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Ecologiste, Socialiste, Républicain: le Parti de Gauche se veut le pivot de la reconquête du pouvoir par la gauche véritable, unie dans le Front de Gauche. EN MARCHE VERS LA REVOLUTION CITOYENNE ET LA 6E REPUBLIQUE !

PINK FLOYD musique psychédélique , pop ou Progressive , retour un groupe Génial vol 1

 

En musique comme ailleurs, les jugements sont toujours potentiellement soumis au révisionnisme. Aussi certaines certitudes, au sein de la sphère progressive, finissent par s'établir à partir d'une vision déformée ou partielle de l'impact qu'un groupe pouvait avoir à une époque donnée.

Le cas de Pink Floyd est à ce propos particulièrement exemplaire, dans la mesure où sa gestation coïncida avec l'origine de cette mouvance musicale, et qu'il y devint très vite un phénomène de masse sans équivalent. L'appréciation de son œuvre demeure encombrée de paramètres extra-musicaux pas toujours rationnels. Ainsi, le succès d'hier continue d'assurer chez certains l'estime d'aujourd'hui. Pour d'autres, à l'inverse, le groupe s'est perverti dans le commerce à grande échelle, le syndrome de l'icône incendiée fonctionnant à plein régime.

Concernant l'affiliation même du groupe, elle semble, encore aujourd'hui, dans le milieu progressif, demeurer incertaine. Un peu comme si la réussite commerciale la rendait forcément suspecte... Pourtant, pour ceux qui ont vécu la période ascensionnelle du groupe, la question ne se pose même pas. Tout comme il n'y avait pas lieu de se la poser à l'époque quant à la nature d'autres musiques fondatrices (King Crimson, Soft Machine...).

Il est forcément difficile aujourd'hui d'imaginer, pour qui n'a pas pleinement vécu ces années-là, l'ampleur de la passion qui entourait Pink Floyd. Y a-t-il d'ailleurs encore aujourd'hui un groupe pour lequel le terme «fan» prend un sens aussi aigu ? C'est peu probable, dans le sens où, de toute façon, aucun n'est confronté à une telle popularité...

Aussi, lorsque l'on se pose la question des fondements des musiques progressives, il ne paraît pas bien sérieux de la traiter qu'à la seule lumière des qualités intrinsèques des musiques de l'époque et du mérite que l'on peut leur accorder vu de notre fenêtre. Personne n'a inventé l'idée progressive (on peut du reste démontrer, de façon argumentee, qu'elle a d'une certaine manière toujours existé). Par contre, certains ont su, mieux et plus vite que d'autres, lui associer des formes d'actualité ou, mieux encore, radicalement tournées vers le futur. La multiplication des formations progressives n'est pas seulement venue d'une soudaine capacité créatrice brusquement mise en mouvement par des gens talentueux : elle s'est développée aussi et surtout à partir d'une aspiration à susciter l'engouement du public, la réussite des uns générant la vocation des autres.

De ce point de vue, le rôle de Pink Floyd au sein du mouvement progressif fut éminemment positif. Mais la question n'est pas tant d'analyser les causes d'un succès observé par ailleurs chez d'autres, comme les Beatles ou les Rolling Stones, que de comprendre en quoi les spécificités progressives de sa musique y contribuèrent. Il est un fait notable, qui laisse le quatuor anglais dans la marge progressive, qu'aucune autre formation n'a jamais pu reproduire que partiellement ses recettes musicales (même un groupe comme RPWL, qui fait très fort en la matière, reste bien sage).

L'influence de Pink Floyd fut pourtant bien réelle, mais le plus souvent développée à partir de vecteurs isolés (psychedélisme, space-rock, musiques planante et électronique, voire même tout simplement pop avec le Alan Parsons Project).

En fait, avec le recul, il semble que le facteur le plus marquant ne fut pas vraiment la musique elle-même, en tout cas pas dans la totalité de ses composantes, mais plutôt les idées nouvelles qu'elles sous-tendaient (que ce soit par l'utilisation inhabituelle des instruments traditionnels, l'usage des technologies instrumentales les plus modernes, le développement des light-shows, ou le concept de «spectacle total»...).

Aujourd'hui le côté expérimental des premiers albums peut paraître désuet à certains. Il n'empêche qu'à leur sortie, ils signifiaient carrément le rêve à l'état pur. Le public demeurait sans repères pour appréhender ce qu'il entendait. Le «nouveau 33 de Pink Floyd», c'était un saut vers l'inconnu, la quête d'une autre dimension qui rejoignait l'espérance de changements dans la société. Il y avait effectivement un terrain idéologique favorable pour cette attitude réceptrice, à l'exact opposé de celle du public d'aujourd hui, qui achète un CD pour y retrouver ce qu'il connaît déjà.

Si le groupe a joué un rôle majeur dans la propagation des autres musiques, on peut légitimement considérer que c'est aussi le succès insolent de ses nobles desseins qui a déclenché la contre-offensive. Il n'était en effet pas question de tolérer que s'installe, à force de confrontation avec l'élite, une avant-garde concurrente de l'institution musicale contemporaine. Il fallut donc faire de sa popularité un élément de discrédit culturel, d'autant que les textes du groupe à partir de Dark Side of the Moon s'avéraient critiques vis-à-vis des aspects les plus cyniques de notre société. La pub pour Gini (dont on peut noter au passage que l'affiche offrait un parallèle photographique avec le Sirius de Stockhausen) vint opportunément nourrir ce mouvement de dénigrement.

L'institution ne s'est malheureusement pas arrêtée là. On sait ce qu'il est advenu de "l'aura médiatique" de toute musique ambitieuse à vocation populaire... Maintenant, devant la nullité croissantes des formes musicales actuelles jetées en pâture au 'petit peuple', devant l'absence persistante d'évolution significative (ne serait-ce que pour lancer une nouvelle tendance), l'exaspération est peut-être proche. Peut-être retrouvera t-on alors l'esprit qui à présidé à la gloire de Pink Floyd : un esprit de découverte qui emmènera certainement une formation en particulier vers les sommets, entraînant le reste de la troupe dans son sillage...

Mais plutôt que de rêver, retournons sans plus tarder à cette époque bénie où tout a commencé...

LA COMÈTE BARRETT

L'histoire commence dans la célèbre ville universitaire de Cambridge, au milieu des années 60. A l'époque, les instruments sont rares et hors de prix. Celui qui possède un ampli et une guitare, qu'il sache s'en servir ou pas, se voit aussitôt bombardé guitariste en chef. C'est dans cette ambiance bon enfant que quelques-uns des futurs musiciens du Floyd vont faire leurs premières armes : Roger Waters (né le 9 septembre 1944 à Cambridge), David Gilmour (né le 6 mars 1946 à Cambridge) et Roger Keith Barrett (né le 6 janvier 1946 à Cambridge) qui, pour sa part, préfère se faire appeler Syd, trouvant cela beaucoup plus romantique.

Ce dernier vient de perdre son père et sa mère le laisse libre de faire à peu prés ce qu'il veut. Ce dont il profite pour réunir autour de lui, tous les dimanche après-midi, ses amis qui viennent répéter et expérimenter dans la cave de la grande maison familiale.

Durant quatre années, de soirées privées en fêtes d'écoles, les jeunes vont se faire la main sur les standards du blues et les reprises de chansons à la mode comme celles des Beatles ou des Four Seasons. Bien que Syd Barrett, qui fait déjà figure d'original, et David Gilmour passent à l'époque beaucoup de temps ensemble, à comparer leur technique respective et à jouer à celui qui connaît le plus de plans, on ne les verra jamais dans un même groupe, en tout cas avant l'éphémère épisode du Pink Floyd à cinq, début 1968.

De son côté, Waters est parti à Londres pour y poursuivre des études d'architecture (au Regent Street Polytechnic). Consacrant l'argent de sa première bourse à l'achat d'une guitare («You bought a guitar to punish your ma», fera-t-il chanter à David Gilmour dans «Welcome To The Machine» une dizaine d'années plus tard), il a monté un groupe, The Screamings Abdabs, où figurent ses condisciples Nick Mason (né le 27 janvier 1945 à Birmingham) à la batterie et Rick Wright (né 28 juillet 1945 à Londres) à la guitare rythmique.

Devenu The Screaming Abdabs, voire The Architectural Abdabs le temps de quelques concerts, le 'combo' va se transformer en Spectrum Five avec l'arrivée de Barrett et d'un certain Bob Klose au chant. Celui-ci parti faire son service militaire, le quatuor se stabilise enfin et devient The Pink-Floyd Sound, puis The Pink Floyd Blues Band et enfin The Pink Floyd tout court, aucun organisateur de concert n'arrivant à écrire correctement sur les affiches le nom en entier. Un nom qui, contrairement à la légende, n'a pas été inspiré à Barrett par les vapeurs d'acide mais par deux bluesmen américains assez obscurs, Pinkney 'Pink' Anderson et Floyd 'Dipper Boy' Council. Et qui ne signifiera jamais flamand rose, comme certains journalistes vont le faire croire à des générations de petits français...

Dès l'automne 1966, The Pink Floyd (le 'the' ne disparaîtra que deux ans plus tard) commence à se produire régulièrement à la London Free School, dans le quartier de Notting Hill, un lieu qui jouera un rôle de premier plan dans l'émergence de l'underground londonien. De semaine en semaine, le public vient chaque fois plus nombreux, passant de vingt à plusieurs centaines de personnes. Le répertoire du groupe est notamment constitué de morceaux comme «Interstellar Overdrive», «Astronomy Domine», «The Gnome», «Matilda Mother» ou «Pow R Toc H», que l'on retrouvera quelques mois plus tard sur son premier album.

Les événements vont alors se précipiter. Deux amis du groupe, Peter Jenner et Andrew King, créent Blackhill Enterprises, qui assurera son management, et financent l'enregistrement d'une première bande, le 31 octobre 1966, qui comprend quatre morceaux, dont «Interstellar Overdrive» et une première mouture de «Candy And A Currant Bun», future face B d'«Arnold Layne». Au cours des semaines suivantes, Pink Floyd commence à se produire régulièrement au Marquee Club et à l'UFO Club, partageant parfois l'affiche avec Soft Machine, autre groupe débutant qui monte (mais ne montera jamais aussi haut, commercialement parlant, que le Floyd !).

Les démarches auprès des maisons de disques seront fructueuses. Après avoir refusé des offres de Polydor et Elektra, Pink Floyd signe avec EMI un contrat plus avantageux. Le 11 janvier 1967, le groupe investit le studio Sound Techniques à Chelsea, sous la direction de Joe Boyd, afin d'y graver son premier simple, «Arnold Layne». Pink Floyd fréquentera ce lieu à plusieurs reprises au cours des mois suivants, même si c'est bientôt à Abbey Road que se tiendront la plupart de ses séances d'enregistrement. Sous l'impulsion d'EMI, Joe Boyd sera mis à l'écart, et c'est Norman Smith, aux inclinations personnelles plus progressives que psychédéliques, qui produira le groupe jusqu'en 1969.

A Abbey Road, Pink Floyd n'est séparé des Beatles, qui enregistrent Sgt Pepper dans un autre studio, que de quelques dizaines de mètres. Les rencontres entre membres des deux groupes resteront rares et anecdotiques, mais c'est sans doute grâce à leurs glorieux aînés que les musiciens de Pink Floyd se verront accorder près de trois mois pour réaliser leur premier album, alors que la norme, a fortiori pour un groupe débutant, est toujours d'enregistrer en quasi 'live', en quelques jours. EMI sent le vent tourner, et se laisse convaincre que le soin apporté à la production sera un atout commercial décisif.

Laurent MÉTAYER

Le succès immédiat d'«Arnold Layne» (n°20 dans les charts anglais), dont la mise en son psychédélique en diable fait parfaitement écho au surréalisme du texte de Barrett (qui y raconte l'histoire d'un travesti), lui donnera raison, mais cette démarche va se révéler problématique pour le groupe. En effet le contraste entre les longues improvisations quasi free qui ont fait la réputation scénique de Pink Floyd, et les hits psyché-pop qui vont le faire connaître du grand public (grâce à des passages télévisés dans le fameux Top Of The Tops), s'apparente à une véritable schizophrénie. Lors de ses déplacements en province, loin des milieux branchés de la capitale, le groupe se heurte à l'incompréhension, voire à l'hostilité du public.

Certains n'hésitent pas à parler d'escroquerie, et les organisateurs vont prendre l'habitude de faire signer au groupe des contrats où il est stipulé clairement que ses 'singles' doivent impérativement faire partie de la set-list. Ceux-ci sont alors délivrés de manière expéditive, avant que les concerts ne reprennent leur cours habituel, largement improvisé, dont le futur Piper At The Gates Of Dawn ne reflétera l'ambiance que par le biais de l'épique «Interstellar Overdrive» (une improvisation instrumentale, dans «Take Up Thy Sthetoscope...», sera supprimée à l'initiative de Norman Smith).

Alors que l'on commence à parler de plus en plus de l'avènement du rock psychédélique, Pink Floyd est propulsé chef de file de ce mouvement. Pourtant, fait amusant, si à l'époque le nom du groupe est synonyme de planerie déjantée, ses membres sont, pour leur part, totalement 'straight'. A l'exception notable de Syd Barrett, qui a découvert les joies du LSD et traverse le monde dans un état de défonce quasi permanent... et d'une partie non négligeable de son public, ce qui explique sans doute en partie son succès.

Les quatre musiciens disposent en effet de moyens encore très limités, aussi bien sur le plan du matériel que sur celui de la technique instrumentale, mais il est clair pour eux que les spectacles doivent être des expériences sensorielles globales, si possible ultimes, et rompre avec l'ordonnancement habituel où le groupe sur la scène, et le public dans la salle, sont deux entités bien distinctes, sans réelle interaction. Les light-shows qui accompagnent les prestations du groupe (diapos organiques, machines à bulles de savon et spots qui noient littéralement les spectacles sous un déluge de lumières colorées) rencontrent un vif succès auprès d'un public 'chargé' à des degrés divers.

Le 12 mai, Pink Floyd propose au Queen Elizabeth Hall de Londres un spectacle à l'intitulé typique de l'esprit de l'époque : Games For May - Space Age Relaxation For The Climax Of Spring. La chanson écrite spécialement pour l'événement, et qui donne à celui-ci son titre, sera enregistrée quelques jours plus tard sous un nouvel intitulé, «See Emily Play».

Les séances d'enregistrement sont marquées par la visite amicale d'un vieil ami de Syd Barrett, appelé un peu plus tard à jouer un rôle majeur dans l'épopée floydienne : David Gilmour... La chanson atteint la sixième place du hit-parade, un succès mérité pour cette délicieuse comptine qui semble capter parfaitement l'atmosphère de l'époque, et restera aux côtés du «Whiter Shade Of Pale» de Procol Harum, entre autres, l'un des symboles musicaux du 'Summer of Love'.

Débuté dès février mais publié seulement le 5 août 1967, le premier 33 tours de Pink Floyd, The Piper At The Gates of Dawn, se classe à la sixième place des charts britanniques. Bien qu'un peu décousu (la schizophrénie soulignée plus haut), l'album est une œuvre marquante et innovante. La plupart des morceaux sont des chansons acidulées, typiques de l'univers de Barrett, qui navigue entre la poésie d'Hilaire Belloc («Matilda Mother») et les mondes imaginaires de Tolkien («The Gnome») en passant par le «I Ching» chinois («Chapter 24»).

Mais Piper... ne fait pas l'impasse sur la version 'dure' du Floyd, celui qui improvise en concert avec force larsens et bruitages incongrus plus ou moins maîtrisés : «Pow R Toc H», et surtout «Astronomy Domine» et le fantastique «Interstellar Overdrive» et son 'riff' de guitare tuant. Ces deux derniers morceaux seront joués sur scène pendant des années et vont faire la légende du groupe sur scène.

 

Si la réussite artistique du groupe est saluée, elle va rapidement être éclipsée par les problèmes personnels de Syd Barrett, auteur de la quasi totalité des morceaux de l'album. En effet, dès la fin du printemps 1967, le chanteur-guitariste montre les premiers signes inquiétants d'une perte de contrôle sur lui-même qui va prendre au fil des mois des proportions dramatiques. Ses apparitions sur scène deviennent imprévisibles : parfois, il tient son rôle à peu près correctement, mais de plus en plus souvent il reste seulement là, les bras ballants, les yeux perdus dans un néant intérieur...

Dans un premier temps, l'emploi du temps de Pink Floyd ne s'en trouve pas notablement bouleversé. Son premier album à peine dans les bacs, le groupe est de retour en studio dès le mois d'août. Mais si c'est à nouveau une chanson signée Barrett, «Apples And Oranges», qui fera l'objet du 45 tours suivant (sans retrouver, loin s'en faut, le succès du précédent), ses nouvelles compositions apparaissent de plus en plus bizarroïdes : «Scream Thy Last Scream» et «Vegetable Man», qu'il conçoit comme 'singles' potentiels, seront enregistrés mais resteront au placard. Seul «Jugband Blues» refera surface, en conclusion mélancolique (et assez poignante) de A Saucerful Of Secrets.

Cette défection de Syd Barrett, dont personne ne peut encore savoir qu'elle sera bientôt définitive, aura le mérite de susciter des vocations. Roger Waters signe en effet sa première composition notable pour le groupe, «Set The Controls For The Heart Of The Sun», qui restera jusqu'en 1971 l'un de ses chevaux de bataille scéniques. Quant à Rick Wright, il semble désireux de maintenir une certaine continuité avec le style de Barrett, proposant avec «Remember A Day» et «Paintbox» (publié en face B de «Apples And Oranges») des 'pop-songs' psychédéliques des plus charmantes.

Après s'être aventuré pour la première fois hors d'Angleterre pour quelques dates au Danemark, Pink Floyd part à la conquête du continent nord-américain en novembre. Mais l'impact de l'événement se verra fortement amoindri par le comportement erratique de Syd Barrett, qui atteindra un point de non-retour à Venice Beach (Californie), où il se met soudain à désaccorder sa guitare, avant de marteler quelques 'accords' et de quitter la scène, plantant là ses amis réellement effrayés. Le reste de la tournée sera annulé...

Les choses ne s'améliorent guère quand, quelques jours plus tard, le groupe débute une longue tournée britannique en première partie du Jimi Hendrix Experience, au sein d'un 'package' comprenant également The Move ou The Nice. Le guitariste de ce dernier groupe, David O'List, sera même appelé à la rescousse, un soir, pour remplacer Barrett au pied levé.

Contrairement à ce qui sera dit et écrit plus tard, Waters, Wright et Mason, loin d'être des opportunistes sans scrupules, insensibles au sort de leur collègue, feront tout leur possible pour éviter de se séparer de Barrett, dont ils sont par ailleurs conscients qu'il a été jusqu'alors, et de loin, la principale force créatrice au sein de Pink Floyd. C'est à contrecœur, parce que c'est bel et bien la survie du groupe qui est en jeu, qu'ils vont se mettre en quête d'un nouveau musicien, et le choix de David Gilmour en témoigne : ami de Barrett, celui-ci n'est pas engagé comme son remplaçant, mais initialement comme un renfort, susceptible de parer à ses défaillances, en espérant que la situation finisse par s'améliorer.

Cet espoir sera de courte durée. Ce Pink Floyd à cinq ne tiendra que le temps de six concerts, assez pour constater que l'état de Barrett ne fait qu'empirer (il avait suggéré à un moment que le groupe engage un saxophoniste et un... joueur de banjo !!). La mort dans l'âme, mais résolus à sauver ce qui peut encore l'être, ils oublient délibérément, un soir, de passer le prendre chez lui, et prennent pour la première fois la route dans la configuration qui sera la leur pendant douze ans : Gilmour-Waters-Wright-Mason... Cette décision, très difficile à prendre, laissera des traces indélébiles. En particulier chez Roger Waters qui semble être celui qui a osé faire le premier pas : «Roger admirait et respectait beaucoup Syd», dira plus tard Gilmour. «Il ne s'est jamais remis de l'avoir supplanté».

L'éviction de Syd Barrett sera assez mal comprise. La presse et le public, loin d'imaginer l'étendue réelle des dégâts, estiment que c'est une énorme erreur de se séparer ainsi de celui qui, aux yeux du public, incarne Pink Floyd. A commencer par Peter Jenner et Blackhill, qui décident de laisser tomber le groupe pour se consacrer à la carrière solo de Barrett. Poussé dans ce sens par le management, Wright reconnaîtra lui-même qu'il n'aurait pas hésité une seconde à s'engager aux côtés du guitariste, si seulement il avait pensé que ce dernier pouvait retrouver un semblant de lucidité...

Cette nouvelle mouture de Pink Floyd va persévérer encore un temps sur le marché des 45 tours, en publiant en avril (au moment où le départ de Syd Barrett est officialisé) «It Would Be So Nice», chanson - plutôt médiocre au demeurant - signée par Wright, qui prouve s'il en était besoin que le groupe aura tout à gagner à explorer une voie différente, centrée sur le format long. Le flop est d'ailleurs retentissant, comme sera à la fin de la même année celui de «Point Me At The Sky». Plutôt plus inspiré que le précédent, ce titre, première co-signature Waters/Gilmour, sera le dernier single du groupe avant plusieurs années, et ne sera repris sur aucune compilation hormis celle, tardive et rare, incluse dans le coffret rétrospective Shine On de 1992 (The Early Singles). Sa face B, «Careful With That Axe, Eugene», instrumental tutoyant les 6 minutes, s'avère bien plus représentative de l'évolution musicale à venir...

Convaincu du potentiel de ses poulains, le nouveau manager de Pink Floyd, Steve O'Rourke, décide d'élargir l'audience du groupe en délaissant momentanément l'Angleterre et en le faisant tourner en Europe à partir du printemps 1968 : Belgique, Italie, Allemagne, Pays-Bas... La France a droit pour sa part à plusieurs émissions télévisées, mais pas encore de concerts. Il faudra attendre octobre pour voir Pink Floyd se produire à Lyon et Paris, et quelques semaines plus tard à Bordeaux. Mais ce n'est qu'à partir de 1970, dans la foulée du succès d'Ummagumma, que la France constituera l'un des terrains d'action privilégiés du groupe.

Pink Floyd est d'autant mieux accueilli sur le Continent que la question de sa légitimité ne s'y pose pas : en effet, le public européen n'a peu ou pas connu la période Barrett, et se montre d'emblée en phase avec le nouveau discours floydien : c'est assis et religieusement que l'on écoute désormais les longs délires qui se structurent et gagnent en cohérence et en puissance...

Auréolé de son succès continental, le Floyd revient triomphalement en Angleterre à l'occasion d'un grand concert gratuit dans Hyde Park, le 29 juin, premier d'une série d'événements similaires au cours des années suivantes. C'est aussi le jour de la publication de son second album, A Saucerful Of Secrets (n°9 dans les charts). Se produisant devant plus de 7000 personnes, le quatuor met tout le monde à genoux : light-show somptueux, improvisations parfaitement maîtrisées, set-list de rêve... Les anciens morceaux sont parfaitement au point, et les nouveaux plus que prometteurs. Tout le monde sent que les Pink Floyd sont désormais prêts à jouer dans la cour des grands...

Album de transition par excellence, A Saucerful Of Secrets souffre fatalement de l'évolution musicale considérable intervenue au cours de sa réalisation. L'ensemble apparaît du coup comme un fourre-tout dénué de cohérence, couvrant un éventail de styles extrêmement large, allant du reliquat barrettien «Jugband Blues» aux expérimentations radicales du long instrumental-titre, en passant par «Let There Be More Light» et son riff introductif hypnotique qui marque d'emblée l'entrée dans une nouvelle époque.

L'impression d'ensemble est celle d'un Pink Floyd qui peine encore à trouver une nouvelle identité. La voie suivie sur la plupart des morceaux, dont un certain nombre ont été mis en chantier alors que Syd Barrett faisait encore partie du groupe, appartient déjà au passé, et la plupart ne seront jamais joués en concert. Quant à David Gilmour, son rôle est encore mineur : sa présence n'est notable que sur les titres dont Barrett est totalement absent, soit «Let There Be More Light» et «Corporal Clegg», sur lesquels il intervient par ailleurs en tant que chanteur, et bien sûr «A Saucerful Of Secrets».

Ce dernier titre, même s'il ouvre pour Pink Floyd de larges perspectives, ne saurait être salué comme une totale réussite, échouant dans une large mesure à concilier l'abstraction de ses premières minutes, dénuées de tout fil conducteur et d'une indigence mélodique typique des improvisations scéniques du Floyd des débuts, et la grandeur symphonique de sa conclusion, bientôt connue sous l'intitulé fort approprié de «Celestial Voices». De ce point de vue, les interprétations 'live' du morceau constitueront un progrès significatif, les version présentées sur Ummagumma, puis dans le film Live At Pompeii, s'avérant bien plus satisfaisantes.

Gilmour a confié depuis que la trame du morceau avait été conçue par Waters et Mason sous la forme d'un diagramme, inspiration plus évocatrice de leurs années d'écoles d'architecture que purement musicale. Mais cette approche très particulière, cette volonté de structurer sa musique par une vision d'ensemble, que d'aucuns pourront taxer de purement intellectuelle (d'où les accusations ultérieures de musique 'froide' et trop calculée), si elle n'est pas encore totalement concluante ici, sera au centre des réussites à venir de Pink Floyd. Et imprimera sa marque au courant progressif dans son ensemble.

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