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UN POINT DE VUE DANS LE QUOTIDIEN "LE MONDE" DU 28 JANVIER, à propos de cette question délicate :
L'euthanasie, entre danger et humanité
| 28.01.11
Dans Le Suicide (1897), son ouvrage fondateur de la sociologie, Emile Durkheim avait avancé que "chaque société est prédisposée à fournir un contingent déterminé de morts volontaires". Une personne ne met pas fin à ses jours en raison de son état psychologique, mais ce dernier la rend plus réceptive aux facteurs sociaux favorisant le choix d'une mort volontaire : le suicide est moins une affection individuelle qu'un symptôme social.
Il existe donc une inclination collective au décès anticipé dont procèdent les tendances individuelles et pas l'inverse : ce n'est pas l'agrégation des tendances individuelles qui détermine la tendance collective. A la lumière de ce constat, on est en droit de se demander si la revendication en faveur de la légalisation de l'euthanasie relève d'une aspiration à l'exercice ultime de l'autonomie de la personne, ou bien si l'on ne peut pas plutôt y voir l'expression d'un positionnement collectif vis-à-vis du trépas, qui s'exprimerait à travers les malades gravement atteints.
Le signe de cette inflexion s'observe dans la métamorphose de l'image de la mort, devenue une composante essentielle de l'existence. Comme si une mort sans éclat entachait une vie du stigmate de la banalité et que l'empreinte laissée sur les autres dépendait de la façon dont l'existence s'achève. La mort idéale doit faire sens désormais. Puisqu'on ne peut dépasser notre mort, il faut que notre mort nous dépasse. Dès lors, la tentation serait forte de s'approprier les marqueurs sociaux du bon décès, au premier rang desquels viendrait la possibilité de choisir le moment de son accomplissement.
Il y a une aspiration inégalitaire dans la promotion de la belle mort, le décès contribuant à la perturbation de l'ordre social par son caractère égalisateur. L'envie suscitée par les pratiques supposées d'une classe, le désir de s'y assimiler en l'imitant, établiraient un nouveau marqueur de distinction, le plus terrible d'entre tous puisque fondé sur la poursuite de la vie elle-même.
L'histoire a montré que ce ne sont pas ceux qui ont le plus parlé du suicide ou posé publiquement la question de son opportunité qui l'ont mis en pratique. Les suicides "philosophiques" sont très rares, souvent les auteurs concernés tournent en tous sens une question dangereuse qu'ils désamorcent pour leur propre compte en l'épuisant par le débroussaillage du champ infini des hésitations qui lui sont liées ; le problème est que leur réflexion a pu être fatale à d'autres, davantage portés à l'action qu'à la méditation.
Il pourrait en être ainsi de l'euthanasie, la capacité de faire miroiter cette perspective dangereuse devenant le privilège d'une élite, cependant que le passage à l'acte échoirait à une majorité désireuse de s'identifier à cette dernière. C'est qu'en effet l'euthanasie, une fois légalisée, concernerait au premier chef les classes sociales défavorisées. Selon ces derniers, la légalisation apporterait non seulement une liberté nouvelle mais accroîtrait aussi l'égalité en étendant à tous le bénéfice d'un suicide digne : actuellement, seuls les plus favorisés pourraient profiter d'une assistance pour mourir avant l'heure grâce à leur réseau et à leur influence ; les autres seraient condamnés à poursuivre leur vie jusqu'à son terme naturel quelles que soient les circonstances.
C'est pourtant l'inverse qui est à craindre. Que les nantis tirent avantage d'une vie plus longue et en meilleure santé, tandis que les plus modestes, déjà affectés d'une vie plus courte et marquée par la dégradation physique prématurée, soient exposés à une mort anticipée sous l'effet mécanique de la sociologie du vieillissement : aux pauvres, l'injection du cocktail lytique ; aux riches, l'octroi jusqu'à la fin de soins palliatifs de plus en plus sophistiqués.
Si le vieillissement de la population est de plus en plus un vieillissement en bonne santé, l'allongement spectaculaire de la durée de l'existence est, en effet, inégalitaire. L'Insee recensait 20 000 centenaires en France en 2008, et prévoit que leur nombre pourrait passer à 46 000 en 2030, et à 165 000 en 2050 ; les projections de l'Institut national d'études démographiques (INED) sont moindres, avec 30 000 centenaires en 2030 et 60 000 en 2050. La part des plus de 60 ans dans la population passerait de 20 % en 2000 à 32 % en 2050. Mais, d'ores et déjà, les Français les plus diplômés peuvent escompter vivre 20 % plus longtemps que les non-diplômés.
De même, l'espérance de vie varie suivant la catégorie professionnelle : l'Insee a rappelé que ce sont toujours les ouvriers qui décèdent le plus tôt, et les cadres et professions intellectuelles supérieures qui bénéficient de la vie la plus longue - cette tendance étant moins marquée chez les femmes. La surmortalité des ouvriers relativement aux cadres et aux professions intellectuelles supérieures ne commence à diminuer qu'à partir de 92 ans.
Une étude publiée par l'INED en 2008 démontre que ces inégalités s'accroissent encore s'agissant de la durée de vie sans incapacité : plus l'espérance de vie est longue, plus le temps de vie passé avec des incapacités est réduit. Non seulement les catégories sociales défavorisées vivent moins vieilles, mais elles vivent aussi moins longtemps en bonne santé, et se verraient exposées davantage à l'euthanasie.
Par conséquent, la légalisation de l'euthanasie ne conduirait pas à placer riches et pauvres, sur un pied d'égalité devant la mort, mais l'inégalité devant la fin de l'existence permettrait aux plus nantis d'échapper à une fin de vie prématurée alors que les plus vulnérables, ne disposant pas du réseau, de l'information, de l'entregent nécessaires pour échapper à "l'évidence" d'un départ prématuré imposé par l'appréciation de la dégradation de leur état de santé, y seraient assujettis.
Robert Holcman, professeur d'université associé à l'Institut d'études politiques de Bordeaux
Chronologie
1980
Premier débat au Sénat sur une proposition de loi relative au droit de vivre sa mort d'Henri Caillavet (radical de gauche). Elle sera suivie de plusieurs autres textes, jusqu'à celui débattu le
25 janvier 2011 sur l'assistance médicalisée pour mourir. Création de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité.
1999
Le droit à l'accès aux soins palliatifs est inscrit dans la loi.
2005
Après l'émotion suscitée par la demande de mourir du jeune tétraplégique Vincent Humbert, aidé finalement par sa mère et son médecin, la France adopte la loi Leonetti sur la fin de vie. Elle
proscrit l'acharnement thérapeutique, permet de soulager la douleur, quitte à abréger la vie, et autorise le patient à demander l'arrêt de ses traitements.
2008
Après le combat de Chantal Sébire pour anticiper sa mort, une mission d'évaluation de la loi Leonetti est lancée. Si l'"exception d'euthanasie" est rejetée, un Observatoire de la fin de vie est
créé.
2011
Les sénateurs renoncent à instaurer une "assistance médicalisée pour mourir". Dans Le Monde du 25 janvier, le premier ministre François Fillon s'était opposé à la légalisation de
l'euthanasie.
Définitions
Euthanasie passive. C'est le principe du "laisser mourir" appliqué par la France. Il consiste à refuser l'acharnement thérapeutique et permettre après l'arrêt des traitements curatifs de soulager la douleur grâce à des sédatifs. Le patient s'éteint alors peu à peu, inconscient.
Euthanasie active. Une aide directe à mourir par un médecin, par l'administration d'un produit létal, qui offre à des patients incurables une mort rapide, sans douleur et consciente. Les Pays-Bas, le Luxembourg et la Belgique ont fait ce choix.
Suicide assisté. Sans la légaliser, la Suisse tolère l'assistance au suicide, hors "motifs égoïstes". Des associations assistent les patients dans leur démarche, en leur procurant un produit létal.
Article paru dans l'édition du 29.01.11