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27 décembre 2020 7 27 /12 /décembre /2020 00:56

Joan Pau Verdier, 1947-2020

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20 octobre 2018 6 20 /10 /octobre /2018 23:20

A la fin des années 1960 est apparu un phénomène à la fois connu de tous et profondément méconnu dans sa réalité.

Le mouvement Hippie a fait couler beaucoup d’encre, et rarement encre aura coulé aussi stupidement. Il faut dire que le mouvement commence en 1966 et se dissout à l’automne 1967. La presse commence alors à en parler, créant littéralement le mouvement dans les média, avec l’idéologie Flower Power, fleur au fusil et tendez la joue gauche.

La réalité est fort différente.

Le vaste mouvement de ras-le-bol généralisé qui eut lieu à ce moment-là recouvrait des choses diverses.

Au milieu des pleurnicheries des non-violents, la plupart du temps mystiques, des apôtres de la défonce libératrice et des gourous imbéciles, il y eut quelques actions tout à fait radicales, sur lesquelles un silence intéressé a été fait. C’est d’une de ces actions qu’il sera question ici.

C’est parti d’une troupe de théâtre fort connue en ce temps-là, la San Francisco Mime Troupe, dirigée par RG Davies. Elle était sise dans le fameux quartier Haight-Ashbury, qui a donné son nom au mouvement hippie (Haight-Ashbury Independant Property - H.I.P. : décontracté dans le coup ; des tas d’autres sens). Au sein de la troupe, quelques individualités, dont la plus marquante est Kenny Wisdom (1944-1978), plus connu sous son nom d’écrivain, Emmett Grogan. (A gauche sur la photo)

Grogan a déjà un passé chargé : bagarreur, défoncé au dernier degré (il s’est décroché de l’héroïne qu’il s’envoyait depuis l’âge de treize ans), voleur et révolté permanent (il fricotera un temps en Irlande avec l’IRA). Grogan a bourlingué, réfléchi, il est malin, il s’ennuie. Il n’est pas très excité par ce qu’il se passe à San Francisco, mais le terrain est favorable. A la suite d’un casse, il est avec ses amis en possession d’un certain paquet de fric. Il trouve finalement en quoi il va le transformer.

- De la bouffe ! s’écrie-t—il dans un éclair de génie.

Il fonce aux Halles dans la périphérie de la ville, et remplit son break Ford de cageots de légumes et de fruits, de poulets et de dindes. Ses copains et lui volent deux grands bidons de lait de 90 litres, dans lesquels ils font cuire tout ça.

A 16 h, ils sont au Golden Gate Park où ils attendent les habitants, prévenus par le tract suivant :

REPAS GRATUIT - RAGOUT CHAUD - FRUITS FRAIS

APPORTEZ UN BOL ET UNE CUILLERE

A ASHBURY STREET DEVANT LE PARC - 16 H

REPAS GRATUIT TOUS LES JOURS

GRATUIT, PARCE QUE C’EST A VOUS !

Cette signature n’est énigmatique que pour les ignorants, il s’agit bien sûr d’une allusion aux anciens Diggers, les Laboureurs anglais qui formaient l’aile gauche de l’armée de Cromwell. Grogan a aussi beaucoup lu. Il a mis ça sans trop réfléchir. Mais il vient de lancer une des plus belles tentatives autogestionnaires de l’histoire des États-Unis.

Les gens arrivent, une cinquantaine, quelques uns portent un bol pendu à leur ceinture.

Cela va devenir rapidement le signe de reconnaissance permanent des fidèles des Diggers. Les cinquante premiers ne restent pas seuls longtemps. Ils seront deux cents ce jour-là. Toute la semaine, Grogan et sa bande continuent à nourrir les affamés, les marginaux, les paumés, les junkies, les profiteurs, les clochards, les fugueurs, les passants, les hippies, les curieux.

A aucun moment ils ne voudront dire qui ils sont, ni d’où ils viennent.

Les journaux underground, nombreux à cette époque, entretiendront le mystère.

Tout le monde est intrigué. On cherche les motifs. Quel peut bien être leur intérêt ?

Des donateurs arrivent de partout, des désintéressés, mais surtout des gens intéressés.

Pour toute réponse, Grogan et ses amis acceptent les dollars et les chèques, puis les brûlent.

Les amis de Grogan, les Diggers permanents, s’appellent Billy Landout, Slim, Minaux et Butcher Brooks.

Un photographe qui possède un vieux mini-car Volkswagen jaune qu’on appelle le Sous-marin jaune, sur lequel est écrit : "Le chemin des excès mène au palais de la sagesse." C’est dans ce minicar que la bouffe est transportée avec les filles qui la préparent.

Des filles qui vivent en communauté se sont proposées pour les relayer à la préparation des repas. Suzanne Naturelle, Fyllis, Cindy, Bobsie, NanaNina, ce sont les noms que Grogan donne dans son autobiographie étonnante, Ringolevio .

Il arrive que Butcher Brooks s’amuse à faire le tour du quartier plusieurs fois, passant sous le nez des amateurs, afin de bien leur montrer que tout ceci ne leur est pas dû. Grogan, lui, s’occupe de trouver la bouffe, la récupère ou la vole, le matin pour l’après-midi (les Diggers n’ont pas de frigo).

Ils finissent par louer un garage à Page Street, où ses amis Simoléon Gary, John-John et Richie-la-Moto organisent le premier magasin gratuit, le Free Exchange Market, ainsi que l’indique la grande enseigne peinte au-dessus.

Les Diggers organisent aussi des spectacles, gratuits également, avec la San Francisco Mime Troupe.

San Francisco Mime Troup

On y voit Ken Kesey, Neil Cassady. Kesey prête son car multicolore pour le ramassage scolaire (sur son pare-brise, il y a une banderole avec En Avant écrit dessus).

Les amis de Grogan, ceux qu’il appelle Le Hun et Coyote, animent les spectacles. Cinq marionnettes vivantes se voient intimer l’ordre de circuler par la police. Aussitôt, le Hun, Grogan et Slim Minaux, qui sont les marionnettes, jouent avec les flics et, improvisent. Ils finiront au poste, avec Butcher Brooks.

Emmett Grogan joue alors un rôle capital dans la formation de l’imagerie hippie, un peu malgré lui. Les hippies, il n’en a rien à foutre, mais c’est lui qui aurait inventé le fameux signe des doigts en V, que les journaux ont pris pour une référence à Churchill, alors qu’il s’agissait du signe V inversé, que ceux de l’IRA utilisent pour dire : Fuck you !

Après ces épisodes, Grogan écrit deux livres, des chansons, devient militant anti-nucléaire, fait du cinéma, avant de mourir d’une crise cardiaque dans le métro en avril 1978.

Parallèlement à l’activité des Diggers, certains continuent leurs spectacles théâtraux, que Grogan et Landout ont laissé tomber. En particulier ce sont eux qui jouent la Mort de l’Argent, en compagnie des Hell’s Angels. Grogan y participera et aussitôt après finira encore au poste, il s’était fait poisser en train de faucher de la viande. Lors du procès, son avocat aura beau jeu de montrer que Grogan, ne vole pas pour lui-même ni pour revendre1la viande, mais simplement pour la partager avec les pauvres et les affamés qui envahissent Haigh Ashbury ". Il est condamné à six mois avec sursis

Les Hells Angels organisent en retour une fête le premier janvier (1967). Ils payent la bière, la sono, le camion-scène, et invitent les Greateful Dead et la Holding Company (qui jouait alors avec Janis Joplin). C’est le premier festival de rock gratuit de l’histoire.

La police se cache.

Le parc appartient à tout le monde, ont dit les présents.

Le rôle des femmes dans tout cela est déterminant. Grogan dira : " Elles représentaient la véritable force de la communauté de Haight-Ashbury, c’était elles, les vraies Diggers. Faire cuire deux ou trois bidons de cent litres de ragoût pour cents personnes, c’est peut-être marrant si on fait ça une fois par an, mais essayez donc de vous y coller deux ou trois jours de suite, pendant deux ou trois semaines, deux ou trois mois. sans être payé, sans toucher un rond. C’est tuant !"

Le système s’installe, il marche bien. Landout s’en va un temps il y a trop de bruit autour pour lui. Les services sanitaires de la ville exproprient le Free Exchange Market. Ils s’installent alors Frederick street, où ils ont une cuisine, une salle de-bains, un sous-sol.

Là, ils hébergeront en permanence des tas de gens sur des matelas posés sur le sol. Il y a une vitrine sur laquelle Grogan repeint leur enseigne.

Leurs cars sont morts. C’est Richard Brautigan, bien connu depuis comme romancier " dans-le-coup ", qui débarque alors et leur fait offrir une Chevrolet camionnette 58 par une fille riche de ses amies, Flame (Grogan la désigne ainsi sans doute à cause de sa longue chevelure rousse La camionnette sert d’autobus gratuit et prend des passagers dans toute la ville, ceci quand il ne sert pas à la bouffe.

A l’intérieur du Free Exchange Market, il y a un magasin Gratuit, rempli de "denrées libérées" c’est à dire libérées du monde de l’argent et de la " marchandise ", pour reprendre le concept situationniste. Les paumés de passage, ceux que les média appellent sans vergogne la " Love generation ", s’écroulent dans le salon.

Les Quakers proposent alors à Emmett Grogan la somme de dix mille dollars par an pour faire exactement la même chose, mais au profit de leur église. D’autres églises concurrentes accourent avec des propositions tout aussi malhonnêtes. Chaque fois, les Diggers leur suggèrent de commencer en montrant l’exemple eux-mêmes, et de distribuer leur fortune qui est immense, aux déshérités.

Dans le même ordre de racket, un gros trafiquant de LSD offre dix mille sachets d’acides aux Diggers. Ceux-ci les distribuent aussitôt, mais gratis pour casser le coup du dealer, ainsi que les soixante quinze dindons offerts avec, les grandes vedettes de l’underground, les sympas et les débiles, débarquent pour se montrer, Ginsberg, Leary, Alpert. Il arrive qu’ils se fassent virer comme des malpropres.

La maison d’à côté est occupée par un Swa mi qui y a installé un magasin Krishna. Les rapports sont très hostiles. Un jour, le Swami, qui prêche la non-violence, appelle carrément la police à cause du bruit.

Sautant sur le prétexte, la police débarque. Le brigadier-chef amène lui-même des seringues pour être plus sûr de les trouver, là où ça l’arrange. Grogan assomme le flic avant de se faire assommer lui-même à coups de matraque, le Free Exchange Market est réduit en miettes par la police, qui piétine la bouffe , jette de l’eau dessus et badigeonne tous les vêtements avec de la peinture.

Au nouveau procès, ils sont relaxés, le juge ayant eu peur de se ridiculiser devant la presse.

Ils organisent alors le grand Happening humain avec les stars du psychédélisme

Happening Fillmore {JPEG}

et du gauchisme de l’époque : Jerry Rubîn, Leary Gary Snyder, les commerçants HIP, des groupes rock : Quick silver, Jefferson Airplane, Grateful Dead, Janis Joplin & Big Brother and the Holding Company.

Le service d’ordre est assuré par les Hells Angels, les seuls à avoir de l’autorité dans ces sortes de, rassemblements. Au menu : des dindons en sandwich sur lesquels on a jeté une sauce qui n’est autre que du LSD. Grogan est assez contre tout ça, il trouve à juste titre, que cela profite surtout tout aux commerçants et que ça entretient les illusions des paumés, qui croient vivre dans Haigh Hasbury une pauvreté heureuse, alors qu’il ne s’agit de panse-misère.

Une soirée avec des poètes, Snyder, Ginsberg Brautigan, est organisée "au profit des Diggers". C’est gratuit mais les poètes font une quête. Grogan déclare : Le bénéfice des Diggers est ce qui profite à tout le monde. Il convertit aussitôt le résultat de la quête en tournées générales au bar.

Puis c’est la mémorable fête dans l’église Méthodiste de Glide. La presse présente, ne trouve personne pour répondre à ses questions. Tellement ahurie par ce qu’elle voit, elle ne soufflera mot de cet événement.

Les Diggers ne pensent pas qu’à la fête et au plaisir mais aussi à organiser des choses utiles à tous. Des crèches pour les adolescents sont implantées dans la ville, et tout le monde y est accueilli, sauf si on y vient avec des armes ou des seringues.

Mais peu à peu le mythe les dévore. Des milliers de jeunes en mal de société, en plein drame ou en pleine crise, accourent, croyant trouver chez eux la solution de tous leurs problèmes.

L’espoir de vivre autre chose les anime et il est impossible de leur faire entendre raison. La police commence les rafles pour arrêter les mineurs en fugue. Lorsqu’ils retrouvent un de ces pauvres adolescents en danger, ils commencent toujours par le rassurer à coups de matraque pour le protéger sans doute contre les mauvaises pensées.

Le centre de santé du Free Exchange Market est un modèle : les soins sont gratuits, certains médecins vont soigner à domicile, en particulier chez les Noirs et les Chicanos. Il s’agit de jeunes médecins des environs, qui sympathisent avec cette contre-société grignotant la ville de l’intérieur.

Des infirmiers ou des internes détournent des médicaments pour les offrir gratis à ceux qui en ont besoin, le système-Grogan fait des petits.

Des infirmiers ou des internes détournent des médicaments pour les offrir gratis à ceux qui en ont besoin, le système Grogan fait des petits. Il faut "libérer" les produits aliénés dans la société de consommation pour leur donner leur véritable emploi, les sauver de ce monde pourri en les confisquant et leur donner une vraie vie, comme on libère les oiseaux de leur rage.

Malgré cela, le directeur des services de santé de San Francisco prend ça très mal. il envoie inspecteur sur inspecteur vérifier les conditions d’hygiène, encourage les bourgeois du quartier, propriétaires des lieux, à se servir de ce prétexte pour mettre dehors les locataires. Certains d’entre eux ne s’en privent pas : virer des hippies fauchés pour y installer les bourgeois riches qui veulent s’encanailler un brin, est une affaire juteuse.

Il faut dire que le cinéma commence à s’emparer du phénomène et vient tourner sur place des scènes à sensation. Le grand commerce s’empare de ce coin brusquement rentable, et boites de nuit et boutiques "hippies" fleurissent au milieu des offices débitant des " love-flowers".

Diggers et, commerçants HIP ne s’entendent pas du tout. La municipalité ferme le Free Exchange -Market. Ils s’installent alors dans Cole street dans un magasin vitré, possédant un étage intérieur. Mais ce n’est plus pareil.

Tout le monde cherche à les exploiter, à se servir d’eux. Souvent les gens mêmes qu’ils cherchent à aider. Un jour, Grogan repère deux grosses femmes noires qui raflent dans le magasin gratuit tout ce qu’elles peuvent, puis vont le revendre ailleurs Il les engueule. Vous le donnez, alors que ça peut vous foutre, ce qu’on en fait, répliquent-elles.

C’est parallèlement, le début de certaines dissensions entre eux. Les media les utilisent malgré eux. Cela crée des jalousies. Grogan s’en va six semaines respirer un peu.

D’un commun accord, bien que sans être, consultés ils vont tous profiter de l’occasion pour laisser croire aux média qu’Emmett Grogan n’existe pas, que c’est un mythe, un nom collectif utilisé par, eux tous, que chacun d’eux est Grogan. Malgré son départ, ça continue sans lui. A son retour, il reprend le collier.

Un nouveau concert de rock gratuit est organisé dans un parc, avec deux camions-scène dos à dos deux projecteurs géants.

Le Grateful Dead ; Country Joe & the Fish, Janis Joplin et Big Brother & Holding Company viennent jouer sous les lanternes multicolores. C’est un gros succès.

Grogan reçoit des menaces bizarres et repart. C’est à ce moment que se déroule ce qu’on a appelé l’Eté d’Amour (Love Summer), pendant lequel les media s’en donnent à coeur joie. Les concerts organisés par les Diggers qui ne revendiquent jamais rien, sont attribués à d’autres, tout fiers de cette renommée qui ne leur coûte rien.

Grogan est à Londres, où il rencontre Alexandei Trocchi, un ancien situationniste qu’il admire. Il participe à un débat sur la "dialectique de la libération". Il est en compagnie d’intellectuels minables qui se prennent pour des grosses têtes.

Il fait alors un discours vibrant, qu’il a tout simplement copié sur un discours d’Hitler, très démagogue sur la révolution, le socialisme, la vie communautaire etc. C’est une ovation. Il ne lui reste alors plus qu’à révéler la supercherie. La fureur des participants et des spectateurs est à son comble et il se fait virer. Il voyage alors va voir les Provos hollandais de près, visite les Kommune 1 et 2 à Berlin, se glisse dans Mai 68 à Paris, passe à Prague, avant de fréquenter ceux du Black Panther Party.

De retour à Haight-Ashbury, il s’occupe de distribution de repas gratuits à domicile, avec ce slogan d’une grande évidence : C’est gratuit parce que c’est à vous !


Au bout d’une semaine, il a cent noms sur sa liste, et il se retrouve seul à s’en occuper Certains le boudent, d’autres s’approprient les mérites de cette action dans laquelle il reste soigneusement anonyme. Le climat se dégrade, il en a assez, il arrête tout.

Cette désillusion produit l’effet inévitable : il replonge dans la drogue dure. Il ne peut plus assumer son "travail". Ses amis les plus fidèles prennent le relais, mais ça ne marche pas terrible.

Grogan se désintoxique une nouvelle fois.

Il reprend la même idée avec le soutien des Black Panthers et monte des petits-déjeuners pour les enfants Noirs d’Oakland (capitale du BPP). li fournit le lait et les provisions, que les Panthers de la ville distribuent. Epuisé par tout cela, il quitte la Californie en janvier 1970.

Avec lui, le mouvement Digger disparaît, après plus de deux ans de fonctionnement.

Quel parti politique peut se vanter d’une réussite semblable ?

Yves Frémion

The Diggers Archives

Réédition : Emmett Grogan, What a (mytho) man  !

 

paru dans CQFD n°133 (juin 2015), par Mathieu Léonard
mis en ligne le 09/08/2015 - commentaires

JPEG « Emmett Grogan n’existe pas, c’est un canular, terme générique désignant un héros existentiel de notre temps », s’exclament les Diggers, cette bande d’activistes déterminés à transformer le théâtre en art insurrectionnel dans le San Francisco de 1966. Quand le 31 octobre 1966, pour leur première apparition publique, les Diggers bloquent la circulation en distribuant un texte qui critique la récupération de la « révolution psychédélique » par le star system et les marchands, ils risquent des poursuites pour « trouble à l’ordre public ». Pourtant, Emmett Grogan existe bel et bien, c’est même une des personnalités les plus charismatiques de la bande. Cultivant une dégaine de voyou irlandais, casquette en tweed du Donegal et paraboots montantes, il détonne au milieu des hippies perchés qui fleurissent dans le quartier d’Haight Ashbury.

Au geste de la main du « peace and love », il préfère un « V » avec la paume de la main vers l’intérieur, ce qui chez les Britanniques correspond au doigt d’honneur. À lire Ringolevio, le récit romancé de sa vie, que viennent de rééditer les éditions L’échappée, Emmett Grogan a toujours eu l’âme d’un troublemaker. Après une jeunesse dans les bandes de Brooklyn, où il s’essaie très tôt à la drogue et aux cambriolages, il voyage en Europe et fraye, selon ses dires, avec les indépendantistes irlandais.

Dans l’introduction de l’édition américaine du livre, son ancien complice Peter Coyote souligne le désir acharné de Grogan de faire de sa vie un vrai film, quitte à en rajouter un peu  : « Ne croyez pas tout ce que vous lirez, mais ne soyez pas trop prompts à douter non plus. Qu’il ait fait exactement, ou non, tout ce dont il se vante n’a que peu d’importance. Comme Emmett s’en défend dans sa préface, “Ce livre est une histoire vraie”. Mais cela ne signifie pas que tout s’est déroulé ainsi. »

Ce n’est donc pas par souci de véracité historique qu’on (re)lira cette fresque d’une génération. C’est la vitalité du jeu qui anime Ringolevio et fait d’Emmett Grogan une figure magnétique. Il fréquenta autant des membres de gangs portoricains, des managers de rock, des voyous, des stars de ciné, des Black Panthers, des Hell’s Angels, que des activistes des années 1960 prônant une vie « libre et gratuite ».

Grogan bouscule l’indolence hédoniste et le suivisme des consommateurs de contestation en préconisant une philosophie de combat, qui pose les fondations du « Do it yourself »  : « Le but suprême de l’existence n’est pas le repos, mais l’action. Se reposer, c’est mourir  ! Et tout le monde aura droit au repos éternel. Mais aujourd’hui, l’heure est à l’action, car il est urgent que tous voient le monde tel qu’il est […] La société occidentale s’est suicidée. Cette civilisation est un cadavre. La politique n’est pas moins morte que la société qu’elle est chargée de défendre.

Nous ne sommes que les premiers frémissements d’une lutte titanesque, aux implications infinies. » Cramant la vie par toutes ses veines, Emmett n’échappera pas à l’agonie des swinging sixties  : héroïne, guerre du Vietnam, répression.

En 1978, son corps est retrouvé en bout de ligne du métro à Coney Island après une ultime injection de bourrin, ce qui est en soi tout un symbole du crépuscule d’une époque. Reste à re-découvrir et faire découvrir ce livre-culte épatant.

 

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4 mars 2018 7 04 /03 /mars /2018 00:20
un livre de Frédéric Robert consacré à "La Révolution Hippie" est paru en janvier 2011. Je ne l'ai pas lu mais voici un article qui en fait la recension dans la revue catholique "Catholica".

A pro­pos du livre de Fré­de­ric Ro­bert, La ré­vo­lu­tion hip­pie, Presses uni­ver­si­taires de Rennes, jan­vier 2011, 15 €.
Par Marie Raynaud, article publié le 10 juillet 2011

« Les hip­pies ont lais­sé une trace in­dé­lé­bile dans l’his­toire col­lec­tive. Ils ont in­di­rec­te­ment fait évo­luer les mœurs d’une so­cié­té tra­di­tio­na­liste à l’excès. Dans leur sillage d’autres mou­ve­ments se sont dé­ve­lop­pés et en­ga­gés pour dé­fendre des causes plus nobles les unes que les autres », per­pé­tuant la « tra­di­tion contes­ta­taire » : Green­peace, rave par­ties, dé­fen­seurs des droits des ani­maux, etc. L’ou­vrage s’achève sur cette conclu­sion, voyant un mes­sage d’es­poir dans l’en­ga­ge­ment des jeunes en fa­veur d’une évo­lu­tion de la so­cié­té. F. Ro­bert ne traite qu’in­di­rec­te­ment des suites du mou­ve­ment hip­pie, son ou­vrage consti­tuant une in­té­res­sante plon­gée dans l’his­toire d’un mou­ve­ment ré­gu­liè­re­ment remis à l’hon­neur.
Le mou­ve­ment hip­pie trouve ses ori­gines dans les hips­ters noirs des an­nées trente. Il s’agit de jeunes noirs hé­do­nistes, dé­ver­gon­dés, ha­billés de ma­nière voyante et dé­ca­lée afin de pro­vo­quer la so­cié­té blanche fai­sant tout pour les mettre à l’écart. Dans les an­nées 1940, cer­tains blancs, mar­qués par la guerre, se mettent à adop­ter ce com­por­te­ment ; ce sont les « nègres blancs » vi­vant en marge de la so­cié­té, dé­si­reux de pro­fi­ter de chaque ins­tant de l’exis­tence comme s’il s’agis­sait du der­nier, s’adon­nant à un mode de vie dé­bri­dé à l’ex­trême, ex­pé­ri­men­tal, mé­lange d’al­cool, de sexe et de drogue, sou­hai­tant vivre une vie rem­plie, faite d’ex­pé­riences nou­velles « en­ri­chis­santes, di­verses et va­riées leur per­met­tant d’ex­plo­rer des zones in­soup­çon­nées de leur conscience » (p. 36). Ainsi naît le mou­ve­ment « beat­nik » dont se­ront issus les hip­pies connus pour avoir oc­cu­pé mas­si­ve­ment, avec toutes les dé­rives que put en­gen­drer leur com­por­te­ment, le quar­tier de Haight Ash­bu­ry à San Fran­cis­co. [...]
 
 

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MARS 1973 : Mouvement hippy, mouvement révolutionnaire - Yanick Toutain
Le 22 mars 1973 eut lieu la première véritable mobilisation auto-organisée des étudiants, rejoints par les lycéens. Mai 68 en France fut parfaitement inorganisé et manipulé par des leaders magouilleurs : Daniel Cohn-Bendit en est le plus parfait exemple. Mars 73 vit la première application de la revendication trotskyste de soviets démocratiques : ce furent les coordinations. Les délégués étaient élus par section (lettres, sciences etc.) et formaient le comité de grève. Les délégués des comités de grève formaient ensuite la coordination étudiante. Et les délégués étudiants se réunissaient avec les délégués lycéens.
Il y avait déjà des magouilleurs qui refusaient les délégués de section pour obtenir que le choix de délégués se fasse par des AG massives.
Ce mouvement naquit sur deux revendications annoncées : le refus de la suppression des sursis et le refus de l'instauration du DEUG sur le modèle des IUT.
Mais la masse des étudiants n'était pas dupe : il s'agissait pour la bourgeoisie de mettre au pas cette jeunesse qui rêvait de se débarrasser du capitalisme, qui rêvait d'aider les combattants vietnamiens en renversant la barbarie impérialiste. Et la jeunesse elle même ne prenait pas la revendication du retrait des reformes comme d'un prétexte pour obtenir une part plus grande du pillage colonial.
A cette époque, Hippies, beatniks et révolutionnaires (que les staliniens appelaient "gauchistes") étaient d'accord sur le refus de ce capitalisme avilissant, barbare et sur le refus de ses valeurs de fric, d'arrivisme et d'égoïsme.
Les uns voulaient tout, tout de suite : reconstruire un autre monde, à la campagne, en Indes ou dans les vapeurs des fumées toxicologiques.
Les autres voulaient renverser les Bourses et en finir avec les gangsters assassins de l'Indochine et du Vietnam. Mais il serait tout aussi absurde d'imaginer qu'il existait un mouvement hippy et à côté un mouvement révolutionnaire : que ce soit en France ou en Allemagne ou dans beaucoup de pays, ces deux orientations étaient totalement poreuses. Un militant sectaire partisan de l'embauche ouvrière immédiate, perroquet rabâchant les citations du président Mao, pouvait, un mois plus tard, craquer complètement et devenir, à toute vitesse, un fumeur de cônes acharné et un partisan du retour aux valeurs campagnardes. : on vit même un dirigeant trotskyste réclamer sérieusement - dans un bulletin intérieur de la Ligue - la mise en place d'une guérilla dans le Massif Central.
Le fait que l'on assiste, depuis le CPE, à l'apparition d'une nouvelle génération revendiquant par sa tenue vestimentaire son lien avec les années 70 est un signe de toute autre valeur.
Cette revendication - qui va aller de pair avec l'apparition massive de groupes de protest-songs - est un signe fondamental de l'apparition d'une vague révolutionnaire sans précédent.
(...)
Un Tiken Jah Fakoly, s'il ne s'inscrit pas dans le style West Coast de Crosby Stills Nash and Young, est un signe tout aussi fort du même phénomène : le combat contre le capitalisme suscite l'émergence d'un art rebelle, d'un art sincère.
Le fait que Tiken ait dédié son album "Africain" à François-Xavier Verschave est un signe fort de l'approche de la révolution : elle indique la proximité de l'évacuation des troupes fascistes hors d'Afrique.

Pour autant, les apologistes de la fume, tels ceux de Tryo, sont eux la caricature des années 70. Quand la CIA a décidé de pourrir le mouvement anti-Vietnam en faisant ses distributions de drogues à la jeunesse américaine, quand Alexandre de Marenches (chef des services secrets en France) préconisait de pareilles distributions aux soldats russes d'Afghanistan, la technique est la même.

Quand Manu Chao, dans ses chansons et dans ses clips fait l'apologie "subtile" de la consommation de drogue, il est dans son rôle : il favorise la persistance de la bourgeoisie innovoise et de son train de vie élevée. (Qu'il exige que ses musiciens arrête de fumer devant les caméras et qu'il se désinscrive de la SACEM en écrivant des chansons FAJEAE)
Les véritables révolutionnaires sont anti-drogues, les véritables révolutionnaires excluent de leurs rangs les consommateurs de drogue (sans parler des misérables commerçants qui vivent de la misère en la répandant).
 
La LCR excluait autrefois les malheureux drogués : elle est devenue réformiste et laxiste. Sa "tolérance" est un refus de la révolution.
Les véritables révolutionnaires ne sont pas dupes de ce que la bourgeoisie a fait dans les années 60 : distribuer la drogue pour empêcher la révolution.
Les analogies de surface rendent incompréhensible ce qui s'est réellement passé : Le festival de Woodstock festival anticolonialiste, anti-Vietnam, fut pourri par la drogue... et cette drogue fut fabriquée dans les laboratoires de la CIA et des agences criminelles de l'impérialisme américain.
La drogue servi au capitalisme à endormir sa propre jeunesse.
Et seul un imbécile croira que John Lennon avait besoin de fumer du shit pour pouvoir composer ou qu'il soit nécessaire d'utiliser des acides pour écrire Lucy In The Sky with diamonds.
YANICK TOUTAIN (09/11/07)
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Retour au Moyen-Age

Message  hipnik le Sam 27 Aoû 2011 - 10:29

 
La vision du Parti Communiste Marxiste Léniniste Maoïste (PCMLM) en 2009 (oui) sur ce qu'a été le mouvement hippie. Au début, j'ai cru que c'était un canular, une parodie ironique :

Woodstock 1969, une forme de contestation dépassée à notre époque, l’époque de la révolution
Il y a 40 ans, le 18 août 1969, s’achevait le festival de Woodstock sur un dernier concert de Jimi Hendrix.
Ces derniers jours, les médias bourgeois ont beaucoup parlé de l’évènement, symbole du mouvement hippie. En 2009, la bourgeoisie en 2009 insiste en particulier sur l’ « esprit » de l’époque, l’ « insouciance » et la « libération des moeurs ».

Mais nous, communistes, ne vivons pas dans la nostalgie et refusons de surfer sur la vague réactionnaire du « bon vieux temps ». Les révolutionnaires ne refusent pas le monde d’aujourd’hui, ils l’affrontent pour le transformer radicalement, dans le sens du communisme.
Le mouvement hippie, lui, construisait des communautés, et non le communisme. Le mouvement hippie comportait une forme de contestation, mais pas la révolution en elle-même à laquelle n’échappe aucune parcelle de la société. La fraternité, le partage, le respect de la nature, la destruction du patriarcat et du vieux monde perclus d’idées réactionnaires, prônés fort justement par les hippies, ne peuvent se concrétiser que dans le communisme.

Les hippies ne faisaient que s’échapper de la société pour créer un idéal « à part ». Finalement, c’était l’addition de « bonnes volontés » individuelles qui créaient les communautés. Et ces bonnes volontés finissaient par s’écrouler très rapidement car le mouvement hippie ne partait pas d’une base populaire et n’était pas ancré dans les masses, au contraire même, il faisait tout pour s’en détacher et inventer de toute pièces un mode de vie alternatif.

Une telle illusion anti-matérialiste ne peut conduire qu’à la capitulation contre-révolutionnaire et la réaction sur toute la ligne au final. Aujourd’hui, à l’instar du Comité Invisible, les petits-bourgeois qui s’imaginent se retirer à la campagne pour bâtir un style de vie en rupture avec le capitalisme, suivent une logique de renonciation faite de l’accumulation de désirs individualistes, dans la lignée du mouvement idéaliste hippie.

D’ailleurs, l’usage massif de drogues chez les hippies témoigne aussi de la volonté de s’échapper du monde, en somme « de ne pas être là où on est ».
Les révolutionnaires, quant à eux, sont dans la réalité de leur époque, ils sont « dans le peuple comme des poissons dans l’eau », car ce sont les masses qui créent l’histoire, on ne change pas le monde à l’extérieur du peuple, comme le pensaient les hippies.

Les communistes veulent la fin du patriarcat et du saccage de la nature, la paix et la fraternité entre les humains, mais pour cela, une lutte à mort doit s’engager contre l’horreur capitaliste, impérialiste et sa progéniture dégénérée : le fascisme. Cette lutte à mort, c’est la guerre populaire, puis la dictature du prolétariat inflexibles envers les exploiteurs du peuple!
L’addition de bonnes volontés est une construction bancale, inutile, s’effondrant au moindre souffle de répression bourgeoise. Le Parti marxiste-léniniste-maoïste, au contraire, est la référence idéologique, forgée dans le matérialisme et la lutte de classes, de notre époque, celle de la révolution. En France, seul le PCMLM est capable de transformer l’aspiration collective des masses au communisme en une force révolutionnaire indestructible.
La bourgeoisie instrumentalise aujourd’hui la nostalgie des années 60-70 pour désarmer la révolution qu’elle voit venir inéluctablement, mais le prolétariat révolutionnaire disloquera de ses propres mains le vieux monde de l’oppression capitaliste pour élever le communisme!
Source :
http://www.contre-informations.fr/?p=1739
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25 février 2018 7 25 /02 /février /2018 00:20

15 août 1969 : Woodstock, rassemblement symbolique des années hippies, plus grand festival de l’histoire de la musique
jeudi 3 mars 2011.
Source :
http://www.lemonde.fr/

Le 15 août 1969, 450 000 personnes sont réunies pour le festival le plus marquant de l’histoire de la musique. Quarante plus tard, Woodstock est toujours aussi présent dans l’imaginaire collectif : il symbolise le mouvement hippie dans son entier, l’engagement de la jeunesse américaine et ses valeurs pacifistes. Dans un entretien croisé, Pierre Delannoy, auteur de L’Aventure hippie (Poche, 10/18), et Jean-Yves Reuzeau, auteur de biographies de Janis Joplin, des Rolling Stones et de Jim Morrison, qui a travaillé une dizaine d’années pour de grands labels, reviennent sur l’influence du mouvement hippie et celle de Woodstock.

Woodstock symbolise la contre-culture hippie. Pourtant le festival a lieu à un moment où le mouvement hippie commençait déjà à décliner ?

Pierre Delannoy : Woodstock, c’est le début de la fin : la récupération et la marchandisation de l’idéologie hippie. Les organisateurs du festival [Michael Lang et Artie Kornfeld] veulent profiter de la popularité de la contre-culture hippie pour faire un "bon coup", sur la côte Est des Etats-Unis.

On est loin de San Francisco, berceau de la culture hippie, mais surtout loin des idéaux des premiers festivals hippies. Le festival est d’abord un fiasco financier. L’idée de ne pas payer fait partie de cette contre-culture. Face à près de 500 000 personnes, les organisateurs n’ont pas d’autre choix que de le rendre gratuit.

Cependant, ils ont réussi a créer l’évènement et à s’assurer une importante médiatisation. Michael Wadleigh (le réalisateur du documentaire Woodstock, 1970) a eu la bonne idée de tout filmer. Il fait découvrir au monde ce "sommet de la contre-culture hippie". Woodstock devient un symbole, mais surtout une marque qui rapporte beaucoup d’argent par la suite.

Jean-Yves Reuzeau : Dans les premières heures du mouvement, la production musicale est complètement libre et spontanée, c’est d’ailleurs pourquoi elle est si riche. A mesure que le mouvement grandit, les maisons de disques commencent à s’intéresser aux musiciens qui émergent de la culture hippie.

A Woodstock, la tendance s’est déjà affirmée : les grandes majors sont présentes sur le festival. A partir des années 1970, les maisons de disques gagnent en puissance. La musique devient un business comme un autre. Il faut générer du profit : sortir des hits et accumuler les disques de platine. On ne demande plus aux artistes d’innover, mais on les guide vers le grand public. On les pousse à produire ce qui se vend.

Quelles étaient en 1969 les "revendications" du mouvement hippie ?

Pierre Delannoy : Il faut bien comprendre que les hippies ne sont pas les "babas cool", les doux rêveurs, qui ne pensent qu’à fumer de l’herbe et à courir tout nus, qu’on voit au cinéma. Au contraire, le mouvement hippie est très politisé. Ils ont tous l’âge d’aller se battre au Vietnam.

C’est un jeunesse éprise de liberté qui s’engage contre la guerre. Ce serait réducteur de ne parler que de révolution des mœurs et de révolution sexuelle. Le mouvement hippie porte en lui une véritable révolution politique. C’est toute la société qu’ils veulent changer : de l’organisation du travail à celle de la famille et des rapports humains. Ils militent pour une société plus juste, plus égalitaire et vont même jusqu’à poser les bases de l’écologie.

Jean-Yves Reuzeau : Le morceau Five To One (1968), des Doors résume un sentiment alors largement partagé : C’est "nous", la jeunesse, contre "eux", les forces réactionnaires. Le contexte de l’époque est très tendu (les Etats-Unis sont en guerre au Vietnam et les manifestations afro-américaines pour des droits civiques sont très violentes). Les hippies rejettent la société de leurs parents pour réinventer la leur.

Comment expliquer que l’idéologie hippie soit aujourd’hui encore si présente dans l’imaginaire collectif ?

Pierre Delannoy : Le mouvement hippie marque une rupture. Les années 1960, c’est l’avènement de la jeunesse. Ce n’est plus l’appartenance à une classe sociale qui compte, mais la classe d’âge et la volonté de changer la société. Le mouvement hippie naît au milieu des Trente Glorieuses. Les hippies sont les enfants du baby-boom, de l’explosion de la classe moyenne et des débuts la société de consommation. Ils grandissent dans un monde qui change, mais au sein d’une société qui reste complètement coincée, conservatrice. Le mouvement hippie naît de cette rupture entre une société figée et une partie de la jeunesse qui aspire à vivre autrement. Pendant les années 1960, les hippies fondent des communautés, vivent une nouvelle expérience sociale et bousculent leurs propres barrières.

Jean-Yves Reuzeau : C’est une révolution pour l’histoire de la musique. Les musiciens de l’époque éclatent le rock’n roll, le blues, la folk, pour créer de nouveaux genre musicaux. Les sons sont uniques, on n’a jamais entendu ça avant. En juin 1967, le Festival international de musique pop de Monterey est le premier vrai festival de rock. Une partie des grandes stars de l’époque se produisent gratuitement devant des dizaines de milliers de hippies rassemblés pour le début de ce qu’on appellera le "Summer of Love", à San Francisco. Les musiciens sont décomplexés. A l’époque, on expérimente. On cherche l’éveil des consciences, on essaye de voire de "l’autre côté", notamment par la consommation de drogues. La musique multiplie les influences et s’ouvre sur d’autres mondes.

Après le mouvement hippie, comment va s’exprimer la génération suivante ?

Pierre Delannoy : Le mouvement est rattrapé par la réalité. D’abord, il est peu à peu récupéré et vidé de sa substance. Ensuite, le choc pétrolier de 1973 réduit les marges de la société. Les communauté hippies virent à l’affect. On observe des dérives sectaires ou, plus simplement, le contexte économique rend plus difficile à accepter ce mode de vie fondé sur le partage du travail et les relations libres. Enfin, des drogues douces, les hippies passent aux drogues dures : le paradis artificiel qu’ils s’étaient créé devient un enfer. Les hippies sont les derniers porteurs de la grande illusion. La génération suivante est celle de la crise : les punks revendiquent le désespoir.

Jean-Yves Reuzeau : A partir des années 1970, les maisons de disques deviennent puissantes. Ce sont elles qui font les tubes, peu importe que l’album soit mauvais s’il se vend. Le mouvement punk naît en réaction à l’uniformisation de la musique. Ses valeurs sont complètement différentes de celle des hippies, mais on retrouve ce même fond contestataire. Là encore, c’est une contre-culture qui exprime un sentiment fort de révolte, comme plus récemment avec le hip-hop. Aujourd’hui avec l’éclatement du Net, on retrouve une certaine liberté. Les maisons de disques prennent moins de risques et perdent de leur influence sur le marché. On peut espérer quelque chose de ce nouveau regain de liberté.
 

Ce que nous ont apporté les Hippies

Cheveux longs, chemises à fleurs, consommateurs de drogues, peu enclins au travail et cultivant la cool attitude : voilà le cliché plus ou moins facile qui se présente à nous à l’évocation du mot hippie. La liberté sexuelle et le rejet de la société de consommation seraient les principaux leitmotivs d’une jeunesse alors tourmentée et d’une poignée d’illuminés ; par la transgression de la loi, ils auraient entretenu, dans une naïveté anarchiste, une vaste utopie... Pourtant, bien plus qu’une liberté sexuelle ou qu’une critique du capitalisme, c’est une déferlante humaniste qui à brisé les barrières et insufflé une énergie porteuse d’un nouveau savoir. Mais qui étaient ces hippies et quel héritage nous ont-ils laissé?


Le mouvement hippie fait son apparition dans les années 60 à San Francisco. Les USA sont alors à leur apogée quand ils assistent à l’émergence d’une nouvelle conscience. La jeune génération ne trouve plus sa place dans les carcans moraux imposés par une société américaine traditionaliste et puritaine. Ces militants contre la folie de la boucherie militaire et civile — la guerre du Vietnam ébranle incontestablement les esprits—, remettent en cause le modèle économique et social ; ainsi s’engagent-ils dans de nombreuses luttes contre les inégalités (féminisme, homosexualité, droits des Noirs etc.)... Le pays connaît un changement radical alors qu’il mène des croisades pour imposer, de façon paternaliste, ses conceptions politique et économique, il voit sa jeunesse rebelle bouleverser l’ordre et la loi établis. Aucune légitimité de l’Establishment n’est reconnue ni authentifiée.


A l'assaut d'un âge nouveau


Véritable révolution du désir, le mouvement hippie prône des idées de non-violence, d’écologie, de retour à la nature, de partage. De philosophie hédoniste, les Hippies partent à l’assaut d’un âge nouveau : ils s’enrichissent de cultures orientales et cherchent à explorer les profondeurs abyssales de leur inconscient par l’expérimentation de drogues douces et dures, dont le LSD.

Certains embrassent le Bouddhisme, l’Hindouisme ou encore la religion américaine indigène et s’écartent définitivement des valeurs traditionnelles bourgeoises. Pourtant élevés dans l’abondance, ces enfants du baby-boom marqueront leur époque par leurs idées contestataires ; ils participeront à un développement massif de l’information n’ayant pas encore accès au pouvoir, ils se servent des domaines artistiques pour diffuser leurs peurs, leurs révoltes, leurs idées, leurs conceptions du monde ; c’est la contre-culture.

La musique rock et psychédélique déferle sur le monde entier. Les concerts remplacent les messes, avec une nouvelle mise en scène de l’iconographie. Les Beatniks devenus Hippies font triompher le non-conformisme (par exemple, l’art voit naître le dadaïsme, celui-ci s’étayant sur un mouvement de révolte datant de 1916). Ils trouvent refuge dans une marginalité qui n’est qu’apparente puisqu’ils inventent un monde nouveau.

Il semble compréhensible alors que la révolte hippie ait servi de modèle pour le reste du monde car c’est tout un mode de pensée qui se déploie. Et avec lui, une énergie et une créativité nouvelles. Dans tous les pays occidentaux, la jeunesse est dans la rue et proteste. Malgré peu de structures — leur style de vie est nomade ou communautaire — ces enfants-fleurs sèment les graines d’une culture novatrice ; celle-ci, bien qu’excluant tout engagement politique, vise le libre accès à la connaissance pour tous.

Quelques quarante ans plus tard, c’est ce que proposent la cyber culture et Internet (leur savoir se retrouve chez les pionniers de l’informatique), en se mettant au service du plus grand nombre...


Mettre la vie en terme de sens


Prophètes de la jouissance sans entraves dont le corps récolte les effets, les Hippies font décliner l’ordre et toutes les limites. Ils cherchent et briguent à leur façon le Nirvana, jouant avec les pulsions de mort et frôlant l’anéantissement par le plaisir. La sexualité éclabousse la morale judéo-chrétienne et ses tabous. Et pourtant, les jeunes, à l’image du Christ, tendent l’autre joue face aux agressions des policiers.

L’heure est aux nude-in. aux love-in,à Woodstock. sans honte du corps. Totalement pacifistes et férus de spiritualité, la drogue, qui a toujours occupé un thème central dans leur quête mystique, les plonge au coeur de perceptions inconnues. Lucides, ils le furent pourtant en quelque sorte, en « perçant à jour le néant d’une société », pour paraphraser Paul Ricoeur.

Et plus encore, pour oser s’affronter à des interrogations existentielles. Car tout le mouvement hippie a eu à coeur de confronter l’individu à lui-même, avec la volonté de développer non pas l’outil mais l’être humain et de mettre la vie en terme de sens. Plutôt que de vouloir changer la société, les Flower Power proposent des valeurs fondées sur la paix. Avec le partage de l’information et la fin de la propriété, c’est une modification totale d’une manière de pensée qui s’impose. Le qualitatif prime sur le quantitatif. L’autogestion libère et responsabilise.


L’écologie participe à mettre la vie en actes et à l’inscrire dans un avenir. Enfin, toutes les différences sont intégrées, qu’elles soient raciales, sexuelles, civiques...


Bien évidemment, une société fondée sur l’utopie ne pouvait aboutir dans son intégralité. La loi est la condition sine qua non pour que des libertés émergent, tout autant que le désir naît de la frustration, comme le disait Lacan...

L’idéal communautaire finit par s’étioler mais les moyens d’expression de la contre-culture intéressèrent vivement les industries. Les traces de cette révolte insolente sont encore visibles et le message anti-élitiste, symbole de ces années-là, n’est pas totalement oublié... Ce que nos ados tentent de nous démontrer...
 

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