
En ce début d’année 2018 sort un livre au titre de : Intérim, le nouvel esclavage ? L’auteur Serge Sanchès, a fait des recherches sur le ’travail temporaire’ compulsant de nombreux écrits d’auteurs sur le sujet, de sociologues, de médias. Il a enquêté auprès d’intérimaires, de syndicalistes, d’administratifs, d’inspecteurs du travail.
Voici quelques extraits de cet ouvrage :
Esclavage et religions
En 1920, l’allocution de Jules Renquin (ministre belge des colonies) s’adressant aux premiers missionnaires catholiques du Congo belge est un exemple du rôle de l’Eglise au service du colonialisme qui succédera à l’esclavagisme en Afrique :
« Désintéresser nos sauvages des richesses matérielles dont regorgent leur sol et sous-sol, pour éviter que s’intéressant, ils ne nous fassent une concurrence meurtrière et rêvent un jour à nous déloger. Votre connaissance de l’évangile vous permettra de trouver facilement des textes qui font aimer la pauvreté. Exemple : ’Heureux sont les pauvres, car le royaume des cieux est à eux’. Vous ferez donc tout pour que ces Nègres aient peur de s’enrichir pour mériter le ciel.
. Les contenir pour éviter qu’ils ne se révoltent. Les administratifs ainsi que les industriels se verront obligés de temps en temps, pour se faire craindre, de recourir à la violence (injurier, battre...). Il ne faudrait pas que les Nègres ripostent ou nourrissent des sentiments de vengeance. Pour cela, vous leur enseignerez de tout supporter.
. Les détacher et les faire mépriser tout ce qui pourrait leur donner du courage de nous affronter.
. Insister particulièrement sur la soumission et l’obéissance aveugles. Donc évitez de développer l’esprit critique dans vos écoles. Apprenez-leur à croire et non à raisonner. Instituez pour eux un système de confession qui fera de vous de bons détectives pour dénoncer tout noir ayant une prise de conscience et qui revendiquerait l’indépendance nationale.
. Enseignez-leur une doctrine dont vous ne mettrez pas vous-mêmes les principes en pratique.
. Dites-leur que leurs statuettes sont l’œuvre de Satan. Confisquez-les et allez remplir nos musées. Faites oublier aux noirs leurs ancêtres.
. Ne présentez jamais une chaise à un noir qui vient vous voir. Ne l’invitez jamais à dîner même s’il vous tue une poule chaque fois que vous arrivez chez lui. Ne jamais dire ’vous’ à un noir, car il se croirait l’égal du blanc.
. Considérez tous les noirs comme des petits enfants. Exigez qu’ils vous appellent tous ’mon père’.
Le Roi attache beaucoup d’importance à votre mission. Aussi a-t-il décidé de faire tout pour vous la faciliter. Vous jouirez de la très grande protection des administratifs. Vous aurez de l’argent pour vos œuvres évangéliques et vos déplacements ».
La puissance expansionniste s’est servie de la religion pour détruire des sociétés stables et les remplacer par le colonialisme. Les extrémismes religieux ont souvent servi de caution morale contre des populations.
Exigences et précarité
En mars 2016, l’agence Adequat de Valence proposait « 10 postes de hôtes (-ses) de caisse H/F pour l’un de ses clients dans la Grande distribution », un travail posté du lundi au samedi, de 24 à 30 heures hebdomadaires ; voici le descriptif de la charge :
- accueil des clients, - enregistrement à l’aide des caisses tactiles des produits du magasin, - l’encaissement des paniers.
Les qualités requises étaient très importantes :
Formation/diplôme : niveau BAC,
Expérience sur un poste similaire,
Compétences/maîtrise : maîtriser obligatoirement la caisse tactile ainsi que les différents types d’enregistrements en caisse : espèce, chèque, CB, tickets restaurant, etc.
Qualités requises : être extrêmement rigoureux, attentif, accueillant, ponctuel et organisé.
Un vrai robot qui est demandé là !
Et tout cela pour un ’Salaire brut de 9,67 à 9,67 euros par heure’. Le Smic.
En 2011, l’Organisation Internationale du Travail expliquait que « cette zone tampon [les intérimaires] permet aux entreprises d’éviter d’avoir à licencier leurs travailleurs permanents ». N’est-ce pas une quasi-justification d’une pratique illicite ? En réalité, de nombreux intérimaires sont devenus des travailleurs permanents, puisqu’ils se succèdent sur les mêmes postes tout au long de l’année ; ils sont des travailleurs permanents sans CDI que l’on peut congédier du jour au lendemain sans aucune procédure.
Dans des pays comme l’Allemagne, le Japon, l’Angleterre, certains travailleurs permanents ont été contraints de démissionner « pour se voir offrir des contrats bien moins avantageux par le biais d’agences » indique le Programme des activités sectorielles de l’OIT.
L’argument qui consiste à dire que les agences d’intérim créent des emplois n’est pas soutenable. « L’investissement et l’économie créent des emplois, mais pas les agences » assure Industrial Global Union en octobre 2012. Les entreprises n’emploient pas des intérimaires parce que les agences leur en proposent. Elles les emploient parce qu’elles en ont besoin pour produire et donc vendre.
Et si les entreprises de travail temporaire n’existaient pas, les entreprises emploieraient tout de même des salariés. Dès qu’il y a un intermédiaire privé entre un travailleur et un employeur, le droit du travail ne peut pas être respecté, c’est une règle dans le monde entier.
Un des multiples avis d’intérimaires ?
Comment perçoivent-ils leur situation ? « Drôle d’existence que la nôtre, non ? écrivait Daniel Martinez en 2003 (Dans ’Carnet d’un intérimaire’. P. 86. Editions Agone). Intérimaires… Travailleurs précaires… Et les économistes qui nous prédisent que cette forme d’activité salariée va se développer. Les patrons vont se régaler ».
’Christophe’, la quarantaine, est en intérim depuis bientôt dix ans. Il a alterné l’intérim avec deux contrats CDD d’un an dans son vrai métier : « L’intérimaire ne peut pas acheter un appartement, une maison. Sa voiture est toujours une occasion.
J’ai connu des intérimaires qui ont attendu dix ans avant d’avoir un CDI. On renouvelle sans cesse leurs missions d’intérim. On leur dit que c’est du long terme, mais cela commence par des contrats d’une semaine, des fois trois jours. Puis une semaine pendant huit à dix fois. Puis quinze jours, un mois renouvelable. On intercale un arrêt d’une semaine, d’un mois, de quatre mois.
Cela dépend du poste, notamment préparateur de commandes. Au final, on peut passer un an, un an et demi dans la même boîte, avec 20 missions. Un intérimaire ne peut pas travailler à son rythme. Deux précaires sont en concurrence. L’instabilité permanente est entretenue par les patrons. Les moins performants sont virés, et chaque semaine on passe un concours.
On essaie toujours d’être le meilleur, car ils ne gardent que les meilleurs éléments. Tu ne peux pas être à 80 %. Si tu es malade, tu es viré, même si tu es bon. Tu as un accident du travail avec arrêt : à ton retour tu n’es pas renouvelé ».
La prévention
Moins ils sont qualifiés, plus les ouvriers ont des risques d’être victimes d’un accident du travail. « Dans le bâtiment, la course contre la montre fait loi » écrit Marie Varasson dans Le Monde. Et les premières victimes sont les intérimaires sous la pression de chefs qui leur confient les tâches les plus difficiles et les contraignent à un rythme de travail effréné. « Chaque agence connaît des cas d’accidents, parfois mortels » nous dit Béatrice Cluzel de FO.
Le BTP (qui emploie beaucoup d’intérimaires) arrive en tête avec 96 838 accidents et 155 décès pour 1,52 million de salariés ; selon un document sur la sinistralité publié par l’Assurance Maladie, « la moitié des accidents du travail graves de l’intérim surviennent dans le Bâtiment-Travaux Publics ».
Une enquête de 1998 annonce que plus des deux tiers des ouvriers du bâtiment redoutent d’avoir un accident sur le chantier. 74 % craignent d’être blessés par un outil ou un matériau (ferraille, chute de moellon, casse d’un bastaing…). En 2009, la CGT Randstad annonçait 200 accidents mortels d’intérimaires en cinq ans dans le bâtiment.
Pour les travaux où les chaussures de sécurité sont obligatoires et doivent être fournies, « c’est ’on n’en a plus’, ’on en commande’, ’vous les aurez la semaine prochaine’, dit un intérimaire. La semaine suivante comme toutes celles après, vous pouvez toujours les attendre ».
Comme dit page 206, l’Assurance Maladie a bien lancé en 2009 un Plan national d’actions coordonnées (PNAC) sur 3 ans, pour tenter d’endiguer cette marée d’accidents, principalement chez les intérimaires et dans les transports routiers. ’Réseau Prévention’ a mobilisé 1 400 agents du service Prévention Caisses Régionales et 600 collaborateurs de l’Institut National de Recherche et Sécurité.
6 500 entreprises ont été visitées ce qui a permis « de repérer 100 000 salariés exposés aux produits cancérogènes et de soustraire 65 000 d’entre eux », selon le compte-rendu 2012. 9 % des magasins de la grande distribution ont été visités, démarche qui a permis d’imposer pour les palettes une hauteur maximum de 1,80 mètre.
Témoignage d’un préparateur de commandes
« Ce matin, il est quatre heures moins le quart, je sonne, le gardien me laisse entrer dans cette immense usine de l’est lyonnais. Je commence ma première journée d’intérimaire chez Maurin, société de service postal installée sur quatre hectares de bâtiments. D’après l’agence qui m’envoie, « c’est la mission la plus difficile dans la région, il y a un fort turnover ». Avec le recul, je pense avoir connu beaucoup plus difficile.
Ma fonction est préparateur de commande pour Rue du Commerce, une société de vente par internet de matériel informatique. Pendant un mois et demi, en équipe du matin ou du soir, je vais circuler sur 20 000 mètres carrés. A la sortie des vestiaires, avant d’accéder à l’entrepôt, je passe dans un sas de sécurité, semblable à celui d’un aéroport. Aucun objet métallique n’est toléré, ni bague, ni ceinture, ni téléphone. Ils demandent presque des pantalons sans poches. Seule clé autorisée : celle du cadenas.
Une fois le portique passé, la chef de notre équipe d’une vingtaine de préparateurs nous réunit et fait le point sur la production de la veille et celle à réaliser dans cette journée. Ici, l’exigence absolue est la qualité. Les premiers jours, on ne nous demande pas d’aller vite, mais de ne jamais nous tromper. Le préparateur nous donne ensuite les premières commandes et nous voilà partis pour sept à huit heures de marche dans les multiples allées.
Au fil du temps, j’ai conçu des feuilles de procédure que je complète chaque semaine : où dois-je chercher une commande XL, une « hauteur » ? Dans quelle rangée sont situées les clés USB ? Vu la complexité des recherches, je me suis demandé s’ils n’auraient pas intérêt à garder un personnel expérimenté, connaissant à la perfection l’emplacement de ces milliers de produits.
Mais leur tactique n’est pas stupide : seuls sont conservés les préparateurs rapides qui ne se trompent presque jamais. Toute erreur, tout oubli est signalé par l’informatique. Ils savent tout sur chacun de nous et en fin de journée, ils listent les erreurs qui bloquent les commandes.
Premier constat : je perds un kilo par semaine, peu importe ce que je mange. Afin de faire une bonne prod., je dois toujours aller à un bon rythme, sans courir, c’est interdit. Notre production dépend du préparateur : nous pouvons beaucoup marcher et avoir une prod. nulle.
La collecte de quatre colis XL aux quatre coins d’un bâtiment prend plus de temps qu’une commande de vingt clés USB, considérés comme autant de colis. Le donneur d’ordre essaie d’équilibrer les commandes ; à celui qui tourne à 60 colis à l’heure, il attribuera des commandes multiples pour le faire monter à 80 colis/heure. Notre chef suit le tableau, elle regarde les raisons d’une sous-production qui pourrait être causée par un nombre élevé de colis XL. J’ai vu des jeunes femmes déplacer dix téléviseurs ; même pour un homme c’eut été difficile.
Ceux qui ne vont pas assez vite, sont virés ; leur contrat hebdomadaire n’est pas renouvelé. Personne n’est sûr de revenir le lundi suivant. Chaque semaine, je me pose la question : est-ce que je vais rester ? Certains ne reviennent pas et parfois ils n’apprennent le non-renouvellement de leur mission que le lundi suivant à 4 heures du matin.
Au lieu de leur annoncer qu’ils sont lents le vendredi, la direction attend de connaître les commandes du week-end. C’est vache ! Mais les gars ne disent rien, ils espèrent un appel les jours suivants. L’intérimaire ne peut pas se plaindre.
L’intérim, c’est la jungle, encore plus entre intérimaires. Les casiers des vestiaires sont fracturés pour voler un téléphone, un porte-monnaie. Pendant les pauses, tout peut arriver. Aucun gardien, aucune caméra ne surveille notre intimité. Par contre dans l’entrepôt, les caméras sont partout dissimulées. Le moindre geste est enregistré. Un endroit, la « cage », est encore plus protégé, et seules certaines personnes sont habilitées à y pénétrer.
Après un mois et demi, sachant que l’agence me placerait ailleurs, je décidai d’arrêter. J’étais en conflit avec deux intérimaires qui me jalousaient ; ils opéraient sur la chaîne avant le départ des camions et trouvaient que j’étais trop souvent préparateur. Les bons préparateurs n’allaient pas sur la chaîne. J’étais fiable : un quart d’heure en avance, jamais de retard, jamais absent. C’était deux pauvres gars, sans morale, sans conscience. Je suis parti sans me plaindre.
L’intérimaire n’est pas mensualisé, il est payé à la journée, ce qui le pénalise lors des mois courts. Les contrats à la semaine permettent de toucher chaque fois son IFM (indemnité de fin de mission) et ses congés payés, ce qui est appréciable lorsque le salaire mensuel n’atteint pas les mille euros.
Ces contrats obligent à majorer les heures supplémentaires que l’on ne peut compenser par des reports sur les semaines suivantes. Lorsque les commandes d’un jour baissent, la société engage les intérimaires à signer un papier sur lequel ils déclarent abandonner leur poste une journée. Elle impose une absence dans un contrat d’une semaine. L’intérimaire est un pion ; il do
it être constant dans son travail et apprécié par ses chefs ».