Cette semaine, une polémique a démarré, suite à la suspension de quatre moniteurs d'un camp de
vacances de la municipalité PCF de Gennevilliers, qui observaient le jeûne du ramadan. Il y a deux ans, dans une colonie de vacances de cette municipalité, un accident de la route avait
eu lieu à cause du malaise d'une animatrice qui faisait aussi le ramadan ; deux enfants avaient été blessés, ce qui avait conduit la mairie à préciser aux moniteurs cette obligation de
s'alimenter durant la journée.
L’article 6 du contrat de travail signé par chaque animateur indiquait que celui-ci «
veille à ce que lui-même ainsi que les enfants participant à la vie en centre de vacances se restaurent et s’hydratent convenablement en particulier durant les repas » et doit être «
en pleine possession de ses moyens physiques ». Les quatre personnes avaient été suspendues après la visite d’un
responsable des centres de vacances lors de ce séjour sportif à Port-d’Albret, dans les Landes, vendredi 20 juillet 2012, le premier jour du jeûne du ramadan. "La ville (…) qui a la pleine responsabilité de la bonne conduite des séjours a mis fin à leurs missions, sans préjudice financier » (les animateurs vont être payés), poursuivait la mairie qui avait embauché ces animateurs
en CDD.
Finalement, « pour
apaiser le débat », face aux protestations, le maire de la commune a renoncé aux sanctions, et a décidé mardi 31 juillet « de ne pas imposer l’application de l’article incriminé du
contrat de travail sur le mois d’août », selon un nouveau communiqué. Pourtant, les moniteurs et des associations musulmanes n'excluent pas de peut-être porter plainte.
Au-delà des tentatives de polémique et d'agitation de la part de certaines
personnes ou associations (récupérées immédiatement par l'UMP avec J-F Copé, c'est un comble), il peut être utile de rappeler le cadre juridique de cette affaire.
1) CONTRAT DE TRAVAIL
Tout salarié sait qu'un employeur peut indiquer toute clause qu'il juge pertinente dans le contrat de travail, et
qui s'impose donc au salarié, pourvu qu'elle ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux et à l'ordre public. Ici, la religion n'était pas mentionnée, ni le ramadan ; il n'y a donc pas de
discrimination, ni d'atteinte à la liberté religieuse.
En droit du travail, la liberté religieuse peut être limitée par les contraintes du poste à
occuper ; ces éventuelles limitations doivent être « justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché », selon l'article L1121.1
du Code du travail. Comme cette obligation de s'alimenter durant les repas a été mentionnée dans le contrat de travail, qui a été signé par les moniteurs, il s'agit d'un aspect considéré
comme important de la mission à accomplir : l'employeur peut les sanctionner s'ils ne respectent pas cette obligation.
En l'espèce, l'avocat Eric Rocheblave pose la question : "un salarié qui fait un jeûne pour des motifs religieux ou même qui respecte un régime peut-il
exercer toute sorte d’activités professionnelles ? Je ne le pense pas, et les juges ne le pensent pas non plus. (...) C’est le cas notamment des personnes qui travaillent en
hauteur, qui font des randonnées sous le soleil, en altitude : dans ce cas, il faut nécessairement s’alimenter et s’hydrater. Un employeur peut donc encadrer ce type d’activités, en dehors de
toute considération religieuse." L'islam n'est pas en cause : le jeûne n'a pas été permis pour des raisons de sécurité
(des enfants et des animateurs eux-mêmes), ce qui est légal, selon l'avocat de droit social, Malik Douaoui, qui ajoute que le principe de respect des convictions religieuses ne signifie
pas que le salarié est libre d'exercer sa religion dans l'entreprise et que l'employeur doit satisfaire ses demandes religieuses.
La mairie aurait pu faire appel à un avis médical, avant de suspendre les animateurs, pour préciser en quoi ils
n'étaient pas en mesure d'accomplir leur mission à ce moment-là (chaleur, activités physiques prévues...). Mais en tout état de cause, compte tenu de la nature du travail - nécessitant une
surveillance 24 heures sur 24, et mettant en cause la sécurité des enfants - une plainte éventuelle des moniteurs avait très peu de chance d'aboutir.
2) LAICITE
On pourrait aussi rappeler que dans l'islam, les voyageurs ne sont pas
soumis au ramadan - ce qui a justifié l'autorisation qui venait d'être accordée aux sportifs musulmans des JO de Londres de reporter le ramadan à plus tard - mais là n'est pas la question,
car il ne s'agit pas d'une controverse religieuse.
Le camp étant financé par une commune, les moniteurs sont considérés comme des agents du service public :
à ce titre, et en vertu du principe de laïcité, ils sont soumis à un devoir de stricte neutralité religieuse - d'autant plus qu'ils sont en charge d'enfants, et sont donc des
éducateurs, comme les personnels enseignants ou les surveillants des établissements scolaires.
Le principe de laïcité trouve sa source dans les lois de séparation des églises et de l'Etat de 1905, et il
figure dans les Préambules des Constitutions de 1946 et de 1958, ainsi qu'à l'article L411 du Code de l'Education. Les agents du service public ne peuvent être sanctionnés pour leurs
convictions et pratiques religieuses en dehors du service ; en revanche, le Conseil d'Etat, dans un avis du 3 mai 2000, considère que "le fait pour un agent du service de
l'enseignement public de manifester dans l'exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un
manquement à ses obligations."
Jeûner pendant les repas avec les enfants ne constitue-t-il pas également une manifestation
visible d'appartenance religieuse ? En ne respectant pas une clause de leur contrat de travail, qu'ils avaient signé, et en perturbant ainsi tout le séjour des enfants - en voulant à
toute force suivre des prescriptions religieuses visibles qui devaient rester privées -, ces moniteurs se sont-ils montrés loyaux à leur employeur, aux enfants, à la laïcité et au
service public ? Ont-ils pensé à l'intérêt général, avant leur pratique religieuse personnelle ? Etaient-ils capables de se dire, et de dire à leur entourage : "Cette
année, je ne peux pas jeûner car je m'occupe d'enfants dans un séjour sportif de la ville de Gennevilliers : je dois être au meilleur de ma forme ; en plus c'est public et
laïc, donc je ne dois pas afficher ma religion. Je ferai le ramadan le mois suivant, comme les athlètes des JO !"
Sur ce sujet, voir le cas rapporté sur le blog d'Eric Rocheblave,
avocat spécialiste en droit du travail, d'une salarié de la Sécurité sociale qui était venue travailler en foulard, et avait été
licenciée.
ERIC BARBOT