Et cette irruption ouvrière inaugure un basculement dans une toute autre phase, une autre page de l’histoire avec l’entrée en lice d’autres acteurs et d’autres enjeux qui vont mettre directement en cause le pouvoir et l’ensemble de sa politique.
A partir de ce moment ce n’est donc plus la seule question universitaire qui s’impose (bien qu’incluse dans la plate-forme générale) mais la « question sociale » à laquelle le pouvoir gaulliste est à présent confronté exigeant :
- la réforme démocratique de l’Université et de l’Enseignement.<
- l’augmentation des salaires (aucun inférieurs à 600 francs).
- l’abrogation des ordonnances amputant la Sécurité sociale.
- Le plein emploi.
- Le respect et l’extension des libertés syndicales
L’ampleur et la détermination du mouvement posant évidemment la question d’une autre politique que celle appliquée jusque là, les manifestants du 13 mai scandant « Dix ans ça suffit » !
Puis "Gouvernement populaire avec les communistes" réclamé par un mouvement confronté alors aux manœuvres comme d’habitude, d’une deuxième gauche à la recherche d’une alternance sans véritable changement.
Le thème de la collusion CGT/pouvoir
Dans le film de la 5 cela est seulement suggéré avançant l’idée que la CGT compose avec le pouvoir soucieuse de se débarrasser du mouvement étudiant.
Argumentaire adossé à la propagande des mouvements gauchistes selon laquelle l’obstacle au développement des luttes, à l’intervention des travailleurs ce sont précisément les organisations majoritaires dont ils se sont doté historiquement : le PCF au plan politique et la CGT au plan syndical.
Alors qu’on l’a vu, sans l’appel à la solidarité de ces organisations avec le mouvement étudiant, celui-ci aurait été isolé et écrasé.
Comme cela s’est passé dans d’autres pays.
Alors que la grève a largement reposé sur l’initiative de la base.
Alors qu’aucun mot d’ordre de grève générale n’a été donné, le mouvement étant sous le contrôle des Assemblées générales dans les entreprises, les administrations, les universités ...
En conséquence aucun mot d’ordre de reprise n’a été donné non plus.
La négociation de Grenelle entre syndicats, patronat et gouvernement des 25 et 26 mai ne donnant pas lieu contrairement à ce qui est répété mensongèrement à des accords dont les syndicats et la CGT seraient signataires MAIS à un constat ou projet de protocole prévoyant entre autre l’augmentation de 35 % du salaire minimum garanti (SMIG), la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise, la réduction du temps de travail sans perte de salaire ... qui ne sera pas paraphé, ni signé par les organisations syndicales ET devra donc être soumis à l’appréciation des travailleurs.
Afin de donner de la chair à cette affirmation de collusion s’est construite l’affabulation d’un Georges SEGUY sifflé à Renault Billancourt lors de son compte-rendu aux salariés du contenu du constat de Grenelle.
C’est en effet le 27 mai que ce compte-rendu a lieu, les diffamateurs du mouvement ouvrier et de la CGT répétant depuis, et encore à présent, que lors de cette assemblée Georges SEGUY s’est fait huer par les travailleurs histoire de présenter une CGT « débordée par la base », obstacle à la poursuite du mouvement, briseuse de grève en quelque sorte.
SAUF que tout cela est pure manipulation !
C’est Aimé HALBEHER alors jeune secrétaire en 1968 de la CGT Boulogne-Billancourt qui témoigne en août 2016 :

"Le rassemblement a lieu à 9h du matin. J’apprends que G. SEGUY viendra rendre compte du constat de Grenelle avec Benoit Frachon aux 25000 salariés présents. Il n’était évidemment pas question pour eux d’appeler les salariés de Renault à cesser ou poursuivre leur grève.
En les attendant je suis chargé par la direction du syndicat CGT de l’usine, et en accord avec la CFDT et FO de présenter brièvement les principaux résultats de Grenelle que nous connaissions mais surtout de fustiger la direction de l’usine et le gouvernement qui refusent d’ouvrir les discussions.
En conséquence, je propose au vote des travailleurs la poursuite de la grève reconductible avec occupation aussi longtemps que ces négociations ne se seront pas tenues. L’immense majorité des salariés présents acclame et vote la poursuite de la grève.
G. SEGUY apprend cette décision lors de son arrivée en voiture à Billancourt.
Par conséquent la poursuite de la grève s’est décidée avant l’arrivée de G. SEGUY.
Cette décision n’a pas concerné le résultat de Grenelle mais l’obstination de la direction et du gouvernement à refuser toute discussion. Les grandes entreprises, notamment dans l’automobile, Renault, Peugeot, Citroën ne négocieront que vers le 20 juin 1968.
G. SEGUY avec B. FRACHON présentent aux salariés de Renault les conditions dans lesquelles se sont déroulées les discussions et déplorent au passage, que contrairement à 1936, l’unité syndicale a cruellement fait défaut. G. SEGUY précise qu’aucun accord signé n’est intervenu. Il s’agit d’un constat de discussion qu’il faut améliorer dans chaque entreprise.
Il présente les acquis sociaux obtenus sous les applaudissements nourris et les revendications insuffisamment satisfaites ou totalement insatisfaites sous les huées adressées au patronat et au gouvernement."
La véracité de ce témoignage de première main est incontestable, ce qui n’empêche pas encore des historiens comme Pascal ORY dont la spécialité devrait les incliner à la rigueur, d’ânnoner encore ces jours derniers à l’université de Nanterre la même contre-vérité !
ARTICLE complet d’Aimé HALBEHER à consulter à l’adresse :http://http://www.frontsyndical-classe.org/2016/08/hommage-a-georges-seguy-aime-halbeher-secretaire-en-1968-de-la-cgt-boulogne-billancourt.html
Le thème de la vacance du pouvoir
C’est un autre aspect mystificateur de la narrative post 68 toujours également en vigueur :
Après l’échec de sa première tentative de sortie de crise du jeudi 24 mai annonçant un futur référendum sur la participation DE GAULLE serait pris de doute, songerait à démissionner et disparaissant sans laisser de nouvelles à ses plus proches, le 29 mai, une situation de vacance du pouvoir serait ainsi créée.
Cette rumeur distillée depuis quelques jours donnant des ailes au rassemblement de la gauche non-communiste le 27 mai avec MENDES FRANCE, ROCARD, la CFDT et compagnie ... à Charlety et MITTERRAND déclarant sa candidature à la présidence de la République le 28 mai au cours d’une conférence de presse mémorable !
Pourtant ultérieurement on peut avancer que tout cela ne constitue qu’une vaste mise en scène.
Car :
- dès le 11 Mai Pierre MESSMER ministre des armées a décidé sur ordre du premier ministre de mettre en alerte des unités de l’armée
- le 29 mai le général De GAULLE se rend secrètement à Baden-Baden en Allemagne où il rencontre le général MASSU, commandant du corps expéditionnaire français en zone allemande
- tous les réseaux gaullistes (réseaux FOCCART, SAC, Comités de Défense de la République, réseaux PASQUA) sont activés pour préparer la contre-manifestation des Champs Elysées du 30 mai
- le 30 mai à la radio De GAULLE annonçant qu’il ne se retirera pas, qu’il maintient G. POMPIDOU au poste de premier ministre et qu’il dissout l’Assemblée nationale.
La contre-offensive gaulliste n’est donc pas un simple sursaut succédant à l’abattement !
Elle résulte d’une tactique et d’une organisation qui ne délaisse aucun aspect de la situation :
La rencontre De GAULLE / MASSU dont le contenu n’a jamais été vraiment révélé sauf en sous-entendus malicieux vise principalement à s’assurer de la fidélité de l’armée.
Et à créer les conditions du rassemblement de toutes les composantes de la droite, y compris de celles qui durant la guerre d’Algérie s’étaient violemment opposées à De GAULLE. Le pacte scellé comportant l’amnistie des partisans de l’OAS encore incarcérés et qui effectivement seront amnistiés par un texte au journal Officiel seulement quelques semaines après et datant du 2 août 1968.
En 1968, des anciens de l’OAS rencontrent Jacques Foccart pour lui proposer leur ralliement au régime gaulliste contre la "chienlit" et demander l’amnistie des membres de l’organisation encore incarcérés, ce qu’ils obtiendront. Cette amnistie est promise par De Gaulle à Massu, lors de sa visite à Baden Baden
C’est à partir de ces faits et de ces réalités que la contre-offensive gaulliste débouchera sur un renversement d’une opinion publique travaillée au corps, effrayée par la description des violences, les voitures brûlées, les affrontements ...
La bourgeoisie française ayant une longue expertise de l’utilisation politique des violences urbaines en particulier comme on peut encore le constater avec l’instrumentalisation actuelle des casseurs.
Et le parti gaulliste et ses officines mèneront la campagne des législatives du 23 et 30 juin sur les seuls thèmes du chaos et du danger communiste avec succès puisque la plus grande grève et le plus grand mouvement de masse en France accoucheront d’une majorité écrasante de droite de 394 députés sur 485.
Résultat des manœuvres de la gauche non-communiste et de l’irresponsabilité gauchiste.
Que les chantres héritiers d’un 68 travesti, s’efforceront d’effacer !
En ce cinquantième anniversaire la tentative de récupération macronienne du mai 68 repose à la fois sur ces travestissements historiques et sur le fond idéologique commun aux libéraux-libertaires de 68 et au macronisme structuré sur le rejet des luttes de classe, la criminalisation du communisme assimilé au nazisme, le soutien aux agressions guerrières impérialistes, le sociétal substitué à la question sociale, les droits de l’homme comme instrument d’ingérence, la soumission aux intérêts de l’oligarchie financière.
En guise d’épitaphe, sur le flanc libéral-libertaire de mai 68, les sieurs COHN-BENDIT et Romain GOUPIL, figures emblématiques s’il en est de l’époque, ralliés au pouvoir sont en 2018 chargés officiellement par la direction de France 5 de réaliser un film-bilan de mai 68 ... avec l’approbation de Macron !
Gilbert Rodriguez
Front Syndical de Classe
28 mars 2018
Du reste on attend toujours que les pourfendeurs professionnels et médiatiques de "fake-news" s’attaquent aussi aux mensonges sur mai 68 !