, avec une puissance d’influence importante, préméditant leurs actions et ayant une bonne connaissance de leurs droits, ces associations ont une capacité à exploiter les failles de la législation », notent-ils.

Le rapporteur de la mission voulait interdire le VTT en période de chasse

Les députés font plusieurs recommandations : ils veulent d’abord créer un délit d’entrave à la chasse, passible de 6 mois d’emprisonnement et de 5.000 euros d’amende. Ils proposent aussi d’introduire dans le Code pénal un délit punissant d’un an d’emprisonnement et de 7.500 euros d’amende l’intrusion sur un site industriel, artisanal, agricole ou de loisirs, qui aurait pour but de « troubler la tranquillité ou le déroulement normal de l’activité ».

Les rapporteurs souhaitent élargir le champ législatif des discriminations pour ajouter l’activité professionnelle ou de loisirs. Ils recommandent aussi de punir d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende toute diffamation publique commise à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur activité professionnelle ou de loisir, et donc l’agriculture ou la chasse.

Plusieurs mesures apparaissent comme une réponse directe aux demandes du principal syndicat agricole, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). Il y a à peine plus d’un an, la présidente du syndicat, Christiane Lambert, avait demandé à la ministre de la Justice de l’époque, Nicole Belloubet, la création d’un délit spécifique aux intrusions dans les élevages, comme Reporterre l’avait signalé.

La même avait aussi demandé, dès 2018, une commission d’enquête parlementaire sur les militants antispécistes. Vœu quasi exaucé avec cette mission d’information.

Elle a pu compter sur les trois parlementaires qui portent ce rapport. Le président est le député de l’Ain Les Républicains Xavier Breton. C’est dans son département qu’a eu lieu l’incendie d’un abattoir pour lequel des antispécistes ont été incriminés. Le rapport omet de préciser que ces derniers nient les faits.

En ce qui concerne les rapporteurs, Alain Perea, député LREM de l’Aude, est coprésident du groupe Chasse, pêche et territoires à l’Assemblée nationale. Quand un vététiste avait été tué par un chasseur, il avait proposé d’interdire… le VTT pendant la période de chasse. La rapporteuse, Martine Leguille-Balloy, a été avocate dans l’agroalimentaire et avait déjà proposé une commission d’enquête sur l’agribashing.

Plus généralement, le rapport reprend exactement les mêmes arguments que ceux qui ont présidé à la création de la cellule de renseignement de la gendarmerie Déméter, en décembre 2019. La cible est la même, à savoir les contestataires du modèle agricole dominant, élargie aux anti-chasse.

Les acteurs identiques : Déméter a été mise en place via un partenariat inédit entre seulement deux des syndicats agricoles — la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs — et la gendarmerie. Pour le justifier, la gendarmerie avançait que plus de 14.000 « atteintes au monde agricole » avaient été recensées en 2019. Mais la majorité était des vols et cambriolages. L214 avait pu calculer que seul 0,28 % était des actes antispécistes.

« On est dans la même logique que la loi Sécurité globale »

Pour ces députés, le phénomène est au contraire massif. « Nous sommes, avec Alain Perea, tous les deux du milieu rural et nous avons été surpris par ce que nous avons découvert », insiste Mme Leguille-Balloy, jointe par Reporterre. « Toute idéologie mérite d’être défendue, mais pas dans la violence. Nous devons concilier l’expression de ces idées et l’arrêt de la violence. » « Perturber la chasse est devenue la marotte de certains. Ils sont inconscients, il va y avoir des morts », avertit M. Perea.

Pas de quoi rassurer la sphère associative. « Il y a un risque de glissement. La contestation du système agricole dominant pourrait finir par être considérée comme du dénigrement », craint François Veillerette, de l’association Générations futures. « Je prends cela très au sérieux, car ils veulent criminaliser une critique sociale, politique, écologique, indique Fabrice Nicolino, président de l’association Nous voulons des coquelicots. Ce qui les embête, c’est que la société se révolte contre l’agriculture industrielle. Ils sentent le sol se dérober sous leurs pieds. »

 

 

« Il y a un refus d’entendre la société civile, poursuit la députée Génération Écologie Delphine Batho. Le fait de considérer comme délictuelles des activités qui concourent de façon normale et non violente à la vie démocratique est extrêmement choquant. On est dans la même logique que la loi Sécurité globale appliquée au domaine agricole. »

Autant de réticences balayées par les rapporteurs, qui appellent à des mesures urgentes. Pour aller vite, ils étudient deux solutions. Soit reprendre une proposition de loi sur le même sujet, déjà adoptée par le Sénat, et la renforcer avec les propositions du rapport. Soit introduire les dispositions via des amendements dans une autre loi passant bientôt en discussion. « On est en fin de législature, le risque est que ça ne débouche pas, peut-être vaudrait-il mieux appliquer de ce qui existe déjà dans le droit », nuance le député breton Paul Molac, membre de la mission.

Le message a été, en tout cas, passé aux chasseurs et à la FNSEA : à un peu plus d’un an de la présidentielle, LREM reste à leur écoute.

 

C’est maintenant que tout se joue…

Le désastre environnemental s’accélère et s’aggrave, les citoyens sont de plus en plus concernés, et pourtant, le sujet reste secondaire dans le paysage médiatique. Ce bouleversement étant le problème fondamental de ce siècle, nous estimons qu’il doit occuper une place centrale dans le traitement de l’actualité.
Contrairement à de nombreux autres médias, nous avons fait des choix drastiques :

  • celui de l’indépendance éditoriale, ne laissant aucune prise aux influences de pouvoirs. Le journal n’appartient à aucun milliardaire ou entreprise Reporterre est géré par une association à but non lucratif. Nous pensons que l’information ne doit pas être un levier d’influence de l’opinion au profit d’intérêts particuliers.
  •  
  • celui de l’ouverture : tous nos articles sont en libre consultation, sans aucune restriction. Nous considérons que l’accès à information est essentiel à la compréhension du monde et de ses enjeux, et ne doit pas être dépendant des ressources financières de chacun.
  •  
  • celui de la cohérence : Reporterre traite des bouleversements environnementaux, causés entre autres par la surconsommation. C’est pourquoi le journal n’affiche strictement aucune publicité. De même, sans publicité, nous ne nous soucions pas de l’opinion que pourrait avoir un annonceur de la teneur des informations publiées.

Pour ces raisons, Reporterre est un modèle rare dans le paysage médiatique. Le journal est composé d’une équipe de journalistes professionnels, qui produisent quotidiennement des articles, enquêtes et reportages sur les enjeux environnementaux et sociaux. Tout cela, nous le faisons car nous pensons qu’une information fiable, indépendante et transparente sur ces enjeux est une partie de la solution.

Vous comprenez donc pourquoi nous sollicitons votre soutien. Des dizaines de milliers de personnes viennent chaque jour s’informer sur Reporterre, et de plus en plus de lecteurs comme vous soutiennent le journal, mais nos revenus ne sont toutefois pas assurés. Si toutes les personnes qui lisent et apprécient nos articles contribuent financièrement, le journal sera renforcé. Même pour 1 €, vous pouvez soutenir Reporterre — et cela ne prend qu’une minute. Merci.

SOUTENIR REPORTERRE

Partager cet article

Repost0
7 février 2021 7 07 /02 /février /2021 03:59

Lors de la manifestation du 5 décembre 2020 à Paris, le cortège syndical a affronté des violences policières hélas habituelles. Mais, pour la première fois, il a également dû subir l’assaut d’un groupe de manifestants.

 

 

Agressions verbales, agressions physiques, saccage de matériel, incendie d’une barricade coupant le cortège en deux et facilitant l’attaque policière… Récit complet.

Ce récit a été rédigé à partir des témoignages de 9 manifestantes et manifestants, pour certains membres de la CGT ou de Solidaires, venus de toute la région parisienne et ayant vécu ces événements.

Chaque année, début décembre, les organisations des privé·es d’emploi et précaires (CGT-Chômeurs rebelles, Agir contre le chômage, Apeis, MNCP) et plusieurs syndicats de salarié·es (dont ceux de la CGT, de Solidaires et de la FSU) organisent à Paris une manifestation contre le chômage et la précarité. Celle du samedi 5 décembre 2020 s’inscrivait dans le cadre d’une convergences des luttes à la fois contre la nouvelle « réforme » de l’assurance chômage et contre la Loi de sécurité globale.

Cette manifestation était également soutenue par diverses organisations politiques, dont l’Union communiste libertaire. Ses militantes et ses militants étaient présents, aux côtés de leurs camarades de travail, au sein des cortèges syndicaux ou au sein du cortège de l’UCL.

Un rassemblement au Trocadéro et une manifestation unitaire contre cette loi et contre les violences policières avaient déjà rassemblé des milliers de manifestantes et de manifestants les deux samedis précédents. Cette réussite populaire, véritable camouflet pour le pouvoir, n’a pas été du goût du préfet Lallement, qui a tenté de faire interdire la manifestation du 5 décembre.

Mais les organisations syndicales ont maintenu leur appel à manifester, même au cas où la manifestation serait interdite. Nouveau camouflet pour le pouvoir, dont la frustration se traduira par une rage répressive d’une rare brutalité.

Préparatifs policiers et syndicaux

Le jour dit, le rendez-vous était donc fixé à la porte des Lilas, pour un départ prévu à 14 heures direction place de la République, selon un parcours imposé par la Préfecture de police.

Le dispositif policier est impressionnant : les rues, exiguës, sont cernées de flics en armure, lourdement armés, de camions et de grilles anti-émeutes. Les flics surveillent jusqu’à l’arrivée des manifestants par les transports en commun, comme ceux cantonnés sur les quais du tramway, au milieu des habitants du quartier, dévisageant chaque personne qui descend d’un train.

Dès 13 heures, dans un froid sec et mordant, les syndicalistes se mettent en place le long de l’avenue Gambetta pour préparer et organiser le cortège : montage des sonos, agencement des camionnettes, déploiement des banderoles, ballons et calicots pour l’expression des revendications et la visibilité du cortège.

Un service d’ordre unitaire CGT-Solidaires est alors constitué. Quel est son rôle ? Il est temps de tordre le cou à certains fantasmes.

Évolution de la conception du SO syndical ces dernières années

Un certain nombre de personnes ont gardé du SO de la CGT une image peu tendre de « gros bras » sectaires datant des années 1970-1980. En réalité, ces dernières années, une mutation s’est engagée, comme en témoigne un militant libertaire : « Il y a désormais du pluralisme ; on voit des femmes prendre des responsabilités de coordination ; il y a coopération avec le SO de Solidaires, comme il y en a eu avec le SO du Comité Adama le 28 novembre. Autant de raisons qui m’ont poussé à accepter d’en être quand mon syndicat me l’a demandé. »

Les membres du SO francilien de la CGT, comme ceux de Solidaires, sont en effet délégués par leur syndicat pour assurer cette tâche. Le 5 décembre, on y trouvait des intermittents du spectacle, des salariés de l’AP-HP, des ouvriers d’imprimerie, des salariés de l’éducation et de la recherche, et des militants des structures interpro locales.

Le mandat du SO n’est pas de « faire la police de la manif », mais de veiller à la sécurité des manifestantes et des manifestants, en prévenant les risques d’accident (mouvements de foule, véhicules...). Il s’assure que le cortège progresse de manière continue : en effet, un cortège n’est jamais plus exposé que lorsqu’il est à l’arrêt. Le SO aide ainsi à l’autoprotection face aux provocations policières et aux éventuelles attaques de groupes hostiles, comme ceux d’extrême droite.

Comment la préfecture s’efforce d’utiliser le "cortège de tête"

Peu avant l’heure de départ prévue, première manipulation policière, désormais habituelle, depuis 2016 : les flics qui stationnent en rang à proximité du cortège syndical, à l’angle de la rue des Tourelles, reculent et disparaissent, laissant un vide à l’avant du cortège. Cet espace permettra la constitution du cortège informel dit « de tête ».

Pour celles et ceux des manifestants qui le rejoignent, il s’agit d’occuper un espace libéré des contraintes qu’implique l’action collective et coordonnée des organisations et des collectifs structurés. Espace festif pour les uns, espace offensif pour d’autres, mais aussi, pour certains, espace pour s’accaparer la « direction » de la manifestation.

Depuis 2016, la préfecture a appris comment elle pouvait utiliser le "cortège de tête" pour servir ses objectifs. Sur le plan politique : reléguer symboliquement au second plan les organisatrices et organisateurs de la manifestation, pour mieux invisibiliser leurs revendications et ainsi saper la mobilisation militante des jours précédents sur les lieux de travail et dans les quartiers, mobilisation essentielle pour amener du monde dans la rue.

Sur le plan répressif, l’intérêt est de positionner les affrontements entre flics et insurrectionnistes non plus à l’arrière, comme avant 2016, mais à l’avant de la manifestation, pour justifier le blocage des rues et justifier les charges violentes contre l’ensemble du cortège, y compris contre les secteurs ayant fait le choix de l’action non violente.

Un parcours dans des rues étroites

Le cortège finit par s’ébranler peu avant 15 heures. Les manifestants et manifestantes s’élancent dans l’avenue Gambetta, en direction de la place de la République. Les sonos syndicales donnent de la voix. Le carré de tête est en place avec sa banderole unitaire, et les membres du service d’ordre sont prêts à s’interposer face au flics pour empêcher les charges. La foule est très dense, nombreuse, la manifestation progresse très lentement dans l’avenue étroite.

Du point de vue de l’affluence, c’est une réussite. Arrivé au niveau de la rue Haxo, près du métro Saint-Fargeau, le service d’ordre unitaire CGT-Solidaires aide un collectif de teufeurs à insérer son gigantesque camion dans la foule, pour constituer un pôle festif au milieu du cortège des organisations. Des jeunes manifestantes et manifestants dansent au son de la techno dans un moment joyeux et bienvenu.

En queue de cortège, les organisations politiques, dont l’UCL, attendent le démarrage.

Les syndicalistes estiment que les violences policières pourraient survenir à proximité du commissariat du 20e ou bien à l’arrivée sur la place de la République. Mais le coup fourré de Lallement adviendra bien plus vite, 600 mètres à peine après le départ du cortège.

Un incendie est allumé devant l’EHPAD

Le parcours imposé par la préfecture amène le cortège à longer un EHPAD, au 161 de l’avenue Gambetta. Il est plus de 16 heures quand l’avant du cortège syndical commence à arriver à sa hauteur, précédé par le cortège « de tête ». Les soignants, mais aussi les résidentes et les résidents, nous saluent aux fenêtres. Le bâtiment contigu, au numéro 159, est couvert d’échafaudages. Alors que le quartier est quadrillé par les flics, le chantier n’est pourtant pas sécurisé.

Tout y est librement disponible : barrières métalliques, matériaux de construction, matériels divers et panneaux d’isolants : très légers, très gros, transportables à bouts de bras, et très combustibles...

Le piège est tendu. La ficelle est bien grosse, mais des manifestants du cortège de tête se font avoir. Le chantier est pillé. Un incendie est allumé sur la voie, entravant la manifestation, devant l’EHPAD... Pour décider où la manifestation s’arrêtera et décider, eux, où auront lieu les affrontements, les flics n’ont plus qu’à sortir et exhiber un groupe isolé de BRAVM jusque-là planqué dans les rues attenantes.

L’attaque des flics

Les premières charges policières sont violentes, visant d’abord le cortège de tête. Aux coups de matraque s’ajoutent les tirs de grenades lacrymogènes, rendant la rue irrespirable. « Ça brûlait à proximité et, avec les nuages de gaz, les soignants de l’EHPAD étaient affolés. Ils se sont précipités pour fermer les fenêtres et faire reculer les résidents dans les chambres », raconte un syndicaliste CGT du 93.

Quelques manifestants répondent par des tirs de fusées et des pétards. Puis le cortège de tête se disperse face aux assauts policiers, qui atteignent bientôt les premières positions syndicalistes. Plusieurs jeunes militants de la CGT, qui ne constituent pourtant aucune « menace », hormis le fait qu’ils tiennent la ligne et refusent de reculer, sont violemment agressés et matraqués par les flics.

La majeure partie des manifestants du cortège de tête ne réussiront pas à dépasser le point de blocage situé au niveau de l’immeuble en chantier. Ils et elles se mettent alors à refluer vers le cortège syndical unitaire, dans une cohue aggravée par l’air saturé de gaz et l’exiguïté de la rue.

La situation est dangereuse : avec le reflux désordonné du cortège de tête, avec la panique provoquée par les attaques des flics, et avec la poussée inexorable, derrière, des milliers de manifestants du cortège syndical qui avancent avec leurs véhicules, les risques de piétinement sont grands. Le SO se resserre alors au milieu de la voie, pour dégager les espaces sur les côtés, invitant les manifestants à les contourner.

Un militant CGT, en première ligne du cortège syndical, raconte : « Ils venaient vers nous en courant. Certains avaient du mal à respirer à cause du gaz et toussaient. Les flics étaient derrière eux. On leur criait de nous contourner et de passer par les côtés, pour aller se mettre derrière nous. »

L’objectif est de permettre aux manifestants du cortège de tête de venir s’abriter dans le cortège syndical, derrière le service d’ordre qui se prépare alors à faire bloc face aux flics.

Confusion, incompréhension et agressions verbales

Faute de connaître les stratégies de rue des syndicalistes, la manœuvre n’est pas comprise par tous les manifestants qui fuient la police. Sous le coup du stress, certains exigent à tue-tête que le SO recule, ce qui est techniquement impossible.

A ce moment-là, les dérapages commencent. Aux injonctions inquiètes, mais compréhensibles, viennent s’ajouter des insultes en destination des syndicalistes, à la charge politique bien plus lourde : « pédés », « collabos », « putes »... « Il y a un gars qui nous a traités de “bouffeurs de merguez” aussi. C’est un classique cette insulte-là.

Moi elle me fait rire, je suis végétarien », s’amuse un syndicaliste CGT. Homophobie, sectarisme, misogynie et mépris de classe, tout y est. Comme un écho à des insultes lancées le samedi précédent, auxquelles s’étaient ajoutées des insultes racistes : des camarades du SO unitaire s’étant alors fait traiter de « sales négros » par certains manifestants...

Alors que l’ensemble du cortège de tête a reflué ou s’est dispersé, les forces anti-émeutes atteignent enfin le cortège syndical. « On a d’abord reçu 4 ou 5 grenades lacrymo, raconte un militant. On ne voyait plus rien tellement il y avait de gaz. Un groupe de BRAVM est monté face à nous. Mais on a tenu bon. On a fait bloc, on a tenu la ligne, et ils ont dû reculer. »

Tenir la ligne et ne jamais reculer, malgré l’air saturé de gaz et la violence des charges : stratégie payante pour tenir la rue. Le cortège reprend alors sa progression à mesure que les flics reculent. A ce moment-là, l’avant du cortège syndical a dépassé le point de blocage situé au niveau de l’immeuble en chantier et de l’EHPAD, et se dirige en direction de la station de métro Pelleport.

Les syndicalistes positionnés à l’avant du cortège s’apprêtent à emmener l’ensemble de la manifestation vers la place de la République. Une série de prises de paroles y est prévue.

Premier coup de poignard dans le dos

C’est alors qu’un premier coup de poignard sera planté dans le dos des manifestants par un petit groupe, coup de poignard qui scellera le sort de cette manifestation-là, mais aussi de la suivante.

Après s’être abrités dans le cortège syndical pendant que le service d’ordre unitaire faisait bloc face à la police, un groupe de manifestants entreprend d’attiser l’incendie au niveau de l’immeuble en chantier et de construire une barricade avec le matériel disponible. L’effet est désastreux : le cortège syndical est à présent coupé en deux.

L’avant, avec le camion plateau pour les prises de paroles, le carré de tête et le service d’ordre unitaire, se retrouve coupé de la majeure partie du cortège syndical, restée coincée en arrière, bloquée par la barricade, sans aucune possibilité d’avancer. « Le cortège s’est arrêté un peu avant que nous arrivions au métro Saint-Fargeau.

Nous sommes restés immobilisés au moins quarante-cinq minutes, peut-être plus, raconte une syndicaliste CGT du Val-de-Marne. En avançant un peu, j’ai vu plus loin de la fumée. Le carré de tête avait pu avancer mais le cortège, lui, est resté coincé par une barricade et un incendie. »

Une barricade – censée séparer les manifestants et le pouvoir – a donc été montée par un petit groupe à l’intérieur même du cortège syndical ! Une incroyable inconséquence qui, d’un symbole de résistance, a fait un symbole de division du mouvement social.

Tir de fusée et de pétards sur la banderole syndicale

Un groupe (le même ?) va également viser, non pas les flics, mais l’avant du cortège syndical « Ils ont tiré une petite fusée et lancé des pétards en visant le carré de tête. C’est tombé près de la banderole unitaire », raconte une camarade de SUD-Éducation. Les militantes et les militants de Solidaires, qui sécurisent ce secteur du carré de tête, se trouvent à proximité des tirs. Personne ne sera blessé et l’incident restera sans conséquences. Mais, là encore, le symbole est très lourd.

Il est environ 17 heures, la nuit tombe et la situation va se tendre, cette fois à l’arrière du défilé. Plusieurs organisations politiques, qui piétinent depuis des heures à quelques dizaines de mètres du point de départ, à l’instar de l’UCL, décident de dissoudre leurs cortèges quand il devient clair que la manifestation ne pourra pas atteindre son but initial. Le cortège syndical, bloqué par la barricade, commence également à se disperser. Malgré cela, la violence des flics va se déchaîner.

Nouvel assaut des flics

Les flics sont positionnés dans la rue des Tourelles, dans la rue Henri-Dubouillon, dans la rue Haxo et dans la rue Saint-Fargeau. Lallement tient sa revanche. De nouvelles charges, assorties de tirs de lacrymo et de grenades de désencerclement, sont alors lancées dans l’avenue Gambetta contre le cortège syndical bloqué par la barricade. Nouveaux mouvements de foule et nouveaux reflux.

Les cortèges de la FSU et de Solidaires réussissent à évacuer les lieux, malgré le chaos. Le cortège de la CGT se trouve ce jour-là positionné plus en avant. Il y a là, à l’arrêt, la camionnette de l’union départementale du 93, celle de la CGT-Intérim, une de l’union locale picarde de Santerre et enfin une camionnette de l’union régionale Île-de-France.

Autrement dit, les camionnettes des organisations CGT du département le plus pauvre d’Île-de-France, des travailleuses et travailleurs parmi les plus précaires, d’une union locale d’une petite ville descendue à la manif francilienne et de la structure chargée d’organiser la solidarité interpro à l’échelle régionale.

Autour, restent une trentaine de militantes et de militants CGT, initialement chargé·es de l’animation du cortège : « Nous avons essuyé de nombreux tirs de lacrymo, sans aucun équipement de protection. C’était chaotique. Il semblait évident qu’on ne pourrait pas poursuivre la manif comme prévu. La plupart des manifestant·es remontaient vers la porte des Lilas.

Comme les charges, les tirs de lacrymo et les grenades de désencerclement se poursuivaient, nous avons dû faire reculer les camionnettes, puis nous avons tenté de leur faire faire demi-tour. »

Deuxième coup de poignard dans le dos

Le second coup de poignard dans le dos sera porté à ce moment-là par un groupe de manifestants (les mêmes ?) qui déferlent sur ce qui reste du cortège CGT et s’en prend physiquement aux syndicalistes, alors même que les flics se déchaînent à coups de matraque. La trentaine de syndicalistes sont littéralement nassés (!) par ce groupe. Les insultes pleuvent : « Ils et elles nous ont crié que nous étions des traîtres, des flics, raconte l’une des syndiquées nassées, que la CGT c’était pire que la préfecture de police, qu’on s’était mis d’accord avec elle pour faire foirer la manif. »

Les syndiqués sont bousculés, certaines et certains sont frappés et giflés. Un groupe parmi les agresseurs entreprend de bloquer les camions, pour les empêcher de fuir les flics et les contraindre à rester au milieu des affrontements. Ils entreprennent également de faire exploser leurs vitres à coups de marteau. Les camionnettes de l’UL de Santerre et de l’UD 93 réussissent à traverser, non sans dégâts. Restent celles de l’URIF et de la CGT-Intérim, coincées dans une double nasse, concentrique : celle des agresseurs cagoulés, et celle des flics qui entre-temps s’est étendue tout autour.

De nouvelles charges policières sont lancées. Les syndicalistes restants et les deux dernières camionnettes réussissent à se dégager et se réfugier dans une cité HLM voisine, au numéro 211 de l’avenue Gambetta « Nous avons finalement réussi à entrer dans un parking en plein air, au pied de bâtiments d’habitation. Nous avons garé les véhicules le plus loin possible, puis nous avons attendu que le SO de tête nous rejoigne pour pouvoir évacuer. » Abri de fortune dans la tempête de violences.

Les flics finissent le travail

Le SO syndical unitaire réussit finalement à rejoindre les manifestants restés coincés dans la nasse des flics, en se frayant un chemin par les rues voisines. Quand les militants du SO arrivent, ils assistent à une scène chaotique, une vision d’effondrement et de monde totalitaire : dans une lumière crépusculaire, des rangs de flics en armure, bloquant toutes les rues, tabassent les manifestant·es qui cherchent à fuir les lieux, alors même que certains mettent les mains en l’air, au milieu des incendies et des nuages de gaz lacrymo.

Les syndicalistes CGT s’apprêtent à sortir du parking où ils se sont réfugiés, mais accompagnés cette fois du SO. Au milieu du chaos, le collectif inter-orga Front social continue de donner de la voix dans la sono pour marteler ses mots d’ordre, donnant un exemple réconfortant de combativité et de solidarité.

Près de la rue des Tourelles, au moment de franchir le cordon des flics, la brutalité se déchaîne, encore : les syndicalistes et le SO traversent une « haie d’honneur » formée par les flics en armure sur une trentaine de mètres, où ils sont copieusement frappés, à coups de boucliers et à coups de matraque.

Les syndicalistes et le SO unitaire CGT-Solidaires atteignent enfin la porte des Lilas. Il est environ 18h30. La place est calme. L’air respirable. On s’occupe des blessés. Au chaos qui ravage les rues à seulement quelques centaines de mètres succède la vie tranquille et ordinaire du quartier. On commence à souffler. On croit en avoir enfin fini.

Mais le répit ne dure que quelques minutes, la haine policière n’est pas encore tarie : des tirs nourris de grenades en direction des camionnettes syndicales noient en quelques instants la porte des Lilas dans un épais brouillard de gaz lacrymogène. Ils ne cesseront de nous poursuivre qu’au-delà du périph’.

Conséquences et interrogations en suspens

Première conséquence de cette journée délirante : les organisations syndicales ont renoncé à participer à la manif du samedi suivant, le 12 décembre. Impossible de garantir la sécurité des syndiqué·es dans un tel contexte, avec à la fois les flics et des agresseurs non identifiés sur nos arrières, dans une configuration (la place du Châtelet) encore plus dangereuse.

De cette expérience, les militantes et militants peuvent tirer des enseignements sur les stratégies policières, sur la porosité des cortèges informels et sur les conséquences de pratiques autoritaires qui dévoient le principe de la « diversité des tactiques ».

Mais de nombreuses questions restent en suspens. Et notamment trois : à quel camp appartiennent les groupes qui ont aidé les flics, indirectement et directement, à réprimer la manifestation ? De quel camp se revendiquent les groupes militants qui s’en sont ultérieurement réjoui dans des publications sur le web ? Et au service de quel camp certains groupes encouragent-ils à s’en prendre aux cortèges syndicaux lors des prochaines manifestations ?

Des communistes libertaires syndiqués à la CGT et à Solidaires

Partager cet article

Repost0

Recherche

Créer un blog gratuit sur overblog.com - Contact - CGU -