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9 juillet 2017 7 09 /07 /juillet /2017 06:00

Portrait de famille

Anthony Phillips

Contrairement aux premiers batteurs de passage, Anthony Phillips marqua profondément la carrière de Genesis, et cela bien au-delà des seuls deux premiers albums auxquels il participa. Son rôle sur Trespass ne se limitait pas à la dimension musicale (il en était le principal compositeur); c'est également lui qui, épaulé il est vrai par Peter Gabriel, détermina la direction poétique que le groupe allait conserver pendant de nombreuses années (essentiellement par le biais de Tony Banks et Mike Rutherford). L'aspect fantastique, ou plus précisément merveilleux, cette sorte de rêve enfantin pour adulte si bien restitué par les pochettes de Paul Whitehead, pour lequel Phillips investit au départ une grande part de sa personnalité, imprima aux premiers albums une originalité aussi authentique que déterminante. C'est d'ailleurs sûr de son efficacité que le groupe l'adopta et le conserva bien après le départ du guitariste. Ainsi, il s'attacha à cultiver les atmosphères un peu mystérieuses ou néo-médiévales, en les liant à des textes allégoriques faussement naïfs, parfois fantaisistes ou même franchement surréalistes. Peter Gabriel n'avait plus qu'à mettre en scène l'apport purement musical d'Anthony Phillips.

Là encore, il fut déterminant autant à l'origine que pour la suite. Le penchant du guitariste pour la tradition folklorique complétait en effet idéalement la culture classisante d'un Tony Banks. Ainsi, avec son compère de The Anon, Mike Rutherford, il développa l'usage de la guitare 12 cordes, si caractéristique de l'univers sonore du Genesis de la grande époque.

Si les options d'Anthony Phillips furent largement retenues, celui-ci se révéla pourtant très rapidement le moins apte à les collectiviser. Son départ était inéluctable et provoqua une première crise à la hauteur de son importance dans le groupe.

Phil Collins

A l'instar de Mike Rutherford, la tournure de la carrière solo de Phil Collins, l'immense succès en plus, a jeté un doute sur le personnage. Il est vrai qu'il était un peu illusoire d'attendre de lui seul une direction progressive, même si c'est bien dans ce domaine qu'il fut le plus efficace.

Quel que fut son opportunisme et le rôle qu'il joua sur les derniers albums de Genesis, il fut sans aucun doute le meilleur batteur possible pour ce groupe.

Il est encore fréquent d'entendre dire qu'avant de prendre l'ascendant qu'on connaît, il y demeurait étouffé, la partie rythmique étant reléguée au second plan. Les goûts façonnés depuis les années 80 à n'apprécier du rythme que la métronomie à haut volume sonore, beaucoup ne perçoivent même plus l'intérêt d'une quelconque virtuosité, ni même celui d'intégrer subtilement le rythme à la musique. Néo-progressif oblige, de nombreux musiciens influencés par Genesis ont malheureusement aussi donné dans cette erreur d'appréciation, limitant de ce fait sérieusement leurs chances de réussite.

En 1979, Phil Collins disait encore qu'il n'aimait pas tant que ça la batterie rock, que son approche était tout à fait musicale et pas seulement rythmique. La vérité, c'est que c'est précisément cette conception de l'instrument qui a permis à Genesis de se situer aussi haut dans la hiérarchie progressive.

Le batteur à tout simplement su conférer à son kit habituel la dimension plus large des percussions aussi bien au niveau de la palette sonore que de celui de la musicalité. Il faut savoir que notre homme veillait lui-même à accorder soigneusement ses peaux, qu'il élaborait certaines parties de batterie comme on échaffaude de véritables mélodies.

Ce travail créatif ne revêt évidemment que rarement des allures de démonstration (comme sur «Apocalypse in 9/8»), mais il est clair qu'une grande partie du répertoire de Genesis perdrait de son efficacité sans le travail rythmique sous-tendu. Il n'y a qu'à écouter pour s'en convraincre les versions symphoniques orchestrées par David Palmer (quand il y a de la batterie, ça manque totalement de finesse, quand il n'y en a pas, c'est horriblement sirupeux).

Comment sérieusement concevoir «Watcher Of The Skies» sans l'apport de Phil Collins ?

Maintenant, tel l'effondrement des dominos, le départ de Peter Gabriel n'a pas seulement occasionné l'avènement d'un très bon remplaçant, en ce qui concerne le chant, mais aussi, hélas, le retrait progressif d'un batteur hors-pair. Chester Thompson n'ayant pour fonction qu'à gérer le patrimoine, le rôle créatif du batteur Phil Collins s'est immanquablement réduit peu à peu au point d'être suppléé dès Duke (1980) par la boîte à rythme !

Sa disparition physique du groupe ne fait que répéter le processus observé pour Peter Gabriel, où toute partie conduite à se mettre en avant est vouée à l'exclusion. Maintenant, le groupe est-il possible sans lui ? Il est permis d'en douter...

Steve Hackett

«Guitariste-compositeur cherche musicians réceptifs, déterminés à essayer d'aller plus loin que les formes existantes et stagnantes de la musique». Telle était l'annonce que Steve Hackett passe fin 1970 dans le Melody Maker. On ne peut guère trouver profession de foi progressive plus clairement exprimée.

Genesis n'était peut-être pas la formation idéale pour l'expression personnelle d'un guitariste, mais c'est la direction ambitieuse prise par le groupe qui motiva Steve Hackett. Celui-ci était pourtant aux antipodes de son prédécesseur. Si l'esthétique d'Anthony Phillips était pétrie de fantastique, elle n'en était pas moins fortement ancrée dans la tradition. Steve Hackett, à l'inverse, est dès le départ tendu vers la recherche de nouveaux sons, ce qui l'amène à totalement lier ses contributions à sa virtuosité.

On entend souvent dire que Genesis est un groupe où les claviers dominent nettement. Tant que le guitariste fut présent dans le groupe, cela n'était pas vrai. Certes, l'erreur d'appréciation reste compréhensible tant il est parfois difficile de distinguer son jeu de guitare de celui des synthétiseurs. D'autre part, un peu comme pour la rythmique, la finesse de son travail le laissait le plus souvent dans l'ombre.

Ainsi, tranquillement assis à l'extrême gauche de la scène, évoquant un Robert Fripp (qui demeure sa seule véritable influence), il s'échinait à enrichir l'équilibre sonore du groupe de ses triturations d'écorché vif, en offrant très souvent un violent contrepoint à la douceur mélodique de Tony Banks comme de Mike Rutherford. Si ses solos étaient plutôt rares, c'est qu'ils n'étaient que la partie la plus identifiable de ses apports. Mais là encore, leur effet grandiose sur des sons plus typés devait autant aux nombreuses modulations, reflet d'une extrême sensibilité, qu'à leur écriture pas très propice à l'improvisation.

A l'image des contrastes qu'il cultivait dans la musique de Genesis, la personnalité de Steve Hackett est difficile à cerner. D'humeur plutôt flegmatique, il avait pourtant fini par quitter sa chaise, allant parfois jusqu'à sauter comme un lapin d'un bout à l'autre de la scène, ou vomir du sang factice en faisant semblant de casser les cordes de sa guitare, mort de rire de voir le public écœuré s'éloigner de la scène ! Autant que ce genre d'anecdotes, son départ n'apparaît pas aussi cohérent qu'on a bien voulu le dire. Il est vrai que ses compositions étaient souvent laissées de côté, mais il faut signaler que, bonne poire, il n'en prenait jamais ombrage : tout lui allait.

Sa volonté affirmée, du jour au lendemain, d'assurer une carrière solitaire, une carrière de leader ne semblait pas coller avec le personnage. En tapant de temps en temps du poing sur la table, il aurait certainement pu imposer ses idées en plus grande quantité, et demeurer dans Genesis.

La meilleure part de son œuvre solitaire n'est pas vraiment antinomique à la musique de son ancien groupe, où elle aurait pu s'insérer sans grosse modification.

Quant à la partie la plus contestable, celle qui était censée incarner sa différence, elle put faire un temps illusion auprès de quelques chroniqueurs. Elle apparaît aujourd'hui comme un pur artifice, qui a finalement conduit le guitariste à la désœuvrance. Celui-ci ne semble plus pouvoir concilier ses goûts si éclectiques et s'éparpille sur des projets qui ne lui permettent pas vraiment de donner le meilleur de lui-même. Le retour au répertoire de Genesis ne fait que confirmer le malaise, car là encore, sans ses anciens compagnons, il ne parvient plus à prouver quoi que ce soit.

Sans jamais avoir fait d'études musicales poussées, Steve Hackett s'est mis très tôt à composer de la musique typique XVI°-XVII° siècle que certaines autorités en musique classique ont affirmée irréprochable. Sûr qu'il profite pour cela d'une vie intérieure, il vient d'enregistrer un quatrième album de guitare classique. Souhaitons qu'il comprenne enfin qu'il s'agit là de la meilleure base possible pour un nouveau départ, de l'ancrage le plus fiable à ses ambitions de liberté et de modernisme.

Mike Rutherford

Il est certainement l'élément le plus mystérieux du groupe au niveau de sa réelle contribution. En tant que compositeur, on l'envisage le plus souvent comme le responsable des parties les plus simples que le groupe ait produite. Mais en conclure à ce titre à son utilité moindre dans le groupe est aller un peu vite en besogne, d'autant qu'il est l'un des deux seuls rescapés.

Si on en juge sur son travail solitaire, sa première œuvre, Smallscreep's Day (1980), surtout la longue suite qui lui donne son titre, révèle de nombreux ingrédients typiques du son Genesis : la synthèse folk/classique, les rythmes tremplins à la fois toniques et complexes à partir de lignes de basse très fouillées, la dimension atmosphérique souvent brumeuse et irréelle. Autant d'éléments qu'on ne retrouve pas en aussi grand nombre chez les autres protagonistes.

Bien ancré dans son groupe, Mike Rutherford sut en fait collaborer à l'ambition musicale collective en lui conférant de l'accessibilité, de l'évidence, sans en trahir le but initial visant à l'émotion maximale (fut-elle au prix d'écoutes multiples).

Décramponné de ce noble objectif, il ne reste évidemment plus à Rutherford que le but avoué de ratisser large «pour vendre le plus de disques possibles» [sic], d'où le volte-face aussi déroutant que désastreux de son second album solo, et sans doute une bonne part de responsabilité dans l'assagissement de Genesis.

Les aspirations commerciales du bassiste seront par la suite mieux prises en charge par son propre groupe, mais il n'en paraîtra que plus inapte à retrouver une fonction digne d'intérêt dans un groupe qui se voudrait progressif.

Par ses talents d'administrateur et de conciliateur, Mike Rutherford fut l'élément-moteur qui permit de surmonter les crises, une sorte de centre de gravité autour duquel la structure de la formation put varier sa géométrie sans véritable bouleversement.

En tant que musicien, il est souvent considéré comme un médiocre guitariste. Il est vrai qu'il n'est pas un soliste très performant, mais il n'empêche qu'en plus d'être une excellent bassiste, il est aussi un très bon joueur de 12 cordes.

Peter Gabriel

Contrairement à Anthony Phillips, Peter Gabriel n'était pas très impliqué dans la composition, mais ce fait était largement compensé par son travail au niveau des textes et de ses prestations scéniques. Ainsi, sa fonction ne fit que s'élargir au fil des concerts, pour parvenir à son paroxysme avec le double-album fatal, la tournée qui suivit ne faisant que confirmer le seuil de non-retour dépassé.

On peut légitimement penser que la dimension spectaculaire incarnée par le chanteur était le fait d'une volonté collective, même si Tony Banks et Mike Rutherford en contestaient certains aspects. Ce besoin de transcender le seul registre musical apparaît comme une sorte d'obsesson inhérente à l'ambition du groupe. La recherche du succès n'est pas en elle-même, sur cette base, contestable, bien au contraire. L'ennui, c'est le piège tendu sournoisement par le public et les médias qui focaliseront bien trop leur attention sur la «star». Peter Gabriel était sans aucun doute parfaitement à même de répondre à cette attente sans réellement forcer son naturel, mais cette propension l'a littéralement aspiré. Son rôle est devenu d'autant plus démesuré, voire écrasant pour ses collègues, que le concept de The Lamb... s'avérait contraignant. Celui-ci devait d'autre part conduire son géniteur à prendre une part un peu plus active à la composition. L'équilibre des responsabilités était bel et bien rompu.

Maintenant, on peut toujours regretter que l'affaire n'ait pu se gérer autrement que par le départ du chanteur, tant son travail d'acteur comme de vocaliste s'avérait remarquable. Mais le traumatisme scénique occasionné avait provoqué une telle effervescence autour du groupe qu'il n'était plus guère concevable de redistriouer les rôles, surtout s'il s'agissait de revoir celui de Gabriel à la baisse. D'ailleurs, à quoi bon chasser le naturel... ?

Tony Banks

Lorsque Genesis, avec A Trick Of The Tail puis Wind And Wuthering, prouva qu'il y aurait pour lui une vie après le départ de Peter Gabriel, il devint évident pour tout le monde que, si Genesis comptait en son sein un leader musical, ce n'était pas son flamboyant chanteur, mais bel et bien son discret claviériste. Le remplacement des crédits collectifs par une indication plus précise de l'implication de chacun dans l'écriture était à ce titre éloquente, puisque Tony Banks signait ou co-signait la quasi-totalité des morceaux, ce qu'il continuerait d'ailleurs à faire jusqu'à l'émergence de Mike Rutherford puis Phil Collins comme compositeurs.

Ceci explique sans doute pourquoi le départ de Steve Hackett ne fut pas, comme celui de Peter Gabriel deux ans plus tôt, ressenti comme un traumatisme : Tony Banks était désormais reconnu par tous comme le garant du talent du groupe. Evidemment, l'album qui suivit, And Then There Were Three, avait de quoi décevoir, mais cette déception était plus le résultat d'une initiative délibérée de Genesis de renouveler son style que la conséquence du changement intervenu dans sa composition. Et, pour ce qui concernait le claviériste, celui-ci contribuait tout de même beaucoup à limiter les dégâts, que ce soit comme compositeur, ou comme instrumentiste (il fallait tout de même compenser l'absence de flamboyance guitaristique, qualité que Rutherford n'avait guère les moyens d'apporter).

Les premiers doutes quant à l'infaillibilité de Tony Banks se firent jour avec la parution en 1979 de son premier atbum solo, A Curious Feeling. Celui-ci avait été entrepris dans le double objectif de prouver qu'il pouvait tout faire par lui-même (ou presque : batterie et chant étaient tenus par des invités) et de produire une musique différente de celle de son groupe. Double objectif, double erreur. Car la différence en question prenait en l'occurrence la couleur de l'absence : absence de perfectionnisme dans les domaines où le claviériste n'excellait pas, absence d'équilibre car, par la force des choses (pour dissimuler les faiblesses du reste), les claviers se voyaient tout de même accordé le rôle principal, et enfin absence dans les compositions du souffle et de la hauteur qui auraient dû les mettre au diapason des moyens mis en œuvre.

La confiance aveugle se voyait rompue, et le phénomène ne fit que croître par la suite, aussi bien en ce qui concernait le prolongement calamiteux de sa carrière solitaire que son rôle amoindi dans Genesis à partir d'Abacab. Bref, au lieu de rectifier la trajectoire, l'animal s'est entêté, et s'il tenta de le faire timidement, en 1995, ce fut... en dissimulant son nom, comme s'il savait par avance qu'il n'y avait pas encore de quoi être fier d'une demi-mesure. Quant à son effacement au sein de Genesis, il est avant tout le reflet de la nouvelle façon de composer adoptée par le groupe depuis son installation dans ses propres locaux (The Farm), à partir d'improvisations collectives n'ayant plus pour but de produire la meilleure musique possible, mais de satisfaire les egos tout en visant un public élargi. Dans cet exercice, Banks fut logiquement moins à l'aise qu'un Collins...

La valeur du musicien Tony Banks ne saurait être remise en cause. Ses aspirations artistiques profondes n'en demeurent pas moins une énigme. Sans vouloir faire de mauvaise psychologie, il n'est guère possible d'y voir plus clair sans se pencher un peu sur sa personnalité. Banks est décrit par ses proches comme quelqu'un d'extrêmement individualiste, qui aime à accomplir et réussir ses projets sans l'aide d'autrui. D'apparence réservée, il semble également rigide et sérieux, conséquence avouée de son éducation au pensionnat.

Pourtant, ce qui peut apparaître comme un manque de confiance en soi est compensé par une puissante détermination. Détestant l'improvisation, il «compose» véritablement ses solos, les rejouant strictement à l'identique lors de chaque concert : une philosophie héritée de sa culture classique, qui lui a enseigné de faire reposer totalement ses performances scéniques sur la qualité de ses compositions.

Cette attitude profondément individualiste ne l'empêche pas d'être conscient que son art est d'autant mieux mis en valeur qu'il peut compter sur des partenaires à la hauteur de son ambition. Il n'aurait certainement pas composé et arrangé un «Firth Of Fifth» de la façon que l'on sait si ce n'évait été pour Genesis. A mesure que Genesis a cessé d'être un vrai groupe pour devenir la réunion de trois individualités, puis deux, Banks n'a sans doute plus trouvé le répondant qui avait stimulé l'écriture de ses pièces les plus mémorables...

Laurent MÉTAYER

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