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13 octobre 2018 6 13 /10 /octobre /2018 23:20

 

Les militants gauchistes des années 70 étaient, pour la plupart, il faut bien le dire, très sérieux et dogmatiques, et leurs discours plombés d'idéologie marxiste tirée tout droit du XIXème siècle, ont souvent été un frein.

Ils étaient finalement assez conservateurs et puritains et n'avaient pas bien compris le vent nouveau qui soufflait sur la jeunesse en ces années-là. Leur seul but était de "faire la révolution" pour mettre en place une "dictature du prolétariat", dont on peut facilement imaginer à quoi elle aurait ressemblé s'ils avaient réussi ! Beaucoup d'entre eux avaient les cheveux courts (cf. le look Krivine de l'époque), pour pouvoir se mélanger aux ouvriers et répandre la bonne parole, écoutaient du classique plutôt que du rock, "musique décadente américaine", et ne fumaient pas de joints ("c'est pas bon pour la révolution, camarade"). (voir mon Mai 68).

Un reportage audio sur Mai 68 réalisé en 2006 par Marie Kergoët, étudiante en journalisme, avec Bernard Bacos, Jean-Pierre Le Goff, Martine Storti

TIGRE EN PAPIER

La lecture de "Tigre en Papier" d'Olivier Rolin m'a confirmé beaucoup de choses que je pressentais à propos des mouvements gauchistes des années 70 : c'étaient de véritables sectes. Rolin nous raconte celui dont il faisait partie, le groupe maoïste de la "Gauche Prolétarienne", mais les mêmes caractéristiques se retrouvaient chez les autres mouvements, trotskystes par exemple.

Au fil des pages, on découvre que les militants se surveillaient les uns les autres et dès que l'un d'entre eux faisait un petit écart par rapport à la ligne dictée par le "Grand Timonier" (Mao), il devenait immédiatement "suspect de déviationisme contre-révolutionnaire ou petit bourgeois". Un des exemples les plus hallucinants est le passage où Treize, le copain de Martin (Olivier Rolin) se permet une petite escapade amoureuse au bord de la mer, même pas sur la Côte d'Azur, mais en baie de Somme, avec l'avocate du groupe dont ils étaient tous plus ou moins secrètement amoureux.

Quand les camarades apprennent ça, les fautifs sont convoqués dare-dare à Paris, où ils ont droit à un procès politique dans la plus pure tradition stalinienne, et ils doivent faire leur "autocritique", le verdict leur imposant la séparation ! D'ailleurs, la plupart des militants gauchistes était terrorisée par le sexe et détestait la beauté, qu'ils considéraient comme "satanique" :" Cette méfiance vis-à-vis de la beauté, prélude à la haine de la beauté, était une espèce de lèpre morale dont nos esprits étaient infestés (...). Peut-être tout simplement parce qu'elle résiste, la beauté, à cette terrible volonté de nivellement que nous avions (...). Et la beauté de l'art, n'en parlons pas. Nous la détestions sans la connaître (...). Un militant ne pouvait avoir pour amie une fille sur qui les autres se retournaient. (p. 56). Quant aux vacances, ce n'était même pas la peine d'en parler, ce n'était qu'une tradition "petite bourgeoise" qu'il fallait éviter à tout prix !

Les sentiments dominants chez les militants étaient la mauvaise conscience, la culpabilité et la haine de soi, "un machin hérité du pire christianisme de mortification", dit Rolin. "Il fallait être en guerre contre le plus intime de soi" (p. 84)

C'était aussi le règne du mensonge, de la mauvaise foi et du terrorisme intellectuel : "L'idéologie, c'est la passion du faux témoignage" (p. 138). "C'est sans doute parce qu'on sentait qu'il y avait au fond de nous quelque chose comme un mensonge qu'on a été si déplorablement obsédés par la faute, des maniaques de la culpabilité. Et c'est aussi pour ça que l'instrument de notre punition a été l'ironie: on voulait trop avoir des destins, eh bien, on a eu des destins de Pieds Nickelés. La tragédie se répète en comédie, et à trop vouloir du drame on écope d'une farce. C'est l'ironie du sort" (p. 173) "

On entretenait le culte des prolétaires, qui avaient forcément raison, on se "purifiait de son éducation bourgeoise" à leur contact, même si on se posait quand même parfois quelques questions quand ils organisaient des "chasses au pédé" pour se défouler, faute de fachos.

Quand on lit tout cela, on ne peut que se dire :  "heureusement qu'ils n'ont pas pris le pouvoir !", car on imagine toutes les horreurs et les camps de rééducation dans le Larzac auxquels on aurait eu droit ! Mais le risque était faible, Rolin reconnaît que lui et ses camarades avaient le goût de l'échec, qu'ils avaient conscience d'être "du côté de ceux qui perdent", comme les héros qu'ils vénéraient, Che Guevara ou Rosa Luxemburg. "Faire la révolution, ce n'était pas tellement préparer la prise du pouvoir, c'était plutôt apprendre à mourir" (p. 13). "Ce qui t'exaltait aussi, penses-tu à présent, c'était la certitude inavouée de combattre pour une cause déjà perdue" (p. 28)

Trente ans après certains des membres de son groupe sont morts, tandis que d'autres sont devenus des "notables roses" friands d'honneurs officiels, et Gédéon, leur "Grand Leader", est rabbin dans une ville de province.

Voila pour la partie réquisitoire qu'Olivier Rolin tire de ses années militantes. Maintenant les aspects positifs car il ne renie pas tout : il parle vrai, sans complaisance, il apparaît éminemment sympathique à travers son bouquin, très touchant car sincère et modeste, et il fait preuve de recul et d'humour.

Le rythme est rapide, saccadé, assez rock'n'roll, il écrit comme il parle (à la fille de Treize, son copain, disparu depuis), il part dans des digressions, perd le fil puis le reprend. Il ne ménage pas ses critiques, il dit à plusieurs reprises qu'ils ont été cons de croire à toutes ces balivernes, mais en même temps il parle de cette époque et de ses personnages sans nostalgie mais avec une certaine affection et tendresse.

Il évoque la dimension héroïque du militantisme gauchiste, tous ces types qui rêvaient d'un grand destin comme celui des résistants sous l'occupation (le père de Rolin l'a été, puis il a été tué pendant la guerre d'Indochine, et une bonne partie du livre raconte l'émouvant parcours que son fils entreprend des années après sur ses traces au Vietnam), ou des grands révolutionnaires.

Il met en avant aussi l'internationalisme qu'il décrit comme une belle idée, ce qu'il est en effet. Dommage cependant que cet internationalisme ait été si haineux et dirigé contre toute une partie de la population, les "ennemis de classe".

Sur le même thème, lire aussi "Maos" de Morgan Sportès : "1975, les anciens maos commencent à se ranger des voitures, ils enterrent leurs idéaux et leurs cocktails Molotov, découvrent le plaisir, l'argent, le pouvoir: les chiens hurlants du marxisme-léninisme deviennent les chiens couchés du nouveau capitalisme - ou ses caniches de garde. Jérôme est de ceux-là : il a naguère posé des bombes, participé à des enlèvements, crié " vive la révolution culturelle prolétarienne chinoise ". Aujourd'hui il a un bon emploi dans l'édition, une fiancée cadre dynamique, un cabriolet, un appartement et il veut des enfants. Etre comme tout le monde enfin. N'être plus un héros: jouir! Mais son passé le rattrape. D'anciens camarades, purs et durs, veulent le réintégrer dans leur bande. Un certain " Obélix " lui remet un revolver enveloppé dans du papier kraft... Ainsi commence ce roman haletant. Jérôme s'affole. Mais qui sont ces ex-camarades qui le persécutent ? Sont-ils manipulés ? Par qui ? N'auraient-ils été tous, depuis toujours, que des marionnettes programmées par une main invisible ? Au fil de ce roman, construit comme un thriller détourné, nous sont révélées les coulisses de ces années de plomb: magouilles des services secrets, polices parallèles, terrorisme, provocations, ententes apparemment contre nature - Mao, Nixon, Brejnev. Les individus se métamorphosent en pantins d'un théâtre d'ombres."

Un autre témoignage édifiant, à propos de la destruction organisée du système éducatif français par les gauchistes, voici le bel aveu que fait l'ex-maoïste Claire Brière-Blanchet dans ses mémoires, "Voyage au bout de la révolution, de Pékin à Sochaux" :


Les maos ont perdu. Ils n'ont jamais fait la révolution ni conquis le pouvoir. Ils s'en félicitent aujourd'hui. Ils auraient été des totalitaires criminels. Mais les maos ont gagné. Dans l'un des chapitres les plus percutants du livre, Claire Brière-Blanchet nous rappelle la haine portée par ces « intellectuels » à l'enseignement de la culture «de classe», des «mandarins», de l'école «du capital», de la littérature «bourgeoise». Ils poussaient les jeunes à brûler les écoles. A contester le «savoir bourgeois». A refuser la domination des «héritiers». Et l'ancienne prof d'histoire, désolée de conclure en regardant le chemin parcouru par l'école depuis quarante ans : «Nous voulions détruire la culture européenne au nom d'une mythique culture populaire! Et je crois hélas que nous avons passablement réussi!»"

A la même époque, les hippies pratiquaient aussi l'internationalisme et la fraternité, mais sous une forme non-violente. Moi, j'étais plutôt de ce côté-là, "peace and love, flower power, make love not war, tune in, turn on, drop out". Le militantisme gauchiste ne m'a jamais tenté et quand je lis ces lignes je comprends d'autant mieux pourquoi.

Finalement, nous avions quelques points communs avec les gauchistes, le goût de l'aventure et de l'héroïsme, même s'il ne s'exprimait pas de la même façon, chez nous c'était à travers la route, la liberté sexuelle, le voyage intérieur avec les drogues, et toutes sortes d'expériences pour "réinventer la vie", même si elles étaient souvent foireuses et naïves.

Nous n'étions pas des blasés, pas des cyniques, pas des "on ne me la fait pas", mais plutôt des idéalistes, des utopiques, toutes ces choses qui se sont perdues aujourd'hui où règnent le second degré, le cynisme et le désabusement.

Pour ceux qui s'étonneraient de voir certains anciens militants devenus aujourd'hui des patrons de pub et des média, je rappelerai que le BA-BA de toute formation gauchiste était d'apprendre à infiltrer et manipuler les masses, et contrôler l'information, comme on peut souvent encore le constater.

Beaucoup de soixante-huitards se retrouvent en train de faire le grand écart en essayant de concilier ce qui leur reste de leurs dogmes avec les réalités actuelles. Et ils ont gardé cette rigidité idéologique et hyper-rationaliste de leurs années de militantisme, avec ce côté "tout est politique" que j'ai toujours trouvé exaspérant. (voir mon message sur Technikart.com et la discussion qui a suivi)

Néanmoins, certains étaient plus sympa et plus ouverts que d'autres, et leur énergie a bien contribué à faire bouger les choses. Parmi ceux-là :

Maurice NAJMAN avec son frère Charlie et l'A.M.R., le seul groupuscule politique qui tenait ses réunions à la Coupole !

LIBE : Serge JULY - Gilles MILLET - Patrick PIET - Jean-Paul GENE - Frédéric JOIGNOT (Frédo) alias RAKHAM LE ROUGE - Alain PACADIS - BAYON - Jean-Luc HENNIG - BAZOOKA -


En 73, j'étais au Pop Club de José Artur quand Maurice Clavel, le gauchiste chrétien, est venu annoncer la naissance du quotidien "Libération". La première époque fut assez militante, dans le ton de la presse gauchiste : occupations d'usines, etc.. Puis, vers 1976/77, avec l'influence du Punk, le ton changea et devint plus ouvert : les articles sulfureux et provocateurs de Pacadis ou du commando graphiste Bazooka

Les ALTERNATIFS, d'inspiration libertaire, qui ont monté des initiatives en dehors de tout dogmatisme : par exemple le squat de la rue des Caves à Sèvres. Sous leur forme plus violente, ils se sont appelés aussi les AUTONOMES, qui foutaient le bordel dans les manifs CGT.

La librairie PARALLELES, rue des Halles, depuis 1973, qui est devenue le lieu de référence pour toute la culture Underground et militante.

LES FEMINISTES : Antoinette FOUQUE , qui fonda le M.L.F., le groupe 'Psychanalyse et Politique' puis les Editions Des Femmes, rue de Seine, avec Delphine SEYRIG et Carole ROSSOPOULOS, pionnière de la vidéo militante. En 93, Antoinette Fouque a été élue députée européenne sur la liste de Tapie ! Et à la place de la librairie "Des Femmes", qui a déménagé rue Jacob, il y a un magasin Natalys ! De quoi faire avaler son macramé à une bonne féministe !

L'ENTREPOT, rue Francis de Pressencé dans le 14ème. Cet espace, ouvert par Frédéric Mitterand après l'Olympic, était composé de salles de cinéma et d'un restau, tenu par Leni, qui est vite devenu le rendez-vous des féministes.

La bande de Charlie ASSOULINE et DOM, rue d'Hauteville, avec le célèbre BIBERON.

Un des hauts lieux de la culture gauchiste fut la librairie Maspéro, rue St Séverin, où on pouvait trouver les oeuvres complètes des maîtres à penser de l'époque, Trotsky, Mao, etc.. La librairie dut fermer ses portes, en grande partie à cause de la fauche quasi institutionnelle. (mais ce n'était que l'application à la lettre de la célèbre formule "la propriété c'est le vol" !

VIVE LA FETE ! Vers les années 73-74, conscients que leur austérité et leur puritanisme n'étaient pas en phase avec les aspirations de la jeunesse, les diverses organisations gauchistes se mirent à organiser des "fêtes". Parmi elles, je mentionnerais celles de Lutte Ouvrière et de "Rouge".

Je me souviens avoir été à l'une de ces dernières avec François et Dorian, à la Porte de la Villette, pour voir notre groupe préféré Dr Feelgood, qui s'est envoyé 1 gramme de coke à 4 avant de monter sur scène ! Dorian, complètement bourré, s'est fait remarquer en provoquant les gauchistes présents et en les menaçant avec sa ceinture ! Heureusement qu'ils sont restés cools et que tout s'est terminé dans le calme.

Pour en savoir plus sur l'histoire du mouvement gauchiste, lire les deux tomes de Hervé Hamon et Patrick Rotman , Génération, Les années de rêve et Les années de poudre
Gourgas, une communauté gauchiste

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