Je rebondis sur l’intervention d’une camarade sur ce blog, Mireille Popelin réagissant au texte de J.Cl Delaunay(1) : je suis bien d’accord: “On dirait que les communistes français sont tétanisés par le concept de socialisme je l’ai constaté en réunion avec des communistes ! quand je parle de la nécessité de lutter pour le socialisme, c’est la stupeur, l’embarras, on passe “au point suivant ” . Va falloir que je leur rentre dedans. Vous dirai les résultats
je dois dire pour ma part que dans mes cauchemars les plus audacieux je n’avais jamais osé imaginer pareil interdit, celui de prononcer le mot socialisme dans les couloirs du colonel Fabien et par “ruissellement” de voir!e même interdit suscitant une gêne proche de la panique si on ose le prononcer en réunion de section. C’est exactement ce que décrit Gombrowitcz avec un fantôme au milieu d’un salon bourgeois: “que dire cette présence est tellement… mal élevée!” On ne débat pas, on ignore…
Le mot communisme est lui parfois utilisé. Cela se passe quand on ose aller au-delà de l’apologie du “rassemblement” pour chasser un président, étant assuré que l’on aura le même à la suite de l’opération et peut-être pire, si faire se peut. Le mot “communisme” relevant alors d’un vague idéal moral étayé à grand coups de citations, une sorte d’Almanach Vermot de la culture qui ravirait Bachelot.
Ce communisme là, qui économise but et moyens est lui autorisé comme un supplément d’âme théorique, mais on lui préfère son amputation “le commun”. D’ailleurs si ce mot subsiste ce n’est pas faute d’avoir essayé à chaque congrès de le supprimer en tant qu’associé à celui de parti et Français, ce qui s’est heurté à un réflexe de refus de la base.
Tout cela est bien étrange, pourquoi un tel acharnement? comment tenter de le comprendre? …
D’abord pour sensibiliser à la question,je vous conseille de lire l’article publié aujourd’hui dans histoire et societe dans lequel un intellectuel Chinois vivant au Canada découvre Franz Fanon et la manière dont l’impérialisme obligé par “l’assimilation” les immigrés de la seconde génération chinoise à devenir les meilleurs agents de l’attaque contre le socialisme de leur pays d”origine.
S’interroger sur le processus d’assimilation qu’ont subi les communistes français a le mérite d’insister sur la dimension de classe de toute assimilation alors qu’un des pièges de l’impérialisme est de limiter la dite assimilation à une dimension culturelle voir raciste.
Le cas qui peut l’illustrer est celui de l’imbécile débat sur “mixité et non mixité” dont on se demande qui est le plus insupportable de ceux qui sont pour et ceux qui sont contre mais il suffit de voir qu’il aboutit à donner les moyens de renforcer la répression conservatrice contre un syndicat quel que soit les limites de son expression. Il en est ainsi de tout débat racialisant les questions de classe, leurs effets retombent toujours en faveur de la répression capitaliste et de la division des travailleurs.
Donc retrouvons la dimension de classe dans une société de classe y compris pour dénoncer le racisme, l’antisémitisme et toutes les xénophobies, les stigmatisations de genre, l’ignorer c’est à la fin renforcer l’autoritarisme, le conservatisme dans l’étape de la société capitaliste dans laquelle nous sommes.
Il y aurait trois stades à cette assimilation, la première consiste à vouloir se faire accepter en se montrant le meilleur dans les valeurs supposées de la dite société.Valeurs proclamée qui nie les faits, les pillages, le sous développement entretenu, mais met en avant son excellence démocratique, son humanisme, son suprématisme… le fin du fin est d’opposer ces valeurs à celles de contrainte et de dictature de la société dont l’individu est issu.
ce dernier pour participer de l'”élite” doit distinguer le peuple chinois “opprimé” et son gouvernement autocrate. Mais au lieu d’en retirer les bénéfices escomptés, le jeune chinois s’aperçoit qu’il ne sera jamais considéré comme les autres alors lui vient un vague souvenir de ses origines et il en fait dans un premier temps un bazar de pacotille, du folklore identitaire.
Seule la troisième prise de conscience, celle de la nature de l’aliénation de l’assimilation impérialiste permet de retrouver non seulement l’identité individuelle mais collective. du pays d’accueil comme celui d’origine.
Les communistes s’y reconnaitront je pense. Il suffit de se souvenir de quelques interventions de journalistes de l’humanité cherchant à se faire accepter sur les plateaux de télévision ou du pilonnage de propagande subi depuis plus de trente ans non seulement sur Staline, mais à partir de là sur Lénine et désormais sur Marx que l’on castre, on les efface, les rend illisibles.
Le tout au profit de Jaurès dont le plus grand mérite fut la cause pour laquelle il mourut et son choix d’aller aux jacobins s’asseoir aux côtés de Robespierre. Encore que Robespierre lui-même sente le soufre, parce qu’il a osé défier la toute puissance des riches, au sein même de ceux dont la logique de classe était de s’enrichir, en revanche on ne trouve rien à redire à Olympe de Gouges qui est pourtant une sacrée réactionnaire
Le processus d’assimilation se présente comme une dérive vers la social démocratie mais sur le fond ce sont les finalités de l’impérialisme contre son propre camp ses origines qui sont imposées.
Ces assimilationnistes n’ont pas ménagé leurs efforts, toute la formation des militants, toute la production idéologique, toute la presse du parti a été orientée vers la négation du socialisme, de ses expériences et le concept lui-même a été frappé d’interdit. Ceux qui osaient en parler étaient censurés et comme la censure ne faisait que redoubler celle de la presse bourgeoise elle devenait de plus en plus “normale”. Ceux qui se débattaient encore étaient des “staliniens”, voir des fous…
Malgré tous ces efforts d’assimilation le communiste se sentait de moins en moins accepté. La plainte la plus fréquente du communiste en voie d’assimilation, celui que l’on a convaincu de l’inutilité de l’intervention populaire et surtout de la sienne propre, est “les médias nous font beaucoup de tort”.
Oui le reniement ne paye pas, pourtant la seule issue envisagée est comme dans l’ensemble de la société, de poursuivre sur la même voie, plus loin encore… Le communiste de base, celui qui a survécu à la saignée qui a fait passer de 700.00 à 50.000, devenu une conscience malheureuse de l’assimilation à l’impérialisme, a du mal à s’y faire…
A l’inverse de ses chefs bénéficiant de la vente des bijoux de famille, et de postes confortables, il n’aime pas du tout être méprisé, il estime ne pas l’avoir mérité . Le communiste grugé commence à rechercher des gadgets identitaires et il faudra du temps pour passer de là à la conscience révolutionnaire, mais c’est un pas important.
Le tout bien sur avance avec d’autant plus de difficulté que les “assimilateurs” en chef, ceux qui se proclament au sein du parti”les défenseurs de la diversité” donc de la valeur suprême de l’assimilation :la démocratie – quitte à la bafouer sans état d’âme en pratiquant une censure impitoyable sur les communistes non assimilationnistes – font tout pour entretenir l’inertie, et ils en arrivent même à nier les choix du Congrès au nom de cette “démocratie”.
Chacun s’y reconnaitra et peut prolonger l’analogie. Mais il faudrait faire un peu de théorie et si l’on considère ce que Marx emprunte à Hegel, le renverse, pour passer du mot au concept révolutionnaire.
Cet étrange impossibilité à dire le mot socialisme prouve que nous avons là un concept révolutionnaire et pas un simple mot, peut-être parce qu’il transforme justement la pseudo démocratie bourgeoise en sa vérité, la dictature d’une minorité de possédants sur la majorité et qu’avec Marx et l”expérience de la commune, il en déduit la nécessité de pousser la démocratie jusqu’au bout c’est-à-dire la dictature du prolétariat, dictature de la majorité sur une minorité de possédants
Parce qu’il propose de s’intéresser à la nature de l’État alors même que le notre perd de plus en plus ses fonctions redistributrices, ses services publics et renforce ses aspects autoritaires? etc… Et puisqu’il est question de l’État et de la Révolution, on évite difficilement la réflexion sur le parti nécessaire…
Passer d’un mot à un concept c’est replacer le mot dans tout un appareil conceptuel, une théorie et c’est là où Marx préfère l’idéalisme de Hegel au matérialisme vulgaire, au pseudo positivisme.
Si Hegel était un idéaliste vulgaire pour qui le mot prend la place de la chose Marx, Lénine et tant d’autres ne s’y seraient pas intéressés. Hegel comme tous les grands théoriciens se crée un langage et “l’idée” chez lui n’a pas grand chose à voir avec “c’est vos idées”, une opinion triviale”. Comme on dirait vulgairement : vous êtes pour le socialisme” sans que cet énoncé n’ait pas plus de valeur que” j’aime les hamburgers”.
Non il affirme que son langage est LOGOS activité de raison caractéristique du genre humain. Parce que l’idée devenue concept est prise dans le mouvement historique de la pensée et de l’action, il ne s’agit plus de l’abstraction d’un mot comme le considère le linguiste, mais il est pris dans le concret et il vit.
Quand on daigne vous annoncer la définition du concept de communisme comme le mouvement qui change l’ordre des choses existantes, on fait référence justement à ce que Marx emprunte à Hegel : le mouvement historique de la pensée et de l’action unie pour la révolution.
Ce qui rend le texte de Delaunay sur le socialisme que nous avons publié hier tout à fait percutant c’est qu’il montre comment le concept de “socialisme” vit non seulement d’une manière interne en unissant des oppositions fragmentées ou plutôt que le capitalisme fragmente,mais il vit par rapport aux enjeux historiques d’aujourd’hui.
Le passé n’est pas simplement ce qui n’est plus aujourd’hui mais il est aussi ce qui travaille l’avenir. Tandis que des concepts hérités d’une période antérieure, celle du triomphe de la bourgeoisie en semblent se fissurer, perdre leur capacité unificatrice on le voit au niveau des représentations et des églises, des appareils, le socialisme recrée les conditions de l’unification et l’attitude des gouvernements socialistes comme des citoyens, durant l’épidémie en est la preuve la plus manifeste.
Je vous conseille donc pour prolonger cette réflexion de vous interroger sur le fait assez étrange de cette interdiction du concept de socialisme : est-ce que la justification par laquelle est porté l’interdit “le socialisme a accompli des crimes et on ne doit plus en parler” relève d’une analyse réelle concrète, ou d’un processus d’assimilation ? est-ce qu’il permet comme le montre Delaunay de comprendre la réalité, “la vérité” de ce qui se présente aujourd’hui dans le concret de nos vies autant que dans celui des défis planétaires auxquels l’humanité est confrontée?
Est-ce que le refuser au nom de rassemblements de plus en plus vides de toute issue est capable de donner sa finalité, ses buts, ses moyens à l’activité des communistes ?
Parfois certes, il suffit de se dire : ces gens là ne nous mènent nulle part qu’à la répétition d’une situation de plus en plus insupportable… Ils font monter l’abstention, le découragement, divisent ce que tout devrait unir et donc font de la minorité capitaliste qui elle n’est pas divisée les maitres de nos vies, est amplement suffisant pour la prise de conscience.
Mais puisque les assimilationnistes, les défenseurs de la “diversité” s’amusent à nous la jouer théorie avec leurs flonflons “communistes” et leur censure y compris du marxisme voilà ce que je voulais dire sur la censure des concepts… Histoire et société est là pour ça…
Histoire et société s’adresse à tous les communistes et pas seulement à ceux qui demeurent au PCF, l’intéressant de cette réflexion – et il faudra bien l’aborder un jour- pourquoi l’enjeu demeure l’évolution de la conscience malheureuse de ceux qui préparent ce congrès et une candidature à la présidentielle ?
Danielle Bleitrach
(1) Baran qui n’a pas été marqué par une adhésion quelconque et qui découvre ces querelles byzantines est nettement plus direct…