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2 janvier 2021 6 02 /01 /janvier /2021 01:45

Hergé, le père de Tintin se raconte

Hors série des Cahiers de la BD, Paris : 2020. 

 S’il y a un créateur qui a conçu un personnage qui ne lui ressemblait vraiment pas, c’est bien Hergé. Tintin, c’est non seulement une version supérieure de lui-même, mais aussi une projection fantasmée et idéalisée : « Tintin est certainement né de mon désir inconscient d’être parfait, d’être un héros », disait le créateur.

Heureusement pour nous les enfants de 7 à 77 ans, celui qui fut sa vie durant un être dépressif, bourré de contradictions, a créé un personnage lisse, plein d’allant, sans réels problèmes, avec un visage qui n’en était pas un (son visage est un masque disait Hergé), sans aucune appétence pour l’alcool, sans sexualité alors que celle de son créateur dut enchanter les psys qu’il consulta.

Les relations d’Hergé avec les femmes furent placées – nous rappellent les auteurs de cet ouvrage – sous le double signe de l’infantilisme, l’impossibilité de comprendre son rapport profond à sa mère, et du mythe de la petite fille. Et nous devons toujours garder en mémoire que le père d’Hergé était le fruit d’une union illégitime entre une servante et un comte chez les parents duquel travaillait la domestique. Certains évoquèrent même un géniteur dans la famille royale.

Contrairement à Tintin sans cesse en mouvement, Hergé ne quitta guère Bruxelles, ce qui ne l’empêcha pas d’imaginer et de recréer le monde comme peu de dessinateurs surent le faire. Un peu comme Blaise Cendrars qui affirmait que l’important n’était pas qu’il se fût rendu dans les pays de ses reportages mais que nous ayons cru, en le lisant, qu’il y était allé…

Après son service militaire en 1927, son retour à Bruxelles fut marqué par sa rencontre avec l’abbé Wallez, son père d’adoption, la « rencontre de sa vie », selon ses dires. Un curé nationaliste, catholique, conservateur, réactionnaire et qui adhéra au nazisme en 1940. Il rencontra le Duce et l’admira éperdument. Il fut l’éminence noire de Léon Degrelle, négationniste après la guerre et nazi jusqu’à sa mort sous le chaud soleil de Malaga.

Wallez rêva d’une Belgique qui se serait unie à la Rhénanie pour donner naissance à un État autoritaire au nord de l’Europe. Au début de sa carrière, Hergé voulut envoyer Tintin en Amérique, mais l’abbé lui imposa la destination africaine pour faire l’apologie de la colonisation belge. L’abbé n’aimait pas les États-Unis réputés protestants, où la société était infectée par l’argent du capitalisme « judéo-américain ».

De ce catholicisme, il ne restera rien. Dieu est absent des albums de Tintin, tout comme, à de rares exceptions près, la lumière du soleil (cherchez les ombres, il n’y en a guère).

En tant que créateur, Hergé ne venait bien sûr pas de nulle part. Ses influences furent Alain Saint-Ogan (Zig et Puce), son ami le sculpteur Tchang Tchong-jen, Benjamin Rabier (Gédéon, “ La Vache qui rit ”), Charlie Chaplin, Jerome K. Jerome, George McManus (La famille Illico), l’illustrateur René Vincent.

Bien que de droite toute sa vie, Hergé ne fut pas monolithique. Sous l’influence de son ami Tchang, il soutiendra la Chine contre le Japon, futur puissance due l’Axe. Il saura prendre le parti d’étudiants républicains espagnols lors d’une manifestation à Genève. Ses héros Quick et Flupke (pour lesquels Hergé eut toujours un petit faible) sauront défier l’autorité et se moquer des éditions Rex dirigées par Léon Degrelle.

Tintin prendra la défense de Zorrino dans Le Temple du soleil et des romanichels dans Les Bijoux de la Castafiore. Ces romanichels qui lui tireront une des très rares larmes de sa saga. Mais au début de la guerre, Hergé se rangera du côté de ceux qui voulaient être « embochés », faire vivre la BD car la collaboration était un moindre mal. Après la guerre, Hergé sera quelque temps interdit de publication avant que son dossier soit classé sans suite par la Justice.

Enfant, Hergé fut très probablement violenté sexuellement par son oncle maternel. Dans les albums, on remarque une hantise du corps poilu : le savant délirant dans Le Manitoba ne répond plus, le premier Haddock à la barbe folle, le singe Ranko, le yéti. Sans parler de cette scène extraordinaire – rêvée – de viol (Le Crabe aux pinces d’or, p. 34) où un Haddock hirsute, aux dents terrifiantes, viole Tintin avec un tire-bouchon.

La mère d’Hergé meurt aliénée en 1946. Jusqu’en 1959, alors qu’il est en pleine gloire, il va vivre une longue période dépressive, interrompant, par exemple, la saga lunaire pendant un an.

Les retrouvailles avec Tchang, cinquante ans plus tard seront décevantes. Sculpteur, Tchang est toujours dans l’académisme alors qu’Hergé a abandonné le réalisme pour se tourner vers le non-figuratif. Il soutient le Tibet quand son ami lui explique que cette province est chinoise depuis 2 000 ans.

Á l’École de recherche graphique, Tchang montre ses œuvres. Hergé, atteint d’une leucémie, n’est pas là. Tchang fait admirer ses talents de calligraphe et se fend d’une délicieuse pirouette. Il lit ce que son pinceau a tracé : « Travail donne Travail et produit de la Patience. Patience donne Patience et produit de la Force. » Les spectateurs méditent ce proverbe chinois, jusqu’à ce que Tchang les surprenne par un : « C’est une pensée de Rodin. »

Devrais-je le cacher plus longtemps ? Je considère Hergé comme l’un des quatre ou cinq grands génies créatifs du XXe siècle, au niveau de Charlie Chaplin ou Picasso.

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