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15 avril 2017 6 15 /04 /avril /2017 23:20

CAMEL

"A Nod And A Wink"

Royaume-Uni     2002

Camel Productions - 55:34

La sortie d'un nouvel album de Camel crée toujours l'événement parmi les mélomanes progressifs. Pour cette nouvelle cuvée, il s'agit néanmoins bien plus que la simple célébration d'un talent, qui semble d'ailleurs ne jamais devoir se tarir. En effet, l'année 2002 demeurera à jamais une date essentielle dans la longue carrière du quadrupède anglais.

Non seulement parce qu'elle marque les 30 années de carrière de ce dernier, mais surtout car elle a vu la disparition prématurée de Peter Bardens, claviériste emblématique des vertes années de Camel. Une double raison donc pour nous de considérer A Nod And A Wink comme une œuvre vraiment à part dans la discographie de son auteur, et plus sobrement comme un émouvant clin d'œil de la part de Andy Latimer à destination de son passé et surtout de son ancien acolyte...

S'il ne s'agit pas de surévaluer le nouveau rôle de Guy LeBlanc dans cette collaboration, A Nod And A Wink restant bel et bien un disque de Camel pur laine, on se dit que certaines alliances, a priori improbables ont au final quelque chose de miraculeux...

En effet, rien ne prédisposait une entente aussi forte entre ces deux personnalités. Sortant ses albums au compte gouttes, tous les trois-quatre ans, Andrew Latimer n'est pas loin de passer pour un 'ermite'. Gérant seul de façon paisible (pour ne pas dire pépère) mais réfléchie depuis près de deux décennies et demi la destinée de ce qu'il faut bien appeler son joujou, il a toujours renâclé à laisser s'exprimer librement la créativité de ses compagnons de route, aussi talentueux fussent-ils... Certains se sont vexés et ont claqué la porte avec plus ou moins de fracas (Kit Watkins, Richard Sinclair), d'autres ont préféré tout simplement s'effacer (Mickey Simmons).

Tout autant solitaire, Guy LeBlanc est en revanche d'une fécondité musicale déconcertante. Rappelez-vous, dans notre numéro 33 de décembre 1999, nous avions chroniqué Rajaz (la précédente production de Camel) et Subversia (album solo de LeBlanc). Depuis, le claviériste a réalisé avec Nathan Mahl les trois copieux volumes de Heretik, a sillonné le monde lors de la tournée Rajaz, et enfin s'est fortement impliqué dans la conception et l'interprétation de A Nod And A Wink.

C'est ainsi au cours de la tournée que la complicité entre les deux musiciens s'est révélée. Lors de ces concerts, il était évident que Latimer était fier et profondément heureux de jouer avec sa nouvelle recrue virtuose. L'ambiance enthousiaste qui régnait dans le groupe était communicative et se propageait jusque dans le public !

Et ce climat juvénile se retrouve sur A Nod And A Wink, enregistré avec la même formation. Et peut-être trouve-t-on là le principal apport de LeBlanc : en plus de co-écrire deux des sept titres (cela peut sembler peu mais s'avère finalement remarquable car Latimer ne s'était pas fait aider dans ce travail depuis The Single Factor en 1982 avec Anthony Phillips), il a su insuffler énergie et confiance à son leader. La réussite de cette greffe musicale vient de la capacité du claviériste à se fondre dans l'esprit Camel. En quelque sorte, il a inspiré le guitariste.

Emporté par cette tourmente positiviste, Latimer a enfin pris confiance en sa voix et chante, c'est une première pour le groupe, sur tous les titres. Finalement, on ne s'en plaindra pas forcément, car il a su prendre la mesure de son organe grave de crooner un peu décati. Continuant la démarche entamée sur Harbour Of Tears et particulièrement sur le morceau «End Of The Day», il peaufine ses mélodies pour qu'elles soient en parfaite adéquation avec son timbre.

Il va même jusqu'à pousser le bouchon en interprétant plusieurs rôles (dont un renard) et autant d'accents dans une sorte de mini sketche («Fox Hill») ou bien en harmonisant les voix de façon inédite («For Today»). Bref, les passages chantés ne s'apparentent plus aux parents pauvres de Camel, elles s'intègrent comme jamais (seul Nude était précédemment parvenu à une telle unité) dans un ensemble cohérent et majoritairement instrumental.

Mais soyons réalistes, si elles n'ont plus vraiment à rougir, les parties chantées ne peuvent pas pour autant prétendre au titre de sommet de l'album... Non, la curiosité du mélomane se concentrera plutôt sur les copieuses parties musicales de l'album. Attentes justifiées et récompensées. Le propos plus ouvert et enjoué que naguère offre de nouvelles opportunités aux musiciens. Et ceux-ci n'hésitent pas à s'en saisir avec gourmandise. Les joutes instrumentales se succèdent avec flamboyance et inspiration constante. Nos deux solistes sont égaux à eux même et se partagent équitablement le devant de la scène : Latimer est lyrique et bouleversant, il manie tour à tour (ou plutôt simultanément) guitares électriques, acoustiques et flûte (en grand retour) avec maestria. Quant à LeBlanc, il privilégie son petit coté Watkins, jouant autant sur la virtuosité que sur l'émotion (le passage central de «For Today» rappelle la performance de son devancier dans «Ice»).

Cette virtuosité s'exprime d'autant plus que les thèmes sur lesquels elle s'appuie sont forts et constamment inspirés. Latimer n'a en rien perdu son sens mélodique aigu. Mieux que cela, il a laissé sur la touche toute once de mièvrerie; cette mièvrerie qui hélas ponctuait les anciennes productions. Rarement un album du groupe aura eu une telle cohérence d'ensemble et une qualité de composition constante.

Pas de ventre mou ici ! Mais des abdos bien fermes ! Et des moments de grâce nombreux. Parmi ceux-ci, citons le morceau titre ou bien le final en roue libre de «A Boy's Life», où tous les musiciens semblent se laisser aller dans une sorte de joyeuse et harmonieuse dérive. «Squigely Fair» est un presque instrumental (juste coupé par une strophe «à boire») d'une densité allègre et alambiquée, et qui n'est pas sans rappeler les Flower Kings (!). Hommage aux victimes du 11 septembre et hymne à la vie, «For Today» est un moment de beauté exacerbée qui conclut cet album de façon fort émouvante et magistrale.

Ainsi, cet album déborde d'enthousiasme ! Un enthousiasme véritable et sincère, et non pas de façade comme ce pouvait être le cas sur The Single Factor. Du Camel gai, vous demandez-vous ? On peut presque dire ça, même si tout n'est pas tout blanc ni tout noir et que la mélancolie est une composante fondamentale de certains titres («For Today»); en tout cas, il tranche singulièrement avec l'ambiance triste, voire sombre des trois précédentes productions (et en particulier Rajaz).

L'art de Camel n'en est pas pour autant chamboulé, il continue d'emprunter les voies ébauchées au cours de sa carrière trentenaire (et oui !!!) et plus particulièrement lors de la dernière décennie, mais en éclaircissant la direction générale. Tout est dans la nuance voyez-vous. En gardant une cohérence d'ensemble, chacun des quatre derniers opus de Camel possède une personnalité forte et définissable, et chaque titre a un sens dans son album... Là où d'autres ont fini par pêcher, Camel oublie en effet de lasser son auditoire !!! Il arrive même à séduire les néophytes (cet album a été testé et approuvé par les compagnes de certains membres de la rédaction).

Au sommet de son art, après trente ans de bons et loyaux services, Camel avec A Nod And A Wink rend hommage à la fois à la cause progressive qu'il n'a jamais trahie, à son public fidèle, à sa longue carrière, et à Peter Bardens, premier claviériste du groupe (et leader) qui s'est éteint trop tôt.

Un clin d'œil émouvant, qui traduit un bien bel hommage...

Olivier VIBERT

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