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30 juillet 2012 1 30 /07 /juillet /2012 14:57

De Rome à Lisbonne, 55 ans d’Europe

Jacques Rigaudiat, membre du Bureau de la Fondation Copernic - 26 juillet 2012


L’Europe n’est plus qu’une caricature. Faute de solidarité, Chypre, qui préside actuellement l’U.E., vient d’emprunter 5 Md€ à… la Russie ! « Le gouvernement espagnol est évidemment garant des aides » vient de dire A. Merkel ; ainsi, les 100 Md€ apportés aux banques seront gagés sur le budget de l’État et la dette souveraine s’en trouvera alourdie, peu importe, les citoyens paieront…

L’Europe n’a pourtant pas toujours été cette Europe-là. À son origine, elle fut le projet d’une zone de paix et de prospérité. Son point de départ fut la déclaration du 9 mai 1950 de R. Schuman et la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), mais c’est le traité de Rome de 1957 qui en fut le point culminant : suppression des droits de douane à l’intérieur, tarif extérieur commun (TEC) vis-à-vis du reste du monde, politique agricole commune en furent les piliers. Zone de libre-échange donc, mais dans un espace économique et social homogène. « Marché commun », bien sûr, qui ouvrait des débouchés à des entreprises à l’étroit dans leurs territoires nationaux, mais aussi un TEC protégeant l’Union. Bref, une coexistence d’économies nationales s’ouvrant à un commerce extérieur d’abord réciproque.

Aux nations initiales, d’autres vinrent se joindre. Les six devinrent neuf (1973), puis douze (1981). A ce moment les choses commencèrent à basculer. D’abord, avec l’arrivée de l’Espagne, de la Grèce et du Portugal en 1981, la zone perdit son homogénéité. Mais, de plus, la révolution conservatrice était arrivée. On se souvient de Margaret Thatcher et de son : « I want my money back ». Le ver s’est à ce moment installé dans le fruit ! Le Marché commun, celui des marchandises, était un objectif trop étroit pour la révolution libérale en marche, il fallait l’élargir à la libre circulation des services et des capitaux. L’Europe changea alors totalement de sens. Son projet mutait, pour devenir celui d’une intégration dans un espace de concurrence « libre et non faussée ».

L’Acte unique (1986) puis le traité de Maastricht (1992) ont matérialisé ce moment. La zone euro (1999), puis le Traité Constitutionnel européen, refusé en 2005 mais revenu inchangé sous son avatar, le Traité de Lisbonne (2009), n’ont fait qu’approfondir plus encore cette dérive. Cela d’autant plus que l’élargissement à dix nouveaux membres, essentiellement d’anciens « pays de l’Est » (2004), puis à deux autres (Bulgarie et Roumanie, en 2007) ont porté l’Union à une hétérogénéité extrême, alors qu’aucun moyen supplémentaire n’était alloué aux fonds structurels de cohésion. Ainsi, l’Union européenne est devenue celle que nous ne connaissons que trop : le cheval de Troie du néo libéralisme.

Les voies multiples qu’il emprunte sont connues. D’abord, via la politique de concurrence, c’est la destruction du modèle que les luttes sociales avaient permis d’édifier. Plus de services publics collectifs, mais des entreprises désormais ouvertes par directives à une concurrence, jalousement surveillées par des « autorités administratives indépendantes », qui échappant à tout contrôle sont des dénis de démocratie. Ensuite, du fait de l’hétérogénéité économique et sociale et du primat du principe de concurrence, c’est un processus de dumping social et fiscal. Celui de la « réforme structurelle » du marché du travail qui veut traiter le travail comme une marchandise comme une autre et le soumettre à la libre concurrence. Ainsi, des lois Hartz IV qui font de l’Allemagne le « modèle » d’un marché du travail dérégulé qu’il faudrait imiter. Celui, encore, du dumping fiscal, qui a ruiné les États et alimenté les dettes souveraines. Enfin, ce sont les institutions européennes elles-mêmes. Une Union sans moyens (son budget représente 1% du PIB des 27 !) et, hors PAC, toute entière dédiée à la politique de « concurrence libre et non faussée ». Une Banque Centrale Européenne, exemple du libéralisme le plus autiste : qui refinance les banques mais ne prête pas aux États, qui veille à ce que l’inflation reste sous les 2% mais qui, seule au monde parmi ses congénères, se moque comme d’une guigne de la croissance comme de la récession générale qui s’installe…

La crise que connaît aujourd’hui l’Europe est tout sauf une surprise. Les modalités qu’a empruntées l’Union pour se construire depuis le début des années 1980 ne pouvaient que conduire à la défaire. Avec l’absence de solidarité, avec le primat de la concurrence libre et non faussée, le risque d’éclatement d’une zone aussi hétérogène que l’est l’Union à 27 était inscrit dans ses principes mêmes. Cela nous entraîne tout droit vers un désastre, celui de la Grèce, de l’Espagne, comme du Portugal ou de l’Irlande. À cette Europe-là, celle du néo libéralisme, il faut opposer une autre Europe, démocratique et solidaire, qui remet la finance à la place qui n’aurait jamais dû cesser d’être la sienne : au service de l’économie réelle et de la satisfaction des besoins sociaux. Nous avons collectivement refusé l’Europe du TCE en 2005. Il faut aujourd’hui refuser celle du Traité de Lisbonne et du pacte budgétaire.

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