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6 mars 2018 2 06 /03 /mars /2018 00:20

Un collaborateur parlementaire vient de quitter l'équipe du député macroniste Bruno Bonnell (proche de Gérard Collomb), en affirmant avoir travaillé pendant plusieurs mois sans contrat de travail ni rémunération. De septembre à décembre, il a labouré pour son élu la 6e circonscription du Rhône, qui recouvre le territoire de la commune de Villeurbanne. Sa situation interroge sur la présence de “bénévoles” dans les équipes de députés.

C'était l'une des têtes de gondole de la Macronie lors des législatives de juin. Le profil idéal du serial entrepreneur qui crée des emplois par milliers (« plus de 5 000 » en 35 ans, selon lui) dans le numérique, phosphore sur la « disruption généralisée » et accompagne Emmanuel Macron depuis le début de sa marche vers l’Élysée. À 59 ans, Bruno Bonnell, embarqué dans l’aventure macroniste depuis Lyon par le ministre de l'intérieur Gérard Collomb, tombeur de l'ancienne ministre socialiste Najat Vallaud-Belkacem dans la 6e circonscription du Rhône, qui recouvre le territoire de la commune de Villeurbanne, devait incarner cette Assemblée nationale new age qui renoue avec le monde de l'entreprise, les « start-up » et la « french tech ».

 

Le député Bruno Bonnell est peu présent dans les débats parlementaires depuis le début du quinquennat. © Youtube / LREM Le député Bruno Bonnell est peu présent dans les débats parlementaires depuis le début du quinquennat. © Youtube / LREM

 

Huit mois plus tard, les perspectives sont moins glorieuses. Comme beaucoup d’autres, le néoparlementaire est rentré dans le rang du pléthorique groupe de La République en marche (LREM). « Je crois qu'être député, c'est beaucoup plus complexe et fatigant que chef d'entreprise », admettait-il dès juillet, dans les colonnes du Parisien. Ses statistiques à l'Assemblée nationale ne le contredisent pas. D'après l'observatoire citoyen « Nos députés », Bruno Bonnell touche le fond du classement dans plusieurs catégories : il fait partie des « 150 députés les moins actifs » en termes de présence dans l'hémicycle et d'interventions. Même dans sa commission, celle des affaires étrangères, il peine à imposer ses talents d'ex-chef d'entreprise « dont les opérations couvraient le monde entier » : le site de l'Assemblée nationale ne recense que deux interventions de lui depuis le début de la législature.

Surtout, le député-entrepreneur, qui fut dans le passé sanctionné par l'Autorité des marchés financiers et a niché deux de ses sociétés dans le paradis fiscal du Delaware, est rattrapé par un problème de gestion d'un de ses assistants. À la fin du mois de janvier, Hadj Djennas, militant En Marche! de 36 ans et collaborateur parlementaire du député, a claqué la porte en affirmant avoir travaillé plusieurs mois durant sans contrat de travail ni salaire. À Mediapart, il explique avoir « travaillé de septembre à décembre en circonscription pour assurer l'ancrage local du député ». Hadj Djennas a représenté Bruno Bonnell dans des manifestations publiques, rencontré des associations ou rédigé des mails. Mais la question de son statut n'a, selon lui, jamais été tranchée.

Des missions régulières au service du député

Chargé de mission dans le secteur de l'assurance, Hadj Djennas, engagé dans la campagne législative de Bruno Bonnell, n'a pas « besoin d'argent » quand il pose les termes de sa « collaboration » avec le nouveau député, à partir du mois de septembre. « Le plus important pour moi, explique-t-il, c'était d'avoir la protection d'un contrat de travail, notamment en cas d'accident, et de disposer d'un statut de collaborateur parlementaire pour crédibiliser mes actions. » Avant d'entrer en fonctions, le Marcheur propose par écrit au député de travailler avec un contrat léger, même de quelques heures par semaine, selon un document consulté par Mediapart. Il reformule sa demande en septembre. Puis de nouveau – par écrit – en octobre et fin décembre. « À chaque fois, il a éludé ou reporté le sujet, sans remettre en cause la qualité de mon travail », défend l'ex-assistant.

 

Le député Bruno Bonnell représenté par le collaborateur Hadj Djennas. © Publication Facebook Le député Bruno Bonnell représenté par le collaborateur Hadj Djennas. © Publication Facebook

 

Les frontières entre militantisme, bénévolat et salariat sont parfois incertaines. Mais Bruno Bonnell, qui s'est refusé à tout commentaire, n'a pas voulu éclaircir auprès de Mediapart les contours de sa collaboration avec Hadj Djennas : « Son statut était celui que nous avons défini ensemble », s'est-il contenté de répéter malgré nos relances. A-t-il considéré que les missions de son assistant étaient, dans la continuité de la campagne, purement bénévoles ? Seule indication : dans sa déclaration d'intérêts, mise à jour le 22 septembre 2017 auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, le député ne fait état que de deux contrats d'assistant parlementaire sur son enveloppe de 10 581 € par mois, sans mention d'Hadj Djennas. La suppléante du député, Chafia Tifra, confirme de son côté que le militant était engagé dans la campagne législative, mais refuse de préciser ses conditions de travail après l'élection.

Pourtant, pas plus tard que le 24 janvier dernier, elle a elle-même valorisé la place d'Hadj Djennas dans le travail parlementaire. Devant quelques dizaines d'invités réunis dans le centre culturel et de la vie associative de Villeurbanne à l'occasion des vœux 2018 du député Bonnell, la suppléante présentait ainsi son équipe : « À Paris, Bertrand assiste Bruno [Bonnell] pour le travail législatif et les relations au Parlement. En transversal, Véronique œuvre dans le domaine du numérique. » Et en circonscription, « Anne-Sophie coordonne tout ce travail parlementaire et est aux manettes. Elle est assistée (...) sur le terrain de Jean-Éric et Hadj, collaborateurs parlementaires qui connaissent parfaitement Villeurbanne et qui ont pour mission d'organiser notre action dans tous les quartiers ».

Comme les autres assistants (« Bertrand », « Véronique », « Anne-Sophie » et « Jean-Éric »), tous rémunérés par le député selon Hadj Djennas, ce dernier a d'ailleurs été invité par Bruno Bonnell à Paris à la veille des vacances de décembre. « Visite à l'Assemblée nationale avec mes collaborateurs », a commenté le député en direct sur son profil Facebook, en y accolant une photo de Hadj Djennas au milieu de l'hémicycle. D'autres publications du député montrent que le collaborateur a effectivement été actif. Il représente publiquement le député au forum des réfugiés, lors d'une visite de quartier ou à l’inauguration du nouveau local de l’association d’aide au logement des jeunes. À chaque fois, sous une casquette de « collaborateur parlementaire ».

 

Hadj Djennas avec Bruno Bonnell en visite à l'Assemblée nationale fin décembre © Facebook Bruno Bonnell Hadj Djennas avec Bruno Bonnell en visite à l'Assemblée nationale fin décembre © Facebook Bruno Bonnell

 

La question du statut ambigu de certains assistants avait déjà été posée en début de quinquennat. En plein débat sur la loi de moralisation de la vie publique, la députée LREM de la 8e circonscription de Gironde, Sophie Panonacle, avait publié une offre d'emploi pour recruter son assistant parlementaire dans laquelle elle révélait que son conjoint était aussi son directeur de cabinet « bénévole ». L'affaire avait suscité une polémique, certains élus y voyant un moyen de contourner l’interdiction des emplois familiaux au Parlement.

Mais en l'absence de clarification du statut d'assistant parlementaire, le sujet est aussi d'ordre juridique : dans la mesure où le lien de subordination entre le député et son collaborateur serait établi, une telle relation de bénévolat n'est-elle pas susceptible de se voir requalifiée en contrat de travail ? Le cas d'Hadj Djennas pourrait faire jurisprudence à l'Assemblée. Son avocat, Me Michel Nicolas, vient en tout cas d'engager une tentative de résolution amiable du litige avec Bruno Bonnell, faute de quoi il engagera une procédure aux prud'hommes.

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